lundi 26 septembre 2011

Quand la Mosquée de Paris cachait des juifs..

La Mosquée de Paris a joué un rôle dans la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale. Le recteur de l’époque a même protégé des juifs. C’est ce que raconte Les Hommes libres, un film dont le conseiller historique est Benjamin Stora. Il nous explique l’époque et les enjeux.

TC. : Qu’est-ce qui est au cœur de ce film ?

Benjamin Stora : La vie quotidienne des travailleurs maghrébins en France sous l’Occupation. Le cœur du film, c’est l’histoire d’hommes abandonnés, livrés à eux-mêmes après l’Exode de 1940. Ils étaient quand même­ cent mille travailleurs algériens en France en 1939. Leur vie n’a jamais été racontée dans le cinéma français. Les trois quarts étaient des Kabyles.

C’était des hommes seuls qui vivaient dans des conditions misérables. Ils étaient manœuvres, ils travaillaient dans la métallurgie. Sous l’occupation allemande, il y avait encore quelques milliers de ces hommes pris au piège, qui ne pouvaient pas retourner dans leur pays, toutes les voies de circulation ayant été anéanties.

Dans ce film, la Mosquée de Paris joue donc un rôle central.

C’était un endroit où ils allaient manger. Ils ne pouvaient plus travailler. Ils avaient faim. La Mosquée de Paris est apparue comme un lieu de socialisation.

Le film montre toutefois que le recteur de la Mosquée a collaboré avec l’occupant.

Comme toutes les institutions françaises de l’époque. C’était un homme nommé par l’État. Mais il a gardé personnellement son indépendance. Et c’est cela l’élément nouveau que révèle le film et que les historiens français ne prennent pas en compte parce qu’ils ne connaissent pas le lien du recteur avec le sultan du Maroc. Le recteur était très lié au sultan du Maroc.

Or, ce dernier avait refusé de livrer les juifs aux Allemands parce qu’il considérait qu’il s’agissait de ses sujets et qu’il avait un devoir de protection envers eux. Quand les Américains ont débarqué, il a été le premier à les accueillir à Casablanca en janvier 1943. C’est alors que s’est tenue la première conférence des Alliés entre Roosevelt, Churchill, Giraud et de Gaulle, à l’hôtel Anfa.

Ce que vous racontez permet d’expliquer cette scène étonnante lors de la rafle du Vel’ d’Hiv : deux enfants juifs sont recueillis dans la mosquée à la barbe des Allemands.

C’est à la fois surprenant et plausible. J’avais recueilli en Algérie le témoignage de juifs séfarades, qui parlaient donc l’arabe, et qui avaient effectivement mangé à la Mosquée de Paris en 1942. Ce n’est pas un phénomène de masse mais il y a des juifs qui se sont réfugiés là-bas. Le cas le plus spectaculaire, qui est dans le film, c’est celui du chanteur juif kabyle Simon Hallali à qui le recteur a fait délivrer une attestation comme quoi il était mahométan, comme on disait alors, et ce papier lui a permis d’avoir la vie sauve. Certes, la plupart des juifs qui vivaient à Paris venaient d’Europe centrale et ne se sont jamais approchés de la mosquée. Mais il y avait des juifs séfarades qui, eux, savaient ce qu’était l’islam.

Pourquoi sommes-nous surpris de voir des musulmans sauvant des juifs ?

Parce qu’on voit avec les lunettes d’aujourd’hui. En Algérie, quand les juifs ont eu leurs biens confisqués, les musulmans ne se les sont pas appropriés. Il y a un risque d’anachronisme historique très fort de la part de ceux qui prétendent condamner les relations qui existaient à la lumière du conflit israélo-palestinien d’aujourd’hui.

Un problème demeure pourtant : il n’existe aucun document prouvant que la Mosquée ait sauvé des juifs.

Il n’y a pas de document officiel. Ce sont des circonstances individuelles : un homme apporte des papiers à des gens dans un appartement et tombe sur deux enfants qu’il ramène à la Mosquée. Cela veut dire qu’il y avait une possibilité pour deux enfants de demeurer à la Mosquée. C’est la complexité de l’Histoire. Je trouve même incroyable qu’il puisse y avoir polémique alors que c’est la première fois qu’un réalisateur de culture musulmane parle de la Shoah. Je ne connais aucun réalisateur musulman qui en ait parlé jusqu’à présent.

Comme conseiller historique du film, vous vous êtes fondé sur quels documents ?

Les archives du Quai d’Orsay, celles de la police, qui sont des notes de surveillance. Lorsque le major allemand lit, dans le film, une lettre qui accuse le recteur de couvrir la fabrication de faux papiers, c’est un document d’époque. J’ai fait ma thèse de troisième cycle en 1978 à l’École des hautes études en sciences sociales sur Messali Hadj, Algérien arrivé en France en 1923, fondateur en 1937 du Parti du peuple algérien (PPA).

Il a refusé la collaboration et a été condamné par Vichy à 16 ans de travaux forcés. Fondateur du Mouvement National Algérien (MNA) après la guerre, il fut progressivement marginalisé par le FLN qui le trouvait trop conciliant avec la France. Messali Hadj est un grand oublié de l’Histoire. On a un point aveugle de la recherche historique française parce que Messali a refusé de collaborer.

Vous évoquez en fait les prémices de la guerre d’indépendance algérienne.

Il y a des Algériens qui ont collaboré et des Algériens qui furent du côté de la Résistance parce qu’ils étaient pour l’indépendance. C’étaient des messalistes. Ils étaient nationalistes. Messali Hadj était en contact avec le Parti communiste. Ces Algériens-là, ils avaient en fait une tradition communiste, socialiste, révolutionnaire. Ils étaient dans les syndicats du Front Populaire. En 1940-1943, la plupart de ces malheureux qui vivaient à Paris, oubliés, abandonnés, appartenaient à une histoire qui est celle du syndicalisme français.

Et pourtant, ce sont des hommes invisibles, ils n’existent pas.

Ce que je trouve positif dans Les hommes libres, c’est de faire entrer les jeunes des banlieues dans l’histoire française, de leur redonner une place dans l’histoire de la nation, à travers l’engagement dans la résistance. On réintègre des mémoires particulières dans une histoire nationale. Le mérite de ce film incroyable, qui reconstruit un récit républicain, c’est de dire à ces jeunes : vous avez des grands-parents, des arrières grands-parents qui ont été dans les mouvements de résistance française.

Une histoire ignorée

C’est un Paris insolite et jamais montré au cinéma qu’ex­pose le réalisateur français d’origine marocaine Ismaël Ferroukhi, 49 ans, dans Les hommes libres. Nous sommes en 1942. Younès, jeune émigré algérien, gagne sa vie à Paris dans le marché noir. Arrêté par la police française, il accepte, pour ne pas être emprisonné, une tâche d’indic à la Mosquée de Paris, la police soupçonnant le recteur de cacher des résistants et des juifs. À la Mosquée, Younès rencontre un chanteur algérien, Salim. Il s’appelle en réalité Simon Hallali et connut son heure de gloire avant-guerre dans les cabarets orientaux de la capitale. Berbère juif qui chantait en arabe sur des accents de flamenco, Simon Hallali échappa aux rafles de l’occupant et de la police de Vichy grâce au recteur et fondateur de la Mosquée de Paris, le Marocain mélomane Si Kaddour Ben Ghabrit, interprété par Michael Lonsdale, qui le fit passer pour musulman, allant jusqu’à graver le nom du père d’Hallali sur une tombe du cimetière musulman de Bobigny. Le recteur de la Mosquée fut décoré après la guerre de la médaille de la Résistance.

Le cinéaste expose, grâce aux recherches de l’historien Benjamin Stora, les courants idéologiques qui agitèrent la Mosquée autour de ces résistants maghrébins qui, après la victoire des Alliés, revendiquèrent dans les années 1950 l’indépendance de l’Algérie.

Les hommes libres, d’Ismaël Ferroukhi, 1h32, en salle.

Benjamin Stora

Enseigne l’histoire du Maghreb contemporain à l’université Paris-XIII. Il a notamment publié : La guerre invisible, Algérie, années 1990 (Presses de Sciences Po, 2001), Le Mystère de Gaulle – son choix pour l’Algérie (Robert Laffont, 2009),

Lettres, récits, et carnets des Français et des Algériens pendant la guerre d’Algérie (Les Arènes, 2010), Le nationalisme algérien avant 1954 (CNRS éditions, 2010).

Publié dans Témoignage Chrétien

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