En sept ans, le groupe a investi 200 millions d’euros dans une soixantaine de projets d’aide aux plus démunis. Tout en développant des modèles viables économiquement.
Replanter des palétuviers au Sénégal, aider des chiffonniers à s’organiser en coopérative en Indonésie, construire des stations de purification d’eau dans les villages reculés du Cambodge, d’Inde et de Madagascar… Autant de projets portés par Danone depuis plusieurs années au nom, explique le groupe, d’une certaine idée de la «responsabilité sociétale». Encore une multinationale qui s’achète une bonne conscience ? Peut-être. Il n’empêche : le dispositif initié en 2006 par le groupe est unique dans sa forme comme dans son envergure. Le numéro 1 mondial du yaourt compte aujourd’hui une soixantaine de projets «hybrides», mêlant l’économique et le social à travers trois supports : Danone Communities, Danone Ecosystème et Livelihoods.
«Ils ont été des précurseurs et ils font partie des entreprises françaises qui ont été le plus loin dans le domaine», estime Antoine Colonna d’Istria, cofondateur de Pro Bono Lab, association spécialiste du bénévolat et du mécénat de compétences. Ne soyons pas naïfs. L’objectif prioritaire de Danone reste de vendre des pleines brassées de yaourts partout sur la planète ; la multinationale ne s’en cache d’ailleurs pas. L’idée étant, grosso modo, que plus les populations locales s’enrichiront, plus leur pouvoir d’achat grandira, plus Danone aura de clients. Logique.
Une tradition Riboud. Pour comprendre l’implication du groupe dans le «social business», il faut revenir quarante ans en arrière. «Tout a commencé avec le discours d’Antoine Riboud à Marseille, en octobre 1972, aux Assises du CNPF, l’ancêtre du Medef», raconte Laurent Sacchi, directeur délégué à la présidence. Pour la toute première fois, le fondateur de Danone, qui s’appelle encore BSN, évoque l’idée du double projet économique et social. «Nous devons nous efforcer de réduire les inégalités excessives en matière de conditions de vie et de travail, et répondre aux aspirations profondes de l’homme», martelait Riboud devant un auditoire médusé, à mille lieues de ce genre de réflexions. Et ce patron n’en restera pas aux déclarations d’intentions. Au milieu des années 1970, il met sur pied le programme Vacances propres pour lutter contre les déchets sur les plages, avec l’installation des fameuses poubelles blanc et rouge, qui existent encore aujourd’hui. «Un projet qui débouchera notamment sur la création d’Eco-emballages, l’organisme chargé du recyclage des emballages ménagers», raconte Laurent Sacchi.
Le choc Yunus. Mais avec l’arrivée de Franck Riboud à la tête de Danone, en 1996, le double projet du père disparaît des discours. La fibre sociale semble même bien enterrée avec l’annonce, en 2001, d’un plan social qui prévoit le licenciement de 800 salariés français de Lu. A l’époque, pour le nouveau patron de Danone, l’emploi n’était pas le problème de l’entreprise, mais celui des pouvoirs publics. Puis, en 2005, notre homme croise la route de Muhammad Yunus, le «banquier des pauvres», inventeur du microcrédit. Pour Franck Riboud, c’est une vraie claque.
Les deux hommes fondent une coentreprise à vocation sociale, Grameen Danone Foods, qui débouche sur la création d’une usine de yaourts enrichis en vitamines, les Shokti Doi, vendus à bas prix aux plus démunis. C’est un succès. Dans la foulée, le groupe ouvre un fonds d’investissement (Danone Communities), aujourd’hui doté de 73 millions d’euros, pour financer des projets d’entrepreneuriat social autour de la nutrition et de l’eau potable. En achetant des Sicav Communities, les particuliers (notamment les salariés du groupe) peuvent placer leur argent au côté de Danone, contributeur à hauteur de 20 millions d’euros.
A l’équilibre. Aujourd’hui, ce fonds finance dix projets à travers le monde, en majorité dans les pays les plus pauvres de la planète. «Quatre d’entre eux ont déjà atteint leur point d’équilibre ou sont en passe de l’atteindre, et on estime que plus d’un million de personnes ont bénéficié de nos programmes», se félicite Emmanuel Marchant, le DG de Danone Communities. Mais ce fonds n’est que le premier étage de la fusée Responsabilité sociale de Danone. En 2009, le groupe lance Ecosystème, en accord avec ses actionnaires, qui constituent une dotation de 100 millions d’euros pour mener des projets dans des territoires où le géant de l’agroalimentaire est déjà commercialement présent (contrairement à Danone Communities). «Notre conviction, alors, était que la crise aurait des conséquences sur nos partenaires, notamment agricoles, explique Jean-Christophe Laugée, DG du fonds. Or, lorsqu’un pays va mal, l’emploi se dégrade, la consommation aussi. Cela pouvait avoir des répercussions sur nous.»
L’écosystème du groupe. L’objectif est d’améliorer l’environnement économique et social de Danone, son écosystème : éleveurs, agriculteurs, sous-traitants, salariés et même consommateurs. Comment ? En soutenant des coopératives de petits agriculteurs pour sécuriser l’approvisionnement en lait ; en formant les fournisseurs pour améliorer la qualité des produits ; en créant des centres de recyclage pour que les chiffonniers augmentent leur revenu (en effet, quand le plastique est trié, lavé, concassé et agencé en ballots, il se revend 35% plus cher) ; enfin, en développant l’emploi, celui des femmes notamment. Aujourd’hui, un tiers des projets financés par ce fonds Danone pour l’Ecosystème sont à l’équilibre. En quatre ans, 19.000 emplois ont été créés. Le dernier-né, Livelihoods, ouvert en 2011, est un fonds qui finance des projets environnementaux, au Sénégal, en Indonésie et en Inde. Un programme de compensation carbone qu’ont déjà rejoint Schneider, La Poste, Crédit agricole… augmentant d’autant sa puissance financière.
Fierté interne. Cette démarche globale sert aussi la politique RH de Danone. Même si peu de salariés participent concrètement aux projets (environ 1% des 102 000 collaborateurs dans le monde), il y a un effet de «contagion positive». Lorsqu’on sait que le directeur commercial de Danone Belgique a passé six mois au Sénégal pour aider une laiterie à structurer sa force de vente, que le directeur marketing Asie de l’eau est aussi (à 40% de son temps) chef de projet Danone Communities en Inde et au Cambodge, forcément cela génère un sentiment de fierté, plutôt inhabituel dans une multinationale. «Plus de 85% de nos salariés se sentent en accord avec les valeurs de l’entreprise, ce qui nous place dans le top 5 au niveau mondial», assure-t-on au siège. Si Danone se défend d’organiser des grand-messes sur ces projets, l’entreprise évoque régulièrement le sujet et chaque filiale informe ses équipes des actions en cours via une newsletter. Ces programmes offrent aussi à Danone un avantage en matière de recrutement, auprès des jeunes diplômés comme des cadres expérimentés. «Beaucoup admettent que cela fait pencher la balance au moment de poser leur candidature», explique Jean-Christophe Laugée.
Boîtes à idées. Enfin, les trois fonds mis en orbite par Danone lui servent de laboratoire. L’équipe indienne qui préparait l’ouverture de la filiale locale en 2010 s’est ainsi inspirée de ce qui avait été réalisé au Bangladesh par la Grameen Danone Foods, et cela tant au niveau du format de l’usine, que des produits, du marketing et de la distribution. En 2012, c’est Evian qui a eu l’idée de livrer des packs d’eau à domicile en France, après avoir étudié un programme de vente en porte-à-porte de yaourts imaginé… au Mexique.
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