Posée à l'entrée des grandes serres du Muséum national d'histoire naturelle sur un bassin d'eau presque gelée, une calèche couverte d'une dentelle de coquillages semble tout droit sortie des pages d'un livre animé. Son corps de métal et son assise de bois flotté, tous deux habillés de la même dentelle, attendent des mariés qui se sont sans doute égarés ou alanguis dans l'atmosphère chaude et humide de la forêt tropicale des serres du Jardin des plantes.
Et, de fait, à l'intérieur, entre ficus et palmiers, bananiers et lianes, fougères et orchidées, c'est à une étrange cérémonie que l'on assiste. Celle des « Noces végétales », imaginées par le designer textile Tzuri Gueta, inventeur d'une nouvelle matière : la dentelle siliconée.
ENTRE FLEURS ET CORAUX
Il la met en scène jusqu'au 2 février au coeur des grandes serres, entre les vraies et fausses plantes, entre la végétation entretenue par les mains expertes des botanistes et jardiniers du Muséum et les fils, îlots, broderies et parures de silicone qu'il a créés et disposés ici ou là.
Tel ce portique, suspendu comme un rideau, fait de lianes en dentelle aux motifs très botaniques, entre fleurs et coraux. Telles ces grappes et cascades, qui ruissellent et dégoulinent comme autant d'authentiques sources d'eau et de sève. Ou ces nénuphars épars sur les bassins et ces nids d'oiseau, cachés au creux des arbres, recouverts de maille de silicone…
Citons encore ces deux arbres que Tzuri Gueta a habillés en mariés, les moulant d'un fourreau de dentelle imprégnée de silicone – blanche pour elle, noir pour lui –, d'où, à certains endroits, l'écorce parvient à s'extraire… Habiller des arbres en mariés ? Evident pour Tzuri Gueta, qui précise : « Parce que mon principal métier est de créer des vêtements. »
Quand on lui demande quel est donc ce métier qui lui permet d'inventer, à la fois, des textiles inédits pour les plus grands noms de la haute couture – Thierry Mugler, Chanel, Christian Lacroix, Issey Miyake, Jean Paul Gaultier ou Dior, Givenchy ou Armani –, de créer des bijoux, d'habiller des objets et de présenteraux grandes serres des oeuvres à l'inspiration résolument organique, il raconte.
Son parcours, ses études d'ingénieur textile à Tel-Aviv, en Israël. Puis son installation à Paris en 1998, après avoir obtenu un master et rencontré sespremiers succès avec les commandes de Thierry Mugler. Et surtout son goût pour la recherche et l'exploration, son penchant pour cette matière naturelle issue du silicium qu'il découvre et expérimente : le silicone. Qu'il va s'approprier au point dedéposer un brevet de « dentelle siliconée », en 2004.
Quand on l'interroge sur cette étrange matière, il sait d'avance que celle ou celui qui a posé la question risque de s'en retourner sans avoir tout compris. Mais, de sa voix calme, grave et posée, il raconte encore. « J'utilisais le silicone pour collerdes morceaux de textile comme d'autres les assemblent à la machine à coudre. J'aimais cette matière souple, aux grandes qualités artistiques, capable de semélanger parfaitement aux pigments de différentes couleurs et aux paillettes. J'aimais aussi son côté double.
Si proche de la peau humaine. Si bénéfique aussi, au point qu'elle sert à la chirurgie notamment pour réaliser des prothèses mammaires. Et si détestée pour les mêmes raisons… »
DES EFFETS DE PERLES TROUBLANTS
Il pense alors à une technique nouvelle : injecter le silicone dans le tissu, afin decréer sur le textile des volumes et des effets de perles troublants, imitant des textures organiques ou végétales. « C'est comme du miel, une pâte sans forme initiale que l'on sculpte, modèle et injecte dans le tissu. »
Depuis, cette dentelle siliconée est au coeur de toutes ses créations : textile pour haute couture, bijoux, lustres, paravents, canapés, etc.
Il crée ainsi pour Ted Lapidus le tissu d'une robe dont la manche est équipée d'un téléphone portable et des béquilles pour le final d'un défilé de Jean Paul Gaultier. En 2011, il réalise la robe poétique et futuriste de l'actrice américaine Milla Jovovich incarnant Milady dans la dernière version cinématographique des Trois Mousquetaires.
Les robes de princesse que portera Léa Seydoux dans le film La Belle et la Bête, dont la sortie est prévue en février, c'est encore lui et sa matière fétiche. Au premier Salon des métiers d'art, « Révélations », qui a eu lieu en septembre 2013 au Grand Palais, son bracelet Chardon a fait sensation et son étrange vélo (Récif), envahi par des algues et des anémones en silicone, a rejoint les collections du Musée d'art contemporain de Tel-Aviv.
N'empêche, devant les vitrines de son atelier-galerie du viaduc des Arts, dans le 12e arrondissement de Paris, les passants s'arrêtent, toujours surpris devant cette étrange matière.
« SPÉCIALEMENT POUR CET ENDROIT »
Pour l'exposition qu'il présente aux grandes serres, tout a commencé par un concours lancé par les Ateliers d'art de France. « Plutôt qu'un concours, il s'agissait de répondre à une question : quel lieu choisiriez-vous à Paris pourprésenter votre travail ? J'ai répondu : “les serres du Muséum”.
Et j'ai remporté le concours. J'ai donc conçu des pièces spécialement pour cet endroit. »
Et Tzuri Gueta d'expliquer combien il se sent à son aise dans ce lieu, carrefourentre nature et science, histoire et recherche. « Moi aussi, je travaille dans mon atelier comme dans un laboratoire. » Il évoque son lien avec la nature. « J'ai passé une bonne partie de mon enfance dans un kibboutz en Israël, entre mer et champs, en contact permanent avec les éléments. Aujourd'hui, je garde entière cette proximité charnelle si touchante avec la nature, jusque dans mon travail. »
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