dimanche 10 mars 2013

L’écrivain qui n’existe pas, ce héros......


La tradition des canulars littéraire a de beaux jours devant elle : la preuve avec quatre personnages d’écrivains, héros de cette rentrée d’hiver, tous plus fictifs les uns que les autres. À moins que…

Le précurseur du polar nordique : Eric Swedeberg
Tout le monde connaît Stieg LarssonHenning Mankel et Camilla Läckberg, hérauts du roman policier scandinave. Mais on a oublié leur ancêtre, Eric Swedeberg, qui a marqué le genre d’une pierre blanche en 1962 avec Le démon des neiges. Swedeberg est d’autant plus important qu’il était aussi porté sur le formalisme, au point que des critiques l’ont considéré comme un émule du Nouveau Roman… Son nom ne vous dit rien ? C’est normal : Swedeberg est un canular imaginé par l’universitaire  Jean-Benoît Puech, habitué du genre puisqu’il est déjà l’inventeur de Benjamin Jordane, auteur fictif auquel il consacre depuis vingt ans de fausses rééditions, une fausse bio et même de faux actes de colloque… Dans cette veine, ce Roman d’un lecteur est une performance, puisqu’il analyse pas moins de neuf romans parfaitement imaginaires, ainsi qu’une fausse nouvelle signée Henry James ! Bourré de trompe-l’œil qui renforcent l’illusion (noms de critiques ou d’éditeurs réels, résumés plus vrais que nature, etc.), ce livre composé de livres est un bijou de mise en abyme, ludique et érudit, où on finit par ne plus savoir distinguer le vrai du faux. Au fait, il existe, Puech ?
Le génie psychopathe : Albert Dunkel
Au début des années 1980, un jeune romancier sorti de nulle part faisait fureur dans les librairies allemandes avec un premier livre génial et scandaleux. Son nom ? Albert Dunkel, alias Albert Hell (en allemand, dunckel signifie obscur, hell clair…). Toute la presse à l’époque s’est passionnée pour ce garçon lunaire et pas vraiment gâté par la vie, qui exorcisait ses démons dans la littérature fantastique. Malheureusement, la suite de sa carrière n’est pas à la hauteur des espoirs placés en lui : Dunckel devient narcissique, odieux et impossible, il dilapide ses gains, se sépare de sa femme et finit SDF à Bonn, où il va se mettre à assassiner des clochards… Écrivain de génie, tueur en série ! Tel est le sous-titre de cette fausse biographie composée par Michael Siefener à partir d’extraits de presse bidons et de témoignages inventés, à la fois ludique (l’illusion est parfaite, rien n’est invraisemblable) et fascinante (le personnage de Dunkel, bipolaire et inquiétant, est réellement touchant). Une belle supercherie, par un éminent héritier de la veine fantastique allemande.
L’intouchable au lourd secret : Camille Duval
En Suisse, son pays natal, il est tellement respecté qu’on a imprimé des billets de banque à son effigie : Camille Duval (1901-1974), génie ombrageux, est considéré comme un monument de la littérature du vingtième siècle, l’égal d’un Claude Simon ou d’une Marguerite Yourcenar, avec qui il a d’ailleurs entretenu une correspondance. Publié à l’époque par les éditions de Minuit, il est depuis entré dans la prestigieuse Pléiade, et fait l’objet d’innombrables travaux universitaires… Sauf qu’on ne s’explique toujours pas pourquoi, après une période de silence et un long exil en Alaska, il est revenu avec un style complètement différent et un roman considéré comme son chef-d’œuvre, Palliante. Et si on reprenait l’enquête à zéro ? C’est ce que fait l’héroïne de Carole Allamand dans ce premier roman drôle et enlevé, aussi efficace qu’un polar, avec en bonus une satire amusante de la recherche universitaire (articles abscons et charabia postmoderne à tous les étages), et un beau voyage à travers l’Amérique. Quant à Camille Duval, n’ayez pas honte de tout ignorer de lui : il n’existe pas.
Le best-seller télévisuel : Gary Montaigu
Il vend des livres par centaines de milliers, il est admiré par ses pairs, il vient de recevoir le prestigieux International Book Prize : tout va bien pour Gary Montaigu, l’un des écrivains les plus populaires de sa génération. Mais cet idéaliste en voudrait plus : désireux de mettre la littérature à la portée de tous et de ramener vers l’écrit des populations focalisées sur l’image, il accepte de devenir la vedette d’un show de téléréalité, Un écrivain, un vrai. Filmé en permanence par une caméra, il soumet chaque jour son manuscrit au vote des téléspectateurs, qui peuvent dire s’ils aiment l’histoire. Sauf que la production fourre son nez dans son travail et que, pour pimenter sa vie, elle le flanque d’une journaliste missionnée pour le charmer, et déclencher ainsi une scène avec son épouse… La louable entreprise d’éducation populaire va-t-elle tourner au fiasco ? À travers son personnage naïf et touchant, Pia Petersen oppose la liberté des écrivains au formatage industriel des storytellers et autres manipulateurs d’opinion. Un message louable, mais qui enfonce hélas une porte ouverte, avec en outre une construction un peu artificielle (pendant le show / 6 mois après) qui limite un peu l’intérêt de ce roman par ailleurs sympathique.
Photo à la une : Barton Fink, © Mission

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