mercredi 6 janvier 2016

Et si 130 Juifs avaient été tués? Aucune réaction?




Un an après l’attentat de l’HyperCacher qui a fait quatre morts, beaucoup de clients et de voisins estiment qu’il y a un manque de solidarité nationale envers la communauté juive. François Hollande se rend sur place pour dévoiler une plaque commémorative.
« On combat la peur par le courage. » Ce mantra, Abrahm le répète à l’envie. A 22 ans, ce jeune homme de confession chrétienne est employé depuis quelques mois à l’Hyper Cacher, porte de Vincennes à Paris, théâtre de la prise d’otage sanglante menée par Amedy Coulibaly le 9 janvier 2015. « Je suis ici par choix », explique-t-il avec fierté. Son ambition: « Donner un bon exemple et construire un monde meilleur pour ses deux enfants. » Un an après ce tragique épisode, L’Express est allé à la rencontre des clients et du personnel de l’HyperCacher, cible du terroriste. 

Des clients nombreux et pressés

En cette veille de Sabbat, les clients sont nombreux à se ravitailler dans le supermarché. L’atmosphère pourrait être banale pour un petit supermarché à cette heure de pointe, au détail que chacun semble pressé et ne s’attarde pas. La fébrilité est palpable. Lassé de voir des journalistes, le gérant Marc annonce la couleur: « Vous êtes du Monde, de L’Express, de RTL, allez-y faites ce que vous avez à faire ». Il est en poste depuis quatre mois et affirme ne pas penser tous les jours au 9 janvier. « Le Bataclan m’a aussi beaucoup bouleversé. J’ai travaillé des années juste derrière, rue Amelot », insiste-t-il. 
Refaite à neuf, la supérette a rouvert le 15 mars dernier. Sa façade noire a laissé place à un magasin blanc. On peut toujours lire « Hyper Cacher » sur la devanture. Cependant, cette indication est beaucoup moins visible qu’auparavant.  
Tout d’un coup, un chien aboie en direction d’un soldat posté à quelques mètres de l’entrée. Un imposant dispositif militaire est présent sur les lieux, depuis les attentats du 13 novembre. Mais toute l’année, des liens se sont tissés avec les forces de l’ordre, policiers et militaires. « Ce sont des gens extraordinaires, qui nous protègent au péril de leur vie. Nous avons organisé une récolte de fonds pour Noël pour leur exprimer notre gratitude », insiste Bruno Smia, le président de la communauté juive de Vincennes, qui regroupe entre 3000 à 4000 familles, avec parmi elles des survivants de la prise d’otages. 

« Je suis Yoav, Yohan, Phillipe et François-Michel »

Des barrières entourent l’Hyper Cacher sur un large périmètre. Longtemps recouvert de fleurs, de couronnes et de bougies, il ne reste plus que quelques bouquets de roses en mémoire des quatre victimes d’Amedy Coulibaly. Un drapeau français et quelques affiches subsistent. Sur l’une d’elle, on retrouve le nom et les photos des disparus. « Je suis Yoav Hattab, Yohan Cohen, Philippe Braham et François-Michel Saada », à côté d‘une affiche qui commence par « Je suis Charlie », rappelle aussi les 17 morts des attentats de janvier.

Charlotte Lazimi

Un peu plus loin, une troisième pancarte rend hommage aux quatre morts du Musée juif de Bruxelles, tués par le Français Mehdi Nemmouche

Charlotte Lazimi

« Que se serait-il passé si 130 Juifs avaient été tués? »

« Cette présence militaire ne me rassure pas du tout, explique Sarah, 24 ans, chargée d’un sac de courses, presque plus gros qu’elle. Ils sont là pour dissuader. Mais, nous savons que cela va recommencer. » Si elle s’est décidée à revenir ici après de longs mois, c’est surtout « par solidarité ». 
Comme beaucoup, elle dit avoir mal au coeur en pensant aux victimes et leurs familles. Au-delà de sa tristesse, elle ne cache pas sa déception. « Je n’ai pas apprécié qu’on nous fasse remarquer que pour les morts de l’Hyper Cacher, ‘c’était différent’. Différent de quoi? Que se serait-il passé si 130 Juifs avaient été tués? Probablement rien, comme en 2012 avec Mohamed Merah« , déplore-t-elle.  
D’autres se demandent jusqu’à quand cette protection sera possible. Julie, 36 ans, en poste comme commerciale, habite à quelques rues. Où qu’elle aille, la peur ne quitte pas cette mère de trois enfants. « Je ne me sens en sécurité nulle part. Mes enfants sont à l’école juive, et j’ai peur tous les matins en les déposant à l’école », dit-elle. 
Entre fatalisme et tristesse
Lorsque qu’on les interroge, certains sont fatalistes. D’autres ont envie de résister. « De toute façon, dès qu’il se passe quelque chose en France, cela rebondit forcément sur la communauté juive », regrette Laurent, 48 ans, un casque de moto à la main. « D’ailleurs, s’il n’y avait pas eu Charlie Hebdo, personne ne se serait mobilisé pour les quatre personnes tuées ici », renchérit Baruch, un Néerlandais, qui habite à Paris depuis des années.  
« La communauté juive est blessée« , analyse Bruno Smia. Cela fait longtemps que le signal d’alerte a été donné. » Et la liste est longue pour ce dernier. « Pendant la seconde intifada dans les années 2000, il y a eu une recrudescence des actes antisémites. Les politiques ont préféré jeter un voile pudique sur ce phénomène. On nous répétait que c’était circonstanciel. 
Puis, il y a eu Ilan Halimi il y a dix ans, les assassinats de Merah en 2012. L’été précédent, on criait dans la rue « mort aux Juifs » dans des manifestations pro-palestiniennes à Paris. On est passé à l’acte en janvier 2015″, conclut Bruno Smia. Aujourd’hui, il estime que la communauté nationale est visée, comme la communauté juive. « Nous sommes désormais tous des cibles. Nous ressentons la même chose », dit l’un d’eux. 

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