La berline 100% électrique qui a séduit des stars comme George Clooney est californienne. Son constructeur vaut en Bourse le double de PSA et Fiat réunis.
Alors que s'est ouvert vendredi le Salon de l'automobile de Los Angeles, le constructeur californien Tesla Motors fait sensation, ces jours-ci, à cause de trois incendies accidentels sur sa berline Model S… et la chute consécutive de son action, qui a perdu un tiers de sa valeur depuis début octobre. Son PDG Elon Musk a même dû tweeter, pour défendre son bébé : "Pourquoi un accident sur Tesla qui ne fait pas de blessé suscite davantage de titres de presse que 100.000 incendies de voitures à essence qui tuent des centaines de gens tous les ans ?".
C'est la rançon de la célébrité pour la start-up automobile de la Silicon Valley et son patron serial-entrepreneur, devenus ces derniers mois les chouchous des médias américains. Il est probable que l'action Tesla Motors n'ait pas fini sa glissade : même au cours du jour (119 dollars), le titre est encore en hausse de… 270% depuis janvier 2013 ! Elon Musk lui-même a d'ailleurs reconnu, en inaugurant son showroom londonien, que cette valorisation n'était pas justifiée. Pourquoi en effet le nain Tesla - qui produit 21.000 berlines cette année et à peine le double en 2014 - vaudrait-il en bourse quelque 12 milliards d'euros - deux fois plus cher que Peugeot PSA et Fiat, fabriquant à eux deux 6 millions de véhicules ?
Alors, Tesla amorce-t-il une sortie de route, comme Better Place ou Fisker ? Non : car ces récents déboires ne gomment pas le parcours impressionnant de cette société, créée en 2003. En produisant un modèle qui séduit aussi bien les vedettes de Hollywood que les geeks de la Silicon Valley ou les grosses fortunes européennes (la "Model S" était la voiture la plus vendue en Norvège en septembre, toutes marques confondues !), Tesla Motors a rendu la voiture électrique désirable. Et changé la façon dont l'industrie automobile mondiale pense à l'électrique.
Une voiture "sexy"
La Tesla "model S" a été acclamée par tous les magazines auto de la planète. Cette berline familiale lancée en 2012 est un peu à la voiture électrique ce que l'iPhone a été au smartphone. Et ses conducteurs en parlent avec des trémolos dans la voix. Ce qu'ils aiment ? L'élégance du design extérieur et intérieur, l'autonomie, la tenue de route, la puissance d'accélération (0 à 100 km/h en 5,6 secondes), l'écran de navigation 17 pouces tactile, le toit ouvrant, le coffre avant, la possibilité d'ajout de deux sièges enfants à l'arrière… Même Juris Shibayama, le docteur du Tennessee qui a vu sa Tesla prendre feu début novembre, après qu'elle a heurté une pièce de métal à 110 km sur une autoroute, a tenu à expliquer sur le blog de la société… qu'il en rachèterait une à la seconde ! Le tableau de bord électronique du véhicule l'avait en effet prévenu, moins de deux minutes après le choc, qu'il devait s'arrêter sur le bas-côté et quitter l'habitacle…
Une autonomie record
La réussite de Tesla ne se comprend qu'à la lumière des deux intuitions de son fondateur originel, Martin Eberhard. Cet ingénieur de la Silicon Valley, depuis éjecté de la société par Elon Musk, savait que pour que les gens envisagent d'acheter une voiture 100% électrique, il fallait que sa batterie soit assez puissante pour conjurer l'angoisse de la panne. Il a alors imaginé mettre au point un assemblage de cellules lithium-ion, semblables à celles utilisées dans les téléphones et ordinateurs portables. L'énorme batterie logée sous le plancher de la "Model S" procure ainsi 390 à 502 kilomètres d'autonomie, selon sa puissance (65 kWh ou 85 kWh).
