Haro sur Riyad depuis l'exécution du cheikh al-Nimr... Mais le royaume est un partenaire stratégique que personne n'a intérêt à déstabiliser. Surtout pas Paris.
C'est entendu : l'Arabie saoudite a une conception des droits de l'homme qui, de toute évidence, ne puise pas son inspiration dans les publications d'Amnesty International. La peine de mort y est massivement appliquée. Les condamnés – en très grande majorité de droit commun – ont généralement la tête tranchée au sabre devant les mosquées à la sortie de la prière du vendredi.
On décapite comme on déboise. L'amputation de la main droite des voleurs tient lieu de casier judiciaire et les coups de fouet pleuvent comme à Gravelotte. L'ordre moral est imposé par un carcan d'acier sur lequel veillent les mutawa, la police religieuse gardienne du temple wahhabite.
L'exécution du cheikh Nimr Baqer al-Nimr n'a vocation à apaiser les tensions ni avec la communauté chiite du pays (environ 15 % de la population) ni avec l'Iran, comme l'a démontré la mise à sac par des manifestants de l'ambassade saoudienne à Téhéran.
Alors s'élève comme toujours, en pareilles circonstances, le chœur unanime des indignés professionnels qui pensent que la politique étrangère ne peut s'édifier qu'avec les États qui partagent nos valeurs : « Rompons nos relations avec ce pays féodal, cessons de lui vendre des armes, boycottons ce système rétrograde et inhumain. » Excellent programme.
Du moins si l'on veut, à terme, déstabiliser un pays-clé pour l'équilibre de toute la région et, accessoirement, pour les intérêts de la France. Car, avant de fulminer des anathèmes, tentons d'examiner sans passion la réalité saoudienne.
L'Arabie est fragilisée par le terrorisme
« Les Saoudiens ont beaucoup péché par le passé », admet un diplomate familier du royaume. Les prêcheurs wahhabites ont – nolens volens – préparé le terrain idéologique au djihadisme. Certains princes (il y en a 4 000 dans le pays) ont fermé les yeux sur les financements qui irriguaient des organisations proches du terrorisme. Les services de renseignement ont parfois voulu jouer au plus fin. Mais les attentats commis au cœur même du royaume ont sonné comme un réveil brutal. Et l'expansion de Daech a définitivement vacciné Riyad. Même s'il existe encore des zones d'ombre, la monarchie wahhabite classe désormais le djihadisme comme un danger mortel.
« La première cible de Daech et d'Al-Qaïda, c'est le coffre-fort saoudien et le contrôle des lieux saints de l'islam », estime un spécialiste du royaume. Les 46 personnes exécutées le même jour que Nimr Baqer al-Nimr étaient, presque toutes, des sunnites accusés de terrorisme. La mort du cheikh chiite constitue sans doute une sorte de gage donné aux éléments les plus conservateurs pour faire avaler celle des terroristes sunnites.
L'Arabie a sauvé l'Égypte du chaos
Sans le soutien financier saoudien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi n'aurait pu s'imposer face aux Frères musulmans de Mohamed Morsi. Ni acquérir les 24 avions Rafale et les deux navires Mistral que la France lui a vendus. Riyad a toujours considéré l'Égypte comme sa profondeur stratégique et les Frères musulmans comme un danger existentiel pour les monarchies conservatrices. Washington a suivi ce processus avec une certaine méfiance et les Saoudiens ont peu apprécié que l'Amérique laisse tomber l'Égypte. D'où un renforcement des liens anciens avec la France.
La légitimité de la monarchie reste religieuse
Le pacte a été scellé au XVIIIe siècle entre un chef de guerre, Mohammed Ibn Saoud, et un prédicateur partisan d'un retour aux sources de la pratique religieuse et sociale : Mohammed ben Abdelwahhab, sorte de Luther musulman. Cette alliance du sabre et du goupillon est le fondement de la légitimité du royaume. S'il existe une élite jeune et plutôt moderniste tournée vers l'Occident et à 80 % formée aux États-Unis, la réalité sociologique de l'Arabie ne se résume pas à cette minorité.
La société saoudienne demeure profondément conservatrice et toute tentative d'évolution brutale risquerait de faire exploser un pays qui est (avec l'Iran) le plus gros réservoir à pétrole du Moyen-Orient. Le roi Salmane a resserré le système autour du clan des Soudeyri, du nom de l'une des épouses de son père, le roi Abdelaziz, fondateur de l'Arabie moderne.
Le cheikh Nimr Baqer al-Nimr était un agitateur chevronné
Même si son exécution est, bien sûr, injustifiable, le cheikh chiite n'était pas, si l'on ose dire, un enfant de chœur. Formé en Iran, il était revenu dans son pays en 1994. Chaque vendredi, il prononçait depuis la mosquée Imam Hussein d'Awamiya, sa ville natale de l'est, des prêches enflammés. En 2009, il avait particulièrement irrité les autorités en lançant un véritable appel à la sécession, préconisant le rattachement de la province orientale (majoritairement chiite) au royaume de Bahreïn, lui aussi chiite bien qu'administré par une dynastie sunnite.
À la mort de Nayef en 2012, une vidéo circulant sur les réseaux sociaux montrait Nimr se félicitant bruyamment de la disparition du prince héritier. « Que les vers le mangent », avait-il délicatement déclaré. Hasard ? Son fils Mohammed Ben Nayef est aujourd'hui lui-même prince héritier et ministre de l'Intérieur. La vengeance est un plat qui se mange froid.
La France n'a pas à choisir entre l'Arabie et l'Iran
« L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, elle n'a que des intérêts permanents », disait Lord Palmerston, maître d'ouvre de la politique étrangère britannique durant une bonne partie du XIXe siècle. La France, elle, a tout intérêt à préserver son partenariat avec l'Arabie saoudite tout en reprenant pied en Iran. L'exercice est délicat, la ligne de crête plutôt étroite, mais, après tout, les diplomates sont payés (pas autant qu'on ne le croit…) pour concilier l'inconciliable et faire entrer les carrés dans les ronds.
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