jeudi 23 mai 2013

Alain Delon: « Il n'y a que le Christ que je n'ai pas joué»


INTERVIEW - Le monstre sacré sera samedi sur la Croisette pour promouvoir la version restaurée de Plein soleil.

C'est le premier grand rôle d'Alain Delon. Le film sorti en 1960 est devenu culte. Dans Plein soleil de René Clément, avec Maurice Ronet et Marie Laforêt, le comédien incarne le Monsieur Ripley de Patricia Highsmith: un imposteur séduisant et ambigu qui se transforme en assassin. Cette prestation inaugure une des plus belles carrières du cinéma français. 
À l'occasion de la présentation à Cannes de la version restaurée du film, Alain Delon en raconte la genèse, évoque ses souvenirs cannois et... passe aussi en revue les présidents de la République. À commencer par le Général.
LE FIGARO.- Avez-vous revu Plein soleil?
Alain DELON.- Je le connais par cœur. J'attends de le revoir en remastérisé. Je ne serai pas déçu. Il y a deux ans, j'ai revu Le Guépard restauré. On avait l'impression que le film avait été tourné la semaine dernière. C'est impensable, d'une netteté, d'une beauté! Je ne sais pas ce qu'ils font, ils arrivent à rendre les images encore plus belles.
Revoyez-vous vos films?
Ça dépend. Par exemple, il y en a un que je ne peux jamais revoir, c'est La Piscine. À cause de Romy, à cause de Ronet, de Deray. Tout le monde est mort. Il y avait trop d'intimité avec Romy. Ça me fait trop mal.
On l'aperçoit, du reste, dans une scène de «Plein soleil».
Ah, ils l'ont gardée? C'est Ronet qui avait voulu ça. Elle était à Rome. On l'a mise sur la via Veneto avec nous. Je ne me souvenais plus. Je vais la revoir, alors?
Les gens pensent souvent que Plein soleil venait après Rocco, alors que Visconti m'avait choisi après avoir vu le film de Clément
Est-ce vous qui vouliez faire le film?
C'est René Clément qui m'a choisi. Au départ, les producteurs, les frères Hakim, voulaient que je fasse Greenleaf, l'héritier. Moi, avec mon peu d'expérience, je m'étais dit: «Ça n'est pas pour moi, je suis fait pour l'autre rôle.» Un jour, il y a eu une réunion chez Clément avec les Hakim. Je commence à dire très modestement: «Ah mais non, je pense que je suis plus le rôle de Ripley.» Le producteur me répond: «Comment pouvez-vous parler comme ça? 
Qui êtes-vous? Qu'est-ce que vous avez fait?» Il m'engueule et René attend. À un moment, on entend une voix au fond du salon: «René chéri, le petit a raison.» C'était Bella, la femme de Clément, qui avait une influence terrible sur lui. Elle avait tout écouté mine de rien. C'était fini. Heureusement qu'elle était là. Moi, j'étais un petit con. Je n'avais pas fait grand-chose.
C'est le film qui vous a vraiment lancé…
Oui, parce que les gens se trompent et pensent souvent que Plein soleil venait après Rocco, alors que Visconti m'avait choisi après avoir vu le Clément.
Vous rendiez-vous compte qu'il deviendrait un film-culte?
Non. Je me rendais seulement compte que c'était un film exceptionnel par rapport aux trois que j'avais tournés avant.
Vous étiez déjà très copain avec Maurice Ronet?
Ah oui. On est devenus très amis. Il se marrait toujours parce qu'on s'adorait et qu'il disait: «Merde, dans tous les films, tu me tues.» Quand il est parti, j'ai été très malheureux.
Alain Delon et Marie Laforêt en 1960 dans <i>Plein Soleil</i>, de René Clément.
Alain Delon et Marie Laforêt en 1960 dans Plein Soleil, de René Clément. Crédits photo : STUDIOCANAL TITANUS S.P.A./Carlotta Films
Le film se passe sur un bateau. Il paraît que vous aviez le mal de mer…
À crever! Ça a été horrible. Je ne supporte pas de mettre les pieds sur un bateau. On a fait toutes ces séquences dans la baie de Naples, je souffrais le martyre. Je vomissais tous les jours, sans arrêt. Clément arrivait et disait: «Mon petit Alain, on est prêts quand tu veux.»
Vous êtes masochiste, alors! Vous avez remis ça avec «Les Aventuriers»…
Oui, mais très peu. Il y avait moins de scènes de mer. En revanche, j'ai refusé Le Crabe-tambour à cause de ça. On m'avait proposé le rôle qu'a eu Jacques Perrin. Je leur ai dit: «Oubliez-moi, je ne peux pas.» Ils n'ont pas compris. Mais j'aurais beaucoup aimé tourner avec Schoendoerffer.
Avez-vous vu le remake avec Matt Damon et Jude Law?
Des amis m'ont dit: «Ne va pas le voir, tu vas être malheureux.» Je n'ai pas été le voir.
Aimez-vous Cannes?
Je suis content d'y aller si j'ai une chose spécifique à faire, un film en compétition. Sinon, ça ne m'intéresse pas.
Vous n'y avez pourtant jamais été récompensé…
Jamais! C'est Cannes, ça. Mon attachée de presse à l'époque m'avait téléphoné de là-bas quand on passait Monsieur Klein : «Si tu viens, tu as le prix.» Alors là, je lui ai répondu: «Vous vous êtes gourés, il ne faut pas me dire ça. 
Il fallait me dire de venir. Mais me dire “si tu viens, tu l'as”, ce n'est pas la peine. J'ai le prix ou je ne l'ai pas.» Alors ils l'ont filé à un Espagnol dont je défie quiconque de se souvenir du nom.