Et puisqu'une batterie si performante coûte 10.000 à 15.000 dollars, Tesla savait qu'il n'était pas question de se battre sur les prix : la start up a d'emblée imaginé produire des voitures haut de gamme, des petits bijoux qui vont de 60.000 à 120.000 dollars pièce. D'où un plan de route conduisant du "roadster" sportif, à la berline Model S… puis, dans quelques années, un modèle de 3ème génération, deux fois moins cher. Pour ce prix-là, Tesla s'engage à fournir un service très haut de gamme, tant en boutique que sur l'après-vente. Surtout : elle a investi dans un réseau de "superchargeurs" (la moitié de la batterie en 20 minutes) dont l'usage est gratuit pour ses clients. Un propriétaire californien peut déjà conduire de San Diego à Vancouver sans bourse délier pour recharger son bolide.
Une société agile
A l'étonnement général des analystes du secteur, Tesla a réussi à damer le pion à Detroit et à ses concurrents européens et asiatiques, sans expérience ni moyens. Son arme fatale ? Une culture du "tout est possible", inscrite dans l'ADN des jeunes pousses high tech de la Silicon Valley. Avec trois mots d'ordre : réactivité, frugalité, créativité. Et évidemment travail acharné. Comme l'explique son responsable mondial des ventes et du service Jérôme Guillen, un Français transfuge de Daimler, Tesla n'aurait pas réussi à passer du prototype du Model S aux premières livraisons en moins de 3 ans, sans une prise de décision ultra rapide. "Même si ce que l'on fait n'est pas parfait, on peut améliorer les choses plus vite que n'importe quel concurrent". Elon Musk, à la fois actionnaire principal, PDG et ingénieur en chef, est un patron exigeant et pressé. Pragmatique, il n'hésite pas à faire valser les managers, ni à changer d'avis quand il l'estime nécessaire.
Un management à la hussarde qui porte ses fruits : Tesla dispose à Fremont d'une usine d'une capacité de 500.000 voitures par an, reprise pour une bouchée de pain en pleine crise. La société a su nouer des partenariats solides avec Panasonic (pour ses batteries), Daimler et Toyota, qui ont à la fois des accords commerciaux et un bout de son capital. Et même si elle est légèrement repassée dans le rouge au 2ème et 3ème trimestre, Tesla Motors a annoncé des profits au premier trimestre 2013. Une prouesse sur les voitures électriques, source de pertes pour tous les constructeurs concurrents.
Un patron hors norme
Tesla ne restera peut-être pas éternellement indépendant. Mais elle a déjà réussi l'impensable. Car son actif le plus solide est sans doute son patron, un entrepreneur acharné, que la presse américaine compare tantôt à Steve Jobs, tantôt à Henry Ford. Immigrant, visionnaire et entêté, Elon Musk, 42 ans, incarne à lui seul l'esprit pionnier et le goût du risque qui font des Etats-Unis le champion sans cesse renouvelé de l'innovation.
Né à Pretoria d'un père sud-africain et d'une mère canadienne, il préférait déjà, à 12 ans, construire des fusées et inventer des jeux vidéo que de jouer avec ses camarades, qui le surnommaient "muskrat" (rat musqué). Plutôt que de faire son service militaire au pays de l'apartheid, il est parti à 17 ans pour les Etats-Unis, "le pays où tout est possible". Après des études physique et d'économie à Wharton, il a fait plusieurs fois fortune comme co-fondateur de deux start-ups de la Silicon Valley : Zip2… et X.com, devenue Paypal.
Mi-août, Elon Musk a fait don à la collectivité de ses plans pour "l'hyperloop", un train futuriste qui relierait San Francisco à Los Angeles en 30 minutes. Avec sa société Space X, qui met des satellites en orbite, il ambitionne à terme de produire une fusée spatiale "100% réutilisable". Investisseur dans Solar City, le premier installateur de panneaux solaires du pays (créé par ses cousins), il pense que le solaire deviendra la principale énergie des Etats-Unis d'ici 2030… Il est aussi persuadé qu'avant la fin du siècle, l'homme aura colonisé Mars !
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