vendredi 10 mai 2013

Pourquoi priverait-on Bob Dylan de la Légion d’honneur ?


Encore un de ces psychodrames dont la France a le peu enviable secret : Bob Dylan aura-t-il ou non la Légion d’honneur ? 
Il y a ceux qui iraient à genoux à l’Élysée pour se la faire épingler et d’autres, dont l’honneur consiste à la refuser. Bernard Clavel, par exemple, dans Libération, le 3 janvier 1998 : 
« Si je l’acceptais, ce serait me renier. Mon oncle Charles l’a reçue parce qu’il avait abondamment versé son sang pour son pays dans la pire boucherie qu’ait connue l’humanité. Je pense qu’il se retournerait dans sa tombe en me voyant porter le même ruban que lui. » 
Mieux : « Je tiens à rester dans le clan de ceux qui l’ont refusée où je côtoie Berlioz, George Sand, Littré, Courbet, Daumier, Maupassant, Eugène Le Roy et l’un des écrivains que j’admire le plus, Marcel Aymé. Je ne me sens pas mal du tout à l’ombre de ces géants. » La classe…
On objectera qu’à l’origine le hochet en question, pour lequel tant de cuistres furent prêts de longue date à toutes les reptations idéologiques et intellectuelles, n’était pas destiné qu’aux seuls militaires, mais aussi à ce que l’on ne nommait pas encore la « société civile ». Napoléon Bonaparte estimait que la France s’honorait aussi à décorer ses savants.
Bon, après, il y eut Johnny Hallyday et Enrico Macias, pour lesquels la médaille des Arts et Lettres aurait amplement suffi. Aurélie Filippetti donc, ministre de la Culture, a proposé le barde à voix de crécelle à la rosette rouge.
Là où ça bloque, c’est du côté du général d’armée Jean-Louis Georgelin, grand chancelier de la Légion d’honneur, qui aurait mis son veto à cette nomination, à en croire Le Canard enchaîné du 7 mai dernier, au motif que Bob Dylan aurait tenu des propos pacifistes durant la guerre du Viêt Nam tout en faisant usage de stupéfiants. 
Culottes de peau et traîneurs de sabre ne sont pas toujours réputés pour leur clairvoyance ; mais là, la ligne bleue des Vosges est franchie à pas de charge. 
Pacifisme ? Roger Holeindre, l’un des plus jeunes résistants de France, décoré en Indochine et en Algérie, et accessoirement membre fondateur du Front national, fut aussi pacifiste à trois reprises. 
Durant la première guerre du Golfe, puis à l’occasion de la seconde, tout en s’opposant à celle d’Afghanistan, estimant à juste titre que la guerre américaine contre le « terrorisme musulman »avait bon dos, tout comme celle menée contre l’impérialisme communiste, sachant que nos amis d’outre-Atlantique avaient, en amont, financé l’ensemble du bazar. 
Ben Laden, ancien employé de la CIA. Talibans faisant figure de coproduction américano-pakistanaise. Viêt Minh et FLN algérien stipendiés par les mêmes officines. 
Quant aux substances opiacées, Raoul Salan, chef de l’OAS, mouvement dont le même Roger Holeindre fit aussi partie, dut sûrement en absorber quelques camions de plus qu’un… Bob Dylan.
Dans le cas de ce dernier, le mieux consiste encore à se rapporter aupremier tome de ses mémoires, publiés en 2004 : « J’avais plein d’idées dans la tête, quand j’étais petit, avant de savoir que je deviendrais chanteur. J’ai même eu envie de partir à West Point. 
Je me suis longtemps imaginé mourir au champ d’honneur, en un combat héroïque, surtout pas dans mon lit. 
» La contre-culture ? « C’est une véritable tempête de merde qui s’abattait. Et tout commençait à brûler. Les soutiens-gorge, les livrets militaires, les drapeaux américains. […] La psyché du pays allait changer, ce serait la nuit des morts-vivants. 
»Quant à avoir été pacifiste – jamais au grand jamais Bob Dylan n’a dit ce qu’il pensait de la guerre du Viêt Nam – inutile de chercher chez lui la moindre trace d’une quelconque voix messianique d’une génération : 
« Les ténors de la presse continuaient de faire de moi l’interprète, le porte-parole, voire la conscience d’une génération ! » Une blague, déjà…
Et – de quoi faire honte à Aurélie Filippetti, midinette inculte, et au général Georgelin, adjudant Ratapoil en chef – que dit l’incriminé des gauchistes d’alors ? « Chez moi, les tapeurs et les tordus venaient en pèlerinage de Californie. 
Les premiers étaient de simples vagabonds qui violaient la propriété – apparemment inoffensifs, mais suivis rapidement par des gauchistes crapuleux venus voir le prince de la contestation, des gens aux tenues les plus étranges, des filles à têtes de gargouille, des épouvantails, des traîne-savates décidés à piller le garde-manger et à faire la fête. »
Bob Dylan se retrouva fort marri lorsque le shérif du coin lui assura qu’il ne pouvait faire usage de sa Winchester pour virer les pouilleux de chez lui. 
Il est un fait que ses penchants politiques et culturels allaient plutôt vers l’autre bord de la rive. Il révérait Barry Goldwater, sorte de Jean-Marie Le Pen en moins gauchiste ; et John Wayne, qui n’était pas précisément membre bienfaiteur des Black Panthers… 
Toujours dans ses mémoires, l’homme dit aussi du bien – en tout cas pas de mal – de David Duke, ancien du KKK.
Drôle de gauchiste…
Nicolas Gauthier, le 11 mai 2013

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