vendredi 8 novembre 2013

Il faut réhabiliter Albert Camus le libertaire !


Avec votre ouvrage, L’ordre libertaire – La vie philosophique d’Albert Camus, vous avez dit vouloir « mettre fin à une légende fabriquée de toutes pièces par Sartre et les siens, celle d’un Camus “philosophe pour classes terminales”, d’un homme de gauche tiède, d’un penseur des petits Blancs pendant la guerre d’Algérie ». Les propos parfois caricaturaux sur Albert Camus font-ils maintenant partie du passé ?
Non, car le logiciel sartrien des années 50 à 70 fait encore la loi chez les intellectuels qui font la loi, je songe aux normaliens que sont Badiou et BHL, deux sartriens pour lesquels la vérité compte moins que l’efficacité politique dans le champ médiatique – voire l’efficacité médiatique dans le champ politique, ce qui revient souvent au même désormais… En revanche, Camus n’avait aucun autre souci que celui de la justice et de la vérité ; peu lui importait l’efficacité médiatique.
Par ailleurs, un grand nombre de camusiens professionnels ne sont guère plus présentables, eux qui perpétuent les légendes dorées qui accompagnent la légende noire en contrepoint : Camus philosophe anticommuniste, social-démocrate, électeur de Mendès France, en gros, disciple… de BHL et des nouveaux philosophes !
Or, il faut réhabiliter Camus pour ce qu’il fut : partisan de nationalisations, libertaire, compagnon de route des anarcho-syndicalistes, ami des anarchistes espagnols, disciple libre de Bakounine. Il suffit de le lire intégralement sans prélever le détail hors contexte qui permet le détournement.
Pourquoi a-t-on l’impression d’une perpétuelle tentative de récupération autour d’Albert Camus, comme par exemple tous ces rebondissements autour de l’exposition qui devait lui être consacrée à Aix-en-Provence ?
Les récupérations sont une chose, l’instrumentalisation récente d’Aix en est une autre. La récupération est récurrente chez les paresseux qui ne lisent que des morceaux choisis et font servir les citations à leur lecture orientée. 
On prélève ainsi tous les textes anticommunistes concernant le goulag et l’on fait de lui un anticommuniste primaire en oubliant qu’il a fait l’éloge des nationalisations. Les paresseux sont partout : du journaliste pressé (pléonasme) à l’universitaire qui fait une thèse sur une thématique étroite (pléonasme) en passant par l’homme du commun qui se satisfait d’un vernis culturel (pléonasme), Camus est au service de celui qui l’exploite…
Aix, c’est une affaire de pathologies croisées… La fille du philosophe en gardienne d’un temple qu’elle déplace à sa convenance, la vexation de l’historien élu par la gardienne du temple puis évincé par elle, la vengeance puis l’instrumentalisation tribale de l’universitaire évincé qui fréquentait sans honte une élue présentable tant qu’il travaillait avec elle mais qui devient d’extrême droite quand elle ne travaille plus avec lui, la dénégation de la fille du philosophe, l’activation des réseaux d’amis (journalistes, ministres) du prof évincé, la mayonnaise médiatique, etc. Rien que de très normal : un exercice emblématique de nature humaine…
« Le seul sens d’un monde absurde, finalement, c’est l’action » : tel est, selon Aurélie Filippetti, le message délivré par l’écrivain. Qu’en pensez-vous ?
Qu’Aurélie Filippetti a probablement un bon normalien dans son cabinet et qu’il a prélevé pour elle, en bon communicant, une citation qui justifie son poste ! Elle qui a quitté les Verts pour le PS plus à même d’accélérer une accession aux maroquins a évidemment intérêt à se contenter de cette phrase. Voilà un bon exemple d’une instrumentalisation de Camus…
On retient souvent d’Albert Camus sa capacité à « affronter le réel pour pouvoir le changer »
N’est-ce pas ce qui fait cruellement défaut à nos politiques, de droite comme de gauche, aujourd’hui ?
En effet, mais pas seulement. L’idéologie est le plus pernicieux des venins, qui fait croire plus vraie l’idée préconçue que le réel et fait passer à côté du réel… La croyance en Dieu, en Allah, en Bouddha, en Yahvé, en Jésus, en Marx, en Lénine, en Brasillach, la croyance en Mélenchon & Le Pen, Sarkozy & Hollande, le pape & le rabbin, l’imam & le gourou, voilà qui dispense de penser le réel, donc d’agir sur lui. Toute croyance est l’ennemie de la lucidité. 
Or, la politique incarne l’une des modalités de la croyance.
Que par ailleurs la social-démocratie déçoive et manque de courage, ça n’est plus un scoop que pour… les croyants ! Je suis pour ma part devenu un athée de la politique, ce qui veut dire que ma gauche (car je suis et je reste un homme de gauche…) n’a rien à voir avec les catéchismes. Permettez que j’ajoute que Camus fut un grand homme dans le genre – ce qui nomme le véritable libertaire…

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