Secret stories
Phénomène : le quart d'heure d'anonymat, ultime luxe des VIP..
Andy Warhol avait vu juste quand il lança en 1968 son fameux quart d’heure de célébrité. Mais aujourd’hui, la prophétie s’est inversée : « Dans le futur, tout le monde aura droit à son quart d’heure d’anonymat », faudrait-il plutôt proclamer.
L’expérience envahissante de la télé-réalité et la toute-puissance des réseaux sociaux nous ont fait basculer dans une spirale difficile à contrôler, même pour les plus riches. Michael Dell, le PDG de la firme informatique, l’a appris à ses dépens récemment.
Dépensant plusieurs millions de dollars pour sa sécurité, la 41e fortune mondiale n’avait pas prévu que sa fille pouvait, comme n’importe quel ado accro à Internet, poster tous ses faits et gestes sur la Toile, dévoilant sa vie de famille à grand renfort de photos et de coordonnées GPS.
Les clichés ont fait le tour du monde : depuis, la jeune Alexa a été privée de Twitter.
Finie l’outrance des années bling. La discrétion s’affirme comme le nouveau chic. À Manhattan, l’anonymat est même devenu un business : quand un rich and famous souhaite acquérir un loft dans SoHo, il fait désormais appel à un agent qui s’arrangera pour faire disparaître son identité sous un tas de noms écrans.
Visite des lieux au milieu de la nuit, langage codé, tout est bon pour rester anonymous. Jennifer Aniston aurait même déclaré l’an dernier son nouvel appartement dans West Village au nom de son corgi-terrier.
Dans cette ère de l’hypertrophie du moi, être invisible devient le seul luxe qui vaille. Cette quête d’invisibilité n’est certes pas inédite – « Je n’ai jamais dit que je voulais être seule, mais que je voulais qu’on me laisse seule », affirmait Greta Garbo –, mais de plus en plus de personnalités y adhèrent.
L’anonymat, nouvelle valeur du luxe ? Illustration Marcel
« Il devient difficile de convaincre les gens qu’on dit importants d’ouvrir leur porte, témoigne une journaliste de la presse people.
L’époque n’est pas à l’étalage des richesses et... les enquêteurs du fisc sont de bons lecteurs de la presse déco. Je connais une grande attachée de presse qui a reçu leur appel quelques jours après la parution des photos de sa maison de vacances. »
Selon le directeur d’un palace de la Côte d’Azur, depuis 2008, de plus en plus de clients précisent qu’ils ne souhaitent pas que leur nom circule.
« Certains réservent sous un pseudo », ajoute cet hôtelier.
Une réaction de défense
« La recherche d’anonymat chez une célébrité est une réaction de défense. Alors que l’étanchéité entre vie privée et vie publique peine à subsister, l’individu doit plus que jamais veiller à faire respecter l’écart entre son double célèbre et sa personne privée », reprend le psy.
Le thème a captivé les philosophes depuis l’Antiquité. Épicure prônait ainsi le renoncement au désir de gloire : selon lui, la sagesse consiste à ne pas se mêler des affaires publiques et à vivre en retrait, à se tenir à l’écart du bruit et de la fureur.
De là à ériger l’anonymat en nouvelle valeur du luxe ?
« La célébrité n’est pas une passion légitime, explique le philosophe Gilles Lipovetsky. Derrière, il y a ce que Hegel appelait le désir de reconnaissance. On entre alors dans l’intime avec cette question : que se passe-t-il entre soi et soi-même ?
Pour le philosophe, l’ambition humaine a une légitimité s’il s’agit de bien faire les choses qu’on aime. » Et dans ce cas-là, Andy Warhol n’avait pas tort, le temps de la célébrité est compté. Quinze minutes... mais pas plus.
Le top 10 des famous anonymous..
Greta Garbo : duyant les mondanités et les interviews, la Divine se retranche dans la solitude dès 36 ans, pour une cinquantaine d’années encore.
Howard Hughes : producteur, industriel, aviateur et homme le plus riche du monde. À sa mort, en 1976, et pendant ses trente dernières années, même ses plus proches collaborateurs ne l’avaient jamais rencontré.
J.D. Salinger : aussi connu pour sa vie de reclus que pour son sublime L’Attrape-cœurs, il a révolutionné l’écriture de l’adolescence. Aucun entretien à la presse les trente dernières années de sa vie (il est mort en 2010).
Thomas Pynchon : écrivain américain souvent cité pour le Nobel de littérature, il n’a donné aucune interview depuis les années 1960.
Se tenir à l’écart du bruit et de la fureur, c'est très VIP !Illustration Marcel
Milan Kundera : l’auteur du Livre du rire et de l’oubli a toujours prôné une immense discrétion, au profit de ses romans. Depuis 1985, il n’a plus accordé d’interview.
Terrence Malick : le réalisateur et producteur américain, Palme d’or à Cannes en 2011 avec The Tree of Life, n’apparaît jamais en public. La dernière photo connue de lui date de trente ans.
Cy Twombly : peintre et photographe de génie, l’artiste a cultivé une solitude épanouie, éloigné des modes et des courants dominants.
Banksy : c’est la star anglaise du street art. Mais à ce jour, personne n’a réussi à découvrir son identité.
Daft Punk : toujours casqués, costumés, les deux piliers du groupe électro français né dans les années 1990 assument un credo d’indépendance.
Keny Arkana : ovni du rap français, cette Argentine d’origine fuit volontairement les médias, laissant ses albums parler pour elle.
Pour vivre heureux, vivons cachés, dit un vieil adage : la mode, elle, se l’est approprié comme toujours avec une longueur d’avance.
Comme la maison Margiela, créée en 1988 : alors que personne ne connaît son visage, le créateur apparaît depuis toujours sous les traits d’une équipe de stylistes en blouse grise. Et le logo se limite à quatre points discrètement cousus sur le vêtement.
« Comme l’expliquait – déjà – le général de Gaulle, l’accessibilité et la banalisation nuisent à l’aspect symbolique du pouvoir », analyse Laurent Muldworf, psychiatre et auteur, avec Éric Corbobesse, de Succès damné (éd. Fayard).
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