samedi 18 mai 2013

"L'alcool finit par vous emmener aux portes de la folie et de l'enfer"


Relais de la justice, les thérapies anti-addiction ont aussi leurs limites, celles de la nature humaine accrochée à un mal qui la dépasse. Témoignage.

"Je ne l'ai pas vu venir... L'alcoolisme est ancré en moi et y restera jusqu'à la fin de mes jours." Cette confession d'un condamné en fin de peine résume à elle seule le voyage sans retour dans l'abîme de l'alcool. 
Dans le miroir de ce regard lucide sur son addiction se reflète l'acte qui a valu à son auteur une peine de huit ans de prison : une dispute qui a dégénéré, où sa compagne du moment, aussi ivre que lui, est décédée après être passée par-dessus une rambarde d'escalier...

"L'alcool est le quotidien de notre justice"

Loin de l'alcool gai, triomphant et élitiste, des "princes incognito (...) pour qui la boisson introduit une dimension supplémentaire dans l'existence", comme le raillait Gabin alias Quentin dans Un singe en hiver d'Antoine Blondin mis en scène par Henri Verneuil, il y a cet alcool compulsif et foudroyant, si redouté de ceux et celles qui le subissent au quotidien.
Vingt pour cent des personnes s'étant déclarées victimes de violences physiques hors ménage affirment que l'auteur de l'acte était sous l'emprise de l'alcool. Et près de la moitié des femmes s'étant déclarées victimes de violences physiques ou sexuelles par conjoint ont indiqué que l'un au moins des actes était commis sous l'emprise de l'alcool ou d'une drogue, révèle l'enquête de victimation menée par l'ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) auprès d'un large échantillon de personnes sur une période de deux ans.
 "Cette enquête montre également que plus l'acte d'agression est grave, plus l'alcool est présent", note Cyril Rizk, responsable des statistiques à l'observatoire.
Et la présence d'alcool dans le tableau de l'infraction est une circonstance aggravante. "Il est facile pour l'auteur de l'infraction de se retrancher derrière son addiction et l'aveuglement qui en est résulté pour se soustraire à sa responsabilité dans la commission de l'infraction. 
Et on le pardonnera d'autant moins que son attention a déjà été attirée sur les conséquences de son état alcoolique", note la juge de l'application des peines Sylvie Le Cabec.

3 % de la population

L'ivresse ne choisit pas ses délinquants, pas plus qu'elle ne choisit ses crimes. "L'alcool est le quotidien de notre justice", souligne la magistrate. Et d'expliquer : "La fragilité psychologique qui conduit à l'alcoolisme n'épargne personne. 

Chefs d'entreprise, ouvriers agricoles, femmes, jeunes, vieux, chômeurs, enfants de parents alcooliques ou abstinents, tout un chacun peut tomber dans cette addiction qui est parfois la seule réponse à la difficulté d'affronter un échec."
Mais où placer le curseur de l'addiction ? "L'alcoolique est un individu qui a perdu la liberté de s'abstenir de boire", résumait le docteur Pierre Fouquet dans les années 50. 

Ce besoin irrépressible de connaître l'ivresse, quel qu'en soit le flacon, concerne environ 3 % de la population. Quant aux personnes dites "à risque", elles représentent entre 10 et 15 %. Et c'est souvent une fois le mal commis sous l'emprise de l'alcool que ces personnes se lancent dans une démarche de soins

"Pendant des années, j'ai refusé de me dire que j'étais un malade alcoolique", avoue le condamné en fin de peine.
De l'avis des spécialistes, plus l'addiction est importante, plus la prise en charge doit être pluridisciplinaire. Elle se déroule en trois étapes, à commencer par l'évaluation de la pathologie et le recueil de l'adhésion de la personne à sa prise en charge thérapeutique. 

Louise-Marie Laurence-Hospital, médecin addictologue au CICAT (centre d'information et de consultation en alcoologie et toxicomanie) d'Eure-et-Loir, est confrontée à différents cas de figure : "Certaines personnes reconnaissent qu'elles ont des problèmes d'alcool, mais refusent d'arrêter de boire ; d'autres se posent en victimes du système et mettent leur état sur le dos du chômage et de la solitude. 

Dans la majorité des cas, les personnes amorcent un désir de changement, à plus ou moins long terme. Et le suivi se déroule globalement dans de bonnes conditions." La seconde étape, celle du sevrage (qui peut entraîner une hospitalisation) connaît des retours plutôt positifs.

"Demain me fait peur"

Bien plus délicate est la période d'abstinence qu'il s'agit d'observer le plus longtemps possible et, dans l'idéal, à vie. 

La sortie "sèche" étant synonyme d'un retour quasi assuré à l'alcoolo-dépendance, les juges accordent des aménagements de peine avec "obligation de soins". Mais certains condamnés ne sont pas éligibles à l'aménagement de peine ou au suivi socio-judiciaire. 

Dans ce cas, le tribunal de l'application de peines peut ordonner une "surveillance judiciaire", notamment à l'égard des personnes qui ont commis des faits graves sous l'emprise de l'alcool.

 "Tout ou partie des réductions de peines qui leur ont été accordées pendant leur temps de détention peut être compensé par une surveillance judiciaire comprenant une obligation de soins", explique Mme Le Cabec. Cette mesure, prévue par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la délinquance et au suivi de personnes présentant un risque élevé de récidive, s'apparente à une sorte de rétention de sûreté en milieu ouvert.
Voyant poindre la fin de cette période d'aménagement, le condamné en fin de peine appréhende son retour à la "vie normale". "Je vais bientôt quitter ce milieu ultra protégé dans lequel je suis soigné et accompagné. [...] Il est fondamental que ce passage de l'enfermement à la liberté se fasse dans les meilleures conditions. 

Et je dois vous dire que demain me fait peur. J'ai besoin d'avoir quelqu'un sur qui compter en cas de problème, quelqu'un avec qui je peux partager mes angoisses face à mon abstinence. J'espère que cela se passera bien...", redoute cet homme qui se dit "alcoolo-dépendant dépressif".
L'enfer alcoolique se profile, au bout du long chemin du sevrage, et avec lui, des violences en puissance et d'innocentes victimes...

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