On ne vous entend plus beaucoup parler de l'actualité. Ça ne vous intéresse plus?
Comment ça, l'actualité? Je parlais de ça, moi? On venait m'interroger, mais ça remonte à loin, parce que j'étais très ami avec le regretté Raymond Barre. 
Je ne me suis jamais vraiment exprimé en politique. À part ce qu'on a toujours dit: un, que j'étais un homme de droite, ça tout le monde le sait ; deux, que j'étais un supra-gaulliste, tout le monde le sait aussi. Voilà.
Vous aviez même acheté le manuscrit de l'appel du 18 juin.
Ça s'est fait par hasard. Un jour, un ami commissaire-priseur, Cornette de Saint-Cyr, me dit: «Alain, il y a l'appel à tous les Français (vous savez: “Françaises, Français, la France a perdu une bataille mais n'a pas perdu la guerre”) qui va être vendu. Un type veut l'acheter en Argentine.» 
Je l'ai acheté, comptant, cash, et beaucoup à l'époque, pour qu'il reste en France. Je l'ai offert à l'Institut Charles de Gaulle.
Avez-vous rencontré le Général?
Jamais. La seule fois où j'ai été invité par lui, j'étais en Chine ou au Japon. C'est un regret énorme. J'aurais tellement voulu lui serrer la main une fois.
Là, c'est vous qui auriez été impressionné.
Ah bah, totalement! Vous rigolez ou quoi? J'aurais bafouillé, bégayé.
Avez-vous connu d'autres présidents?
J'ai bien connu Pompidou. Très bien Giscard. Chirac aussi. Il y en a un dont je suis vraiment l'ami, bien avant qu'il soit président, c'est Nicolas. 
Quelqu'un qui m'aimait beaucoup et qui me l'a prouvé, même si on n'était pas politiquement du même bord, c'était Mitterrand. Il m'a décoré de la Légion d'honneur, de l'Ordre national du mérite. J'allais le voir quand il m'invitait. 
Un truc très drôle, c'est qu'il était scorpion, comme moi. Il me parlait toujours des scorpions, il disait: «Nous les scorpions…» Il était tout le temps branché là-dessus.
Avez-vous vu la polémique sur les acteurs trop payés?
Je n'ai pas très bien suivi. Je crois qu'il y a une mésentente. Les acteurs français qui seraient trop payés, d'abord, vous allez me dire lesquels. Ils doivent être au nombre de deux ou trois. C'est parce qu'ils sont aujourd'hui intéressés aux recettes, aux entrées. Peut-être qu'Omar Sy a gagné beaucoup d'argent avec Intouchables, je n'en sais rien. 
Ce n'est pas un salaire. Non, les acteurs ne sont pas trop payés. Si le film casse tout, ça marche. Mais si le film se plante, ils ne vont pas avoir un rond. Qu'on ne vienne pas me dire à moi que les acteurs, Dany Boon ou autres, sont trop payés quand on voit les footballeurs. 
Arrêtez! Vous avez vu les chiffres? C'est ahurissant. Ils font de la publicité, en plus. Les acteurs bien payés doivent être payés comme les agents des joueurs de football.
Comprenez-vous l'attitude d'un Depardieu?
Oui, je la comprends. Je ne connais pas exactement les secrets. Depardieu, c'est un caractériel, il a sûrement eu ses raisons. Il y en a beaucoup qui ont envie de faire la même chose, qui se sont tirés en Angleterre. Ce que je n'aime pas, peut-être, c'est le côté Poutine qui lui donne un passeport. C'est autre chose. Ça devient plus un affront au président de la République.
Vous avez été Chaban-Delmas, Jules César… Qui aimeriez-vous incarner d'autre?
Je crois que j'ai tout fait ou presque. Il n'y a que le Christ que je n'ai pas joué. C'est un peu tard.
Recevez-vous des scénarios?
Beaucoup, auxquels je ne donne pas suite parce qu'ils ne me plaisent pas. Des conneries. Un, parce qu'ils ne sont pas bons. Deux, parce que suite à César, je reçois beaucoup de propositions de simples participations. J'ai envie de leur dire: «Arrêtez de me faire chier.» César, c'était particulier. 
Il y avait de l'autodérision. On jouait sur les dialogues: «César n'a besoin de personne, ni de Rocco ni de ses frères.» Je suis quand même revenu deux fois au cinéma après avoir dit que j'arrêtais, pour César et pour Les Acteurs de Blier. Là, j'ai un scénario que je suis en train de mettre au point avec quelqu'un, un vrai polar. 
Mais le cinéma ne me manque pas. J'ai tout eu. Pourquoi voulez-vous que j'aille tout foutre en l'air pour jouer un gardien de la paix chez Kassovitz? Je veux bien travailler avec Gavras, Besson, Polanski, mais tous les rigolos, là… Je ne m'ennuie pas. Je fais beaucoup de théâtre. Je vais partir en tournée avec ma fille. Je suis fou de joie.
Pas de regrets donc?
Si, de n'avoir jamais réussi à faire L'Homme à cheval de Drieu La Rochelle et Martin Eden de Jack London. Maintenant, c'est foutu.
Si vous aviez vingt ans aujourd'hui, vous lanceriez-vous dans le cinéma?
J'essaierais peut-être le football!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La grandeur de Binyamin Netanyahou....

Binyamin Netanyahou était en visite aux Etats-Unis pour la conférence annuelle de l’AIPAC. Cette visite devait être triomphale. Elle a ...