La question n’est plus de savoir si ce régime sera un jour renversé, mais seulement quand il le sera.
Ge jeudi, grande première en Égypte : une seconde voie navigable sera inaugurée sur le canal de Suez. Ainsi, près d’une centaine de bateaux pourront bientôt traverser les 72 kilomètres du canal en question, contre moins d’une cinquantaine aujourd’hui.
Ce grand œuvre, réalisé par le Français Ferdinand de Lesseps il y a 146 ans, est partie constituante du nationalisme égyptien, surtout lorsque nationalisé par Gamal Abdel Nasser en 1956. Pour l’actuel président, le maréchal Sissi, cela n’a rien d’anodin.
En effet, après avoir renversé Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, premier président démocratiquement élu du pays et condamné à mort, il lui faut au plus vite trouver une légitimité religieuse et faire oublier les 1.400 manifestants récemment assassinés en pleine rue et les dizaines de milliers d’opposants mis en prison de la manière la plus arbitraire.
Pour cela, il lui faut jouer serré. Certes, ces travaux largement financés par l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe devraient relancer une économie moribonde, car plombée par la baisse vertigineuse du tourisme. Il est néanmoins à craindre pour lui que cela ne suffise à consolider une autorité de fait chancelante. En effet, pour cette Égypte, autrefois cœur du monde arabo-musulman, la donne a changé.
Malgré une politique étrangère de plus en plus erratique, la Turquie d’Erdoğan lui a damé le pion, que ce soit en matière politique et culturelle ; les séries télévisées turques sont même en passe de remplacer leurs homologues égyptiennes que tout l’Orient biberonnait naguère.
Pis : en persécutant à nouveau les Frères musulmans, en condamnant deux journalistes d’Al Jazeerah à de lourdes peines de prison pour avoir dénoncé les violences policières plus haut évoquées, Le Caire entretient des rapports de plus en plus tendus avec ses interlocuteurs internationaux, même ceux qui, autrefois, étaient les plus bienveillants.
Dans le même temps, la montée en puissance de l’Iran qui, même chiite, a ceci de commun avec la Turquie sunnite de posséder des institutions politiques stables et globalement respectées par leurs peuples respectifs. Bref, l’Égypte se retrouve aujourd’hui prise en tenaille par ces deux puissants voisins. Pour tout arranger, la lutte contre Daech…
Comme souvent dit en ces colonnes, la politique d’Ankara est fluctuante, parasitée de plus par son éternel tropisme anti-kurde. Celle de Téhéran est autrement plus claire. Et celle de l’Égypte ?
Elle s’annonce de plus en plus délicate, surtout lorsque l’on sait que Barack Obama veut s’appuyer sur les Frères musulmans pour lutter contre l’État islamique, Frères musulmans ayant été récemment reçus à la Maison-Blanche, Frère musulmans que le maréchal Sissi persécute, Frères musulmans que finance le Qatar et Frères musulmans que l’Arabie saoudite combat par ailleurs.
Dans un tel imbroglio, une grande nation souveraine pourrait éventuellement surnager et tirer son épingle du jeu. Mais l’Égypte n’est pas, n’est plus une grande nation souveraine, depuis la mort de Nasser. À l’instar d’Israël, on pourrait même dire qu’il s’agit d’une armée s’étant dotée d’un État, alors que le traditionnel ordre des choses commanderait plutôt le contraire. Cette armée est parvenue à étouffer dans le sang son premier « printemps arabe ». Qu’en sera-t-il du second ?
Pour tout arranger, Le Caire pratique à l’égard des Palestiniens de Gaza un blocus que même les Israéliens n’auraient jamais osé mettre en œuvre ; politique qui fait de l’Égypte un des pays les plus haïs et méprisés du monde arabe. Après la perte de légitimité religieuse, celle de la légitimité politique ? Les deux, mon maréchal !
De fait, la question n’est donc plus de savoir si ce régime à bout de souffle sera un jour renversé, mais seulement quand il le sera. Et il est à craindre que, pour lui, il y ait plus de crachats que de pleurs à son enterrement.
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