samedi 23 novembre 2013

"L'énergie va nous tuer, et tout le monde s'en fout"


VIDEO. Le réalisateur du webdoc "Prison Valley" est un pionnier des nouvelles narrations, mais aussi un journaliste engagé. Avec "Fort McMoney", il relance le débat de la manne pétrolière...


Repousser encore les frontières du webdocumentaire et changer la donne en matière d'environnement, c'est le pari ambitieux de la nouvelle réalisation de l'auteur de "Prison Valley". Avec le jeu-documentaire "Fort McMoney", à découvrir en ligne dès le 25 novembre, David Dufresne, journaliste épris de ce qu'on appelle "les nouvelles narrations" s’attaque cette fois à l’industrie pétrolière.
Trois ans après le succès public et critique de "Prison Valley", qui a marqué l'histoire encore balbutiante du webdocumentaire et reçu plusieurs prix prestigieux, il récidive en dénonçant la suprématie de l'or noir. L’histoire se passe au Canada, dans la ville de Fort Mc Murray où l’argent coule à flot depuis une dizaine d’années. Loin de l’univers carcéral du Colorado, il raconte avec son regard intimiste, guidé par ses personnages, la ruée vers l’or noir des sables bitumineux. Il explore surtout ses énormes impacts sur l'environnement, l'économie et la société, avec une question, posée à l'internaute : faut-il renforcer les contrôles environnementaux ?
La forme est plus éclatée et plus interactive encore que son documentaire précédent. "Fort McMoney" se présente comme un jeu vidéo en ligne, une sorte de "Sim city", inspiré des codes de Facebook. Cette forme transforme le simple spectateur en joueur véritablement engagé et impliqué dans les débats. La mission de l’internaute : rien de moins que faire triompher sa vision du monde en débattant pour gagner en influence. Durée du jeu : un mois (!).
Il y a un lien entre le côté démesuré des sables bitumineux et le format fou qu’on propose. On s’est retrouvé au milieu d’un endroit colossal et c’est ce qu’on veut traduire dans le jeu et la durée, mais c’est un pari. On ne voulait pas résumer en 52 minutes une histoire qui impacte la planète, et qu’on ne résout pas en 52 minutes", explique David Dufresne.

Comment avez vous eu l’idée du webdocumentaire et connu la ville de Fort Mac Murray ?
Si "Prison Valley" était aussi décrit comme un "pari" par son réalisateur à l’époque, cette fois, la mise est bien plus importante. Le budget se chiffre à 620.000 euros, presque trois fois celui de "Prison Valley". Mais c'est à la hauteur de la belle ambition de David Dufresne. Il raconte au "Nouvel Observateur" comment il cherche à transformer un public indifférent aux questions pétrolières en acteur informé du changement. 
- Je l’ai connue grâce à Philippe Brault [co-réalisateur de Prison Valley et directeur photo de Fort Mc Money, NDLR], qui avait croisé des gens qui partaient travailler là-bas. Il m’a parlé de cette image hallucinante de ruée vers l’or, de cette ville de l'Alberta construite par blocs, qui s’est écrite en quelques années. Il paraissait d’autant plus évident de s’y intéresser qu’en 2011, le Canada s’était officiellement retiré du protocole de Kyoto - ce qu’aucun pays n’a fait jusqu’ici -, pour exploiter ses sables bitumineux.
Qu’y avez-vous découvert ? 
- D’abord, un territoire immense, grand comme la Hongrie, avec une seule ville, et ce paysage lunaire, magnifique et inquiétant à la fois, créé par l’homme là où se trouvait auparavant une forêt. Un embouteillage monstre aussi à l'entrée de la ville, quasi permanent (rire). Ensuite, l'argent qui coule à flots, l’extrême richesse et l'extrême pauvreté : chacun pense faire fortune à McMurray et certains s'y cassent les dents. C'est une frénésie, tout va très vite. En 10 ans la petite ville est passée de 30.000 à 100.000 habitants, de quelques millions à 1 milliard de budget cette année.
Peut-on parler d'un documentaire d’investigation ?
- Il y a un côté "investigation" mais surtout un regard "docu", une patte humaine, des rencontres avec des personnages attachants et forts. C’est très intime et en même temps, c'est une enquête sur l’industrie pétrolière. La première semaine du documentaire est noire, la deuxième semaine donne une image plus positive, de loisir, de gaieté, d’argent qui coule à flot mais aussi de la mainmise de l’industrie sur la ville. On a posé un regard sur la ville, et jamais la parole n’a autant été donnée aux habitants et aux industries pour s’expliquer et défendre leur point de vue.
Combien de temps vous a pris la réalisation ?
- On a fait six voyages. Après les premiers repérages, le tournage a duré 60 jours. C’est énorme dans l’économie actuelle du documentaire. L'idée était d'y passer du temps pour pouvoir modifier notre regard. Au prix d'un va-et-vient constant entre les impératifs du documentaire, une belle image, un son soigné, un bon cadre, et la réalité : attendre 20 minutes qu'un corbeau s’envole ou un an pour que l'industrie pétrolière accepte de vous parler... En tout, avec la partie "développement " qui a pris 2.000 heures, la réalisation a duré deux ans.
Pourquoi cette forme hybride, le jeu vidéo-webdocumentaire ? Vous voulez toucher un autre public, l’interpeller différemment ?
- L'idée fondatrice du "jeu documentaire" est de créer un débat. La question est : pourquoi des sujets aussi centraux que l’environnement ou l'économie intéressent si peu de monde ? Il y a des films magnifiques sur l’environnement, le désastre écologique vers lequel nous courons, mais ils sont peu programmés, peu regardés. On court après l'énergie qui nous fait vivre et on détruit au passage notre environnement. C'est un paradoxe terrible, l'énergie va nous tuer et tout le monde s’en fout.
A la fin du jeu, nous posons la question : "L’après pétrole, c’est pour quand ?". Elle inquiétait encore beaucoup il y a quelques années. Mais aujourd’hui, on redécouvre des gisements et on fait comme si elle question ne se posait plus. Non seulement c'est faux, mais ça tue le débat. Le jeu est un levier pédagogique formidable pour ceux qui ont déserté le documentaire d'investigation et sont fatigués de l’inquiétude autour des questions vertes. C'est une nouvelle façon de partager le récit. Le débat et les outils du débat sont dans le programme lui-même. 
C'est un film engagé dans un sens moderne du terme : c’est l’internaute qui va s’engager dans le film, s'enregistrer en tant que joueur. On modifie ainsi la position du spectateur, qui n'est plus seulement "récepteur" devant un robinet à images, mais aussi émetteur. 
 Découvrez la bande annonce de "Fort Mc Murray"

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