lundi 27 mai 2013

Que disent ces objets transmis de mère en fille ?


C'est un bijou, un parfum, un vêtement... Parce qu'il leur vient de leur mère, cet objet occupe une place particulière, comme le témoin d'une féminité en héritage. 

Dans la boîte à bijoux de Noémie, noyés dans un océan de parures fantaisie estampillés XXIe siècle, deux joyaux attirent le regard: un anneau d'or blanc serti d'un diamant et un lourd bracelet en argent aux maillons façon Hermès.  
"Je porte la bague tous les jours. Le bracelet, plutôt en été, sur des bras bronzés. Un peu comme ma mère les portait, en fait", sourit-elle. C'est à la mort de celle-ci, il y a une dizaine d'années, que Noémie, 36 ans, a récupéré ces précieux bijoux.  

Le bijou comme souvenir quotidien

"Je n'ai pas hérité de grand-chose, mais j'ai dit à mes soeurs que cette bague et ce bracelet, je les voulais plus que tout. Ils me rappelaient la douceur de ses mains et la chaleur de ses bras. Comme ce sont des bijoux de main, quand j'étais petite, ils étaient à hauteur de mes yeux d'enfant, alors je pouvais les scruter à loisir. Ces bijoux-là, c'était ma mère. Et aujourd'hui, quand mon regard s'arrête sur la bague que je porte quotidiennement, j'ai une pensée tendre, mais pas triste, pour elle. C'est comme un anneau qui nous relit et qui me permet aussi d'en parler à ma fille." 
Un anneau précieux et des maillons d'argent, difficile de trouver plus belle métaphore pour symboliser la transmission d'une mère à sa fille. Car, malgré ce qu'en diront les grincheux ascétiques, par-delà les legs spirituel et inconscient, c'est aussi par ces choses bassement tangibles que l'héritage s'opère. Par ces objets certes inanimés mais tant chargés d'affect.  
"Dans la relation mère-fille, comme plus généralement dans la relation parent-enfant, une grande partie de la transmission se fait à l'insu de celle qui transmet et de celle qui en est le réceptacle, explique le psychanalyste Jean-Pierre Winter, auteur de Transmettre (ou pas) (Albin Michel). La transmission s'opère de surmoi inconscient à surmoi inconscient. Mais elle se fait également par identification. En s'appropriant un objet, la fille va valoriser tel trait de sa mère. Ce n'est pas l'objet en lui-même qui importe, mais l'histoire qui se transmet à travers lui et qui, bien souvent, en dit long sur la relation."  
C'est un vêtement, un bijou, un parfum... Une petite madeleine de Proust qui cristallise ce lien filial si particulier que constitue la relation mère-fille. "Elles sont en miroir l'une de l'autre, explique le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez, auteur du Nouvel Ordre sexuel (Kero).  

La mère comme exemple


Elles s'observent, se comparent, avec, bien sûr, l'asymétrie des générations. Par essence, une fille va s'identifier principalement à sa mère. Et, contrairement au garçon qui, à un moment, va se détacher, la fille, elle, gardera sa mère comme le personnage central d'identification. D'où le sentiment d'arrachement vécu par chacune d'elle au moment de la séparation."  

Une difficulté de se séparer qui atteint son paroxysme au moment de l'adolescence. "A ce moment-là, la mère identifie chez sa fille les mêmes émois qu'elle a elle-même ressentis à cet âge, poursuit Serge Hefez. Cela lui donne envie de se rapprocher d'elle, mais, généralement, la fille ne le souhaite pas et la repousse, d'où des conflits parfois très durs et, surtout, de grosses frustrations et insatisfactions de part et d'autre."  

Les perles nacrées aux oreilles d'Héloïse


Comme pour Héloïse, 34 ans, redevenue très proche de sa mère après une adolescence houleuse. "Pour mes 15 ans, ma mère m'avait offert ses boucles d'oreilles à perles nacrées, qu'elle avait elle-même reçues pour sa confirmation. Je les ai prises pour ne pas faire d'histoires, mais je les ai tout de suite rangées dans un tiroir tellement ça me paraissait ringard, tellement ça me faisait penser à elle à l'instant où, justement, elle représentait tout ce que je ne voulais pas être. Jusqu'à ce que je retombe dessus par hasard, des années plus tard. Là, tout à coup, mon regard avait changé. Peut-être parce que j'avais grandi, mûri. J'ai compris qu'au-delà du style, des modes, des époques, ma mère essayait de me donner un petit bout de son histoire à elle. Je ne les porte pas tous les jours, mais, quand ça m'arrive, j'éprouve quelque chose de particulier, sans vraiment savoir quoi. Et, de son côté, ma mère est aux anges de savoir que j'ai accepté enfin ce cadeau, que j'ai longtemps cru empoisonné." 

Si aujourd'hui Héloïse accepte de s'approprier ces bijoux, c'est aussi parce qu'elle les porte différemment de sa mère. "Elle les mettait avec des tailleurs austères, dit-elle. Moi, je les porte avec des tenues beaucoup plus casual. Sinon, ça fait vieille bourgeoise." "S'identifier, ça ne veut pas dire être dans le mimétisme total, remarque Serge Hefez. C'est trouver le point d'équilibre entre héritage et création personnelle. Dans le cas présent, il s'agit de s'approprier en transformant: la fille va prendre tel élément de la garde-robe de sa mère, mais le porter autrement, pour ne pas reproduire la même silhouette." Objets qui parent les corps, le vêtement, le bijou ou le parfum renvoient à la question complexe de la transmission de la féminité. "La mère, c'est un grand magasin où la fille va puiser ce qu'elle veut, à tous les rayons, avant d'en faire ce qu'elle veut, observe Serge Hefez. Sauf à être dans le mimétisme ou le rejet total, qui relèvent l'un comme l'autre de la pathologie." 
C'est parce qu'elle ne pouvait -ou ne voulait- pas s'approprier le parfum de sa mère que Noémie a laissé le flacon sur le rebord de son miroir de salle de bains. "Autant un bijou ou un vêtement peut être réinterprété, autant un parfum, c'est entier, sans nuance possible. Le porter après ma mère, cela aurait été me l'approprier totalement et donc l'en déposséder, déshabiller mon souvenir. La dernière fois que j'ai ouvert le flacon, c'était pour faire sentir à ma fille combien sa grand-mère sentait délicieusement bon. Ça s'arrête là." Qui sait si, un jour, ce ne sera pas la petite-fille qui portera le parfum de sa grand-mère? "Bien souvent, c'est au moment de transmettre que l'on ouvre les yeux sur ce dont nous avons hérité, souligne Jean-Pierre Winter. La transmission n'est pas un processus unilatéral. Et, comme les héritages chez les notaires, il y a certaines choses que l'on accepte et d'autres que l'on refuse. Chacun de nous est ainsi, quand il en accepte le poids, responsable de ce qui lui est transmis." 

La calotte espagnole de Marta comme héritage de ses origines

"Dans les années 1930, en Espagne, il y avait encore beaucoup d'ateliers de confection. C'est à cette époque que ma grand-mère a acheté cette calotte en velours brodé. A l'adolescence, je l'ai retrouvée dans les placards de ma mère et je me suis dit que ce serait très élégant de la porter avec les cheveux lâchés. Ce n'est pas la seule chose que j'ai volée dans sa garde-robe.  
J'ai récupéré une chapka en fourrure que mon grand-père lui avait rapportée d'un voyage en Russie et en Finlande, des chaussures Charles Jourdan, un sac en cuir un peu punk... Autant d'objets qui racontent une histoire. Continuer à les remettre, c'est leur donner plusieurs vies. Je suis espagnole, alors porter ces pièces issues des armoires familiales est presque une thérapie contre le mal du pays, comme des talismans qui me renvoient à mes origines. Parfois ce sont des vêtements dont je détourne l'usage, comme ces voilettes dont les femmes se couvraient pour alller à la messe jusque dans les années 1960. Ado, je les nouais à la hanche sur une jupe!"  

L'ensemble que sa mère portait enceinte

"J'ai la chance d'avoir une mère qui aime les beaux vêtements. J'en ai donc récupéré plusieurs. Mon préféré est un ensemble en maille Missoni. Une jupe aux genoux couleur brique, moutarde, turquoise... à la taille élastique, avec un top dans le même motif et la même matière. Une tenue assez large, pas très sexy, mais très confortable. D'ailleurs, elle l'a achetée lorsqu'elle était enceinte de moi. Aujourd'hui, quand je pense au regard que, enfant, je portais sur ma mère, c'est avec cette jupe que je la vois, avec ses sandales rose lamé. 
Elle a toujours eu un sens aiguisé et original de la mode. Petite, conformiste comme j'étais, ça m'embarrassait, elle n'était jamais habillée comme les autres mères. Au fil du temps, j'ai fini par comprendre combien cette originalité n'était pas honteuse, mais enrichissante, au contraire. Bien m'en a pris, puisqu'il y a une dizaine d'années elle a fait un grand ménage dans sa garde-robe et m'a alors proposé cet ensemble; il est devenu ma tenue d'été par excellence. Je le porte parfois en intégralité, parfois dissocié. Je crois que je l'aime parce que j'adore les habits vintage, déjà portés. Le fait qu'ils aient traversé les modes et le temps est le gage de leur qualité.  

Je trouve aussi que cet ensemble a de l'allure. Il est élégant, chic et original. Enfin, il y a quelque chose qui m'émeut dans la boucle que cet ensemble a accomplie, de ma mère le portant dans les années 1970, lorsque j'étais dans son ventre, à moi le mettant toujours en 2013. Ce n'est pas que ça me bouleverse quand je l'enfile le matin, mais je trouve ça amusant. Ma mère est hyperfière de me voir porter ses vêtements, de voir que sa fille a validé ses choix et les perpétue. C'est aussi l'occasion de discuter. Ils deviennent un prétexte pour évoquer le passé, l'époque à laquelle elle les achetait. De la petite anecdote vestimentaire, on passe alors à quelque chose de plus profond et de plus intime." 
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