jeudi 24 octobre 2013

Philippe Cohen est mort...


L’intelligence, l’intégrité, le style....


Quelques mois avant sa mort, Philippe Cohen s’énervait de n’avoir que « cinq ou six heures d’énergie intellectuelle par jour ». Je lui ai répondu que la plupart des gens bien-portants n’en avaient pas la moitié. Philippe est mort dimanche, quelques jours après son soixantième anniversaire. 

Sans lui, Causeur n’existerait pas car sans Philippe, je ne serais pas ce que je suis. Philippe m’a appris que le journalisme était un métier intellectuel. Il m’a appris à penser toute seule – parfois contre lui, souvent contre moi. Il m’a appris à rire de la sottise médiatique dont il a souvent souffert.
Toute sa vie a été tendue vers ce seul but : penser. Avancer. Trouver les clefs du monde dans lequel il vivait. Philippe était habité par le doute et obsédé par la vérité. 
D’où l’interminable dialogue qu’il avait avec lui-même et avec ses amis. Pour moi, cette conversation a commencé il y a vingt-cinq ans. Vingt-cinq années durant lesquelles il n’a pas seulement été un ami, mais un interlocuteur constant, un critique vigilant, et aussi un formidable camarade de bataille. 
Nous aimions l’un et l’autre l’odeur de la poudre, le combat des mots et des idées. Il n’était pas le genre rebelle qui tire sur les ambulances. Philippe aimait attaquer frontalement les puissants : je me rappelle mon admiration quand, avec Pierre Péan qui devint alors son complice, il décida de faire feu sur le quartier général, 
Le Monde alors dirigé par Edwy Plenel. Quand les coups pleuvaient, son sourire juvénile, le même que celui qu’on voit sur ses photos d’enfant, se teintait alors d’une lueur gourmande. Bien sûr, il m’est arrivé de penser qu’il se trompait. Mais jamais il n’esquivait la discussion. L’adversité le stimulait. Mais la calomnie le torturait. L’un de ses derniers pieds de nez aux vigilants a été la biographie de Le Pen qu’il a écrite avec Péan. 
Non pas qu’elle fût complaisante, absolument pas (du reste Jean-Marie Le Pen a attaqué ce livre décrit comme lepéniste). Mais Philippe était un intellectuel et il se refusait à monter sa belle âme en prenant la pose à chaque page. 
Beaucoup de gens très estimables ont aimé ce livre. D’autres non. Ce qui l’a alors mortifié plus que tout, ne fut même pas d’être accusé de lepénisme dans son propre journal Marianne, mais d’être accusé et condamné sans avoir même le droit de se défendre. Philippe aimait le combat à la loyale. Ce n’était pas le cas de ses détracteurs.
Aujourd’hui, ses proches ont perdu un époux, un père, un frère, un ami. Mais ses adversaires devraient le regretter tout autant. Car il était le digne fils de cet esprit des Lumières qu’ils bafouent en préférant l’accusation à l’argumentation, la condamnation à l’explication. 
Il était plus facile de lui coller l’étiquette « facho » (et facho de gauche, autant dire social-traître) que de lui répondre. Aujourd’hui, ils ont perdu un adversaire intègre et courageux dont ils n’ont pas su être dignes. J’allais oublier de dire combien nous aimions rire. Alors, qu’on me permette un message personnel : repose-toi frangin. C’est eux qui ne peuvent pas dormir1.
  1. Triste d’avoir perdu un allié et un collaborateur du journal, la rédaction de Causeur adresse toutes ses condoléances à son épouse Sandrine ainsi qu’à ses enfants Sarah, Léo, Irène et Elvire. 

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