mercredi 25 juillet 2018

Quand l’état américain à l’étoile solitaire ouvrait ses bras aux Juifs...


Le 'Mouvement de Galveston' a permis la venue de près de 10 000 Juifs en Amérique. Les descendants des immigrants d'hier veulent rendre la pareille aux immigrants d'aujourd'hui.


C’est une prémisse qui semblait improbable : Des Juifs fuyant les progroms de la Russie tsariste et qui trouvaient refuge au Texas. Et pourtant, de 1907 à 1914, le « mouvement de Galveston » a amené 10 000 Juifs aux Etats-Unis – non pas par Ellis Island, mais par Galveston Island, débarquant sur le port éponyme ouvert sur le Golfe du Mexique.
Le mouvement avait été programmé de manière expansive et il a permis la réinstallation de Juifs dans tout le Texas et le Midwest, en leur trouvant de nouvelles habitations et des emplois. Des communautés juives s’étaient alors créées – malgré les restrictions sur l’immigration. En résumé, c’est une histoire considérée par certains experts comme offrant une leçon utile dans le débat actuel de l’immigration dans le pays.
« L’un des importants éléments que le mouvement de Galveston illustre, c’est que l’immigration est bénéfique pour les deux parties de l’équation », commente Bryan Stone, professeur d’histoire au Del Mar College de Corpus Christi et rédacteur du seul mémoire du mouvement écrit du point de vue d’un immigrant.
« Les immigrants arrivent, non seulement en tant que réfugiés – et en fin de compte, ils étaient certainement plus à l’aise financièrement. Les immigrants profitent aussi au pays, aux villes et aux états où ils se sont installés. Des deux côtés, c’est une belle histoire », explique Stone.
Le rabbin Henry Cohen de la congrégation Bnai Israel à Galveston, au Texas, saluant des immigrants juifs au port de Galveston. (Crédit : Bnai Israel)
Le rabbin Henry Cohen de la congrégation Bnai Israel à Galveston, au Texas, saluant des immigrants juifs au port de Galveston. (Crédit : Bnai Israel)
Cette histoire a été présentée dans « Forgotten Gateway: Coming to America Through Galveston Island », une exposition sur le rôle de Galveston en tant que port d’accueil des immigrants entre 1845 et 1924 au musée d’histoire de l’état du Texas Bob Bullock. Une version itinérante de « Forgotten Gateway » est à découvrir au Bryan Museum de Galveston jusqu’au 24 avril.
« Avec les multiples facettes de l’immigration américaine, [le mouvement de Galveston a été] négligé d’une certaine manière », dit Stone. « Il y a une présomption selon laquelle les immigrants venus d’Europe, les Juifs, se sont seulement rendus sur la côte Est, à New York. Mais il y a eu une vague d’immigration très significative partout dans le pays, que l’histoire a en grande partie laissé de côté ».
Le mouvement de Galveston commence
Les Juifs fuyaient les persécutions en Russie et en Europe de l’est lorsque le mouvement de Galveston a été fondé par le philanthrope américano-juif Jacob Schiff — lui-même immigrant allemand.
« La certitude qu’avait Schiff, est qu’avec l’entrée par New York, à Ellis Island, dans le Lower East Side, tout ce secteur autour de l’île de Manhattan qui avait déjà une population juive trop dense, mènerait en fin de compte à davantage d’antisémitisme », raconte le rabbin Jimmy Kessler, rabbin émérite de la congrégation de Bnai Israel à Galveston et ancien président de la Jewish Historical Society (société d’histoire juive) du Texas.
Le Rabbin Jimmy Kessler s'adressde au public à l'exposition 'Forgotten Gateway' au Bryan Museum de Galveston, au Texas. (Autorisation : Bryan Museum)
Le Rabbin Jimmy Kessler s’adress au public à l’exposition ‘Forgotten Gateway’ au Bryan Museum de Galveston, au Texas. (Autorisation : Bryan Museum)
Schiff avait senti que « si les Juifs étaient plus dispersés dans le pays, cela ne créerait pas un tel problème », explique Kessler.
La liste dressée par Schiff des destinations potentielles en dehors de New York comprenait Charleston et la Nouvelle Orléans. Mais Galveston l’a emporté, en partie à cause du rabbin de Bnai Israel de l’époque, Henry Cohen, qui incarnait « un protecteur universel, un directeur, un visage accueillant et amical pour des gens dans un endroit nouveau pour eux », ajoute Stone.
Premiers défis
Le mouvement a dû faire face à un climat politique glacial.
La loi sur l’immigration de 1907, signée par le président Théodore Roosevelt, « tentait de rendre un peu plus difficile l’entrée des immigrants », dit Stuart Rockoff, directeur du Mississippi Humanities Council et ancien directeur du département d’histoire à l’Institut Goldring/Woldenberg de la vie juive dans les états du sud.
« Les immigrants ne pouvaient pas avoir déjà un emploi [dans une entreprise] Ils ne devaient être ni ‘idiots, ni imbéciles, ni débiles mentaux, ni pauvres, ni des individus susceptibles de devenir une charge pour la société' ».
Section de quarantaine de Galveston aux environs de 1910 (Crédit : Galveston Historical Foundation)
Section de quarantaine de Galveston aux environs de 1910 (Crédit : Galveston Historical Foundation)
Toutefois, cet été-là, des navires transportant des Juifs ont commencé à arriver à Galveston.
« On s’occupait d’eux pendant une journée à peu près à Galveston puis on les mettait dans un train vers d’autres villes du Texas et du Midwest,” indique Rockoff. « Un agent local chargé de leur installation leur trouvait un endroit où vivre et un travail ».
Environ 25 % des 10 000 Juifs venus par le biais du Mouvement de Galveston sont restés au Texas. Parmi eux, Alexander Gurwitz, né en Biélorussie, dont le récit autobiographique paru en anglais « Memories of Two Generations: A Yiddish Life in Russia and Texas » a été édité par Stone, et publié par l’Université de l’Alabama l’année dernière.
Couverture de 'The Chosen Folks,' écrit par Bryan Stone. (Autorisation)
Couverture de ‘The Chosen Folks,’ écrit par Bryan Stone. (Autorisation)
Contrairement aux autres immigrants de Galveston comme lui, Gurwitz était plus âgé – 51 ans – et financièrement plus à l’aise. Il était enseignant et abatteur rituel et était propriétaire d’une maison. Il avait également de la famille dans le pays. La famille Gurwitz s’est installée à San Antonio.
« La soeur de son épouse vivait déjà ici », dit Stone, qui est également l’auteur de « The Chosen Folks: Jews on the Frontiers of Texas ».
« C’était un endroit convenable pour venir élever des enfants. Et manifestement, il a apprécié. Il a pu gagner sa vie avec le même type de travail. Il a enseigné l’hébreu et le talmud et a abattu des animaux. Il avait du public et il a trouvé ici une communauté », ajoute Stone.
Lorsque les mémoires de Gurwitz ont été publiées, « j’ai été invité à une fête à San Antonio, et j’ai rencontré toute la famille dans une maison bondée », raconte Stone. « Ses quatre enfants sont restés dans la région et ont élevé leurs familles dans le coin ».
Sur les immigrants du mouvement qui ont voyagé au-delà du Texas, 15 % sont allés dans le Missouri et 12 % dans le Minnesota.
« Si une partie de l’idée d’origine de Schiff était de les rendre plus invisibles, les Juifs sont devenus beaucoup plus visibles au sein des communautés qui avaient des synagogues à travers tout le Midwest et le Southwest, » dit Rockoff. « C’est une bonne chose. Ils ont intégré les communautés, la vie religieuse dominante en Amérique ».
‘Si une partie de l’idée d’origine de Schiff était de les rendre plus invisibles, les Juifs sont devenus beaucoup plus visibles’
Toutefois, la Première Guerre mondiale a sonné le glas du mouvement de Galveston.
« Aller de la Russie vers l’Allemagne après 1914 était devenu impossible », estime Stone. « Les voyages transatlantiques sont devenus beaucoup plus dangereux. »
Le mouvement « n’a pas fonctionné comme le souhaitait Schiff », déclare Stone. « Il avait fixé quelques points de référence, combien [d’immigrants] il fallait attirer. Il s’inquiétait car il finançait tout cela avec son propre argent. Il n’y avait aucun remboursement ».
L'exposition 'Forgotten Gateway' au Bryan Museum de Galveston, au Texas. ( Crédit : Bryan Museum)
L’exposition ‘Forgotten Gateway’ au Bryan Museum de Galveston, au Texas. ( Crédit : Bryan Museum)
« De 1907 à 1914, 1 % des immigrants juifs est arrivé à Galveston », indique Rockoff. « La vaste majorité est arrivée à New York. De ce point de vue, cela a été un échec terrible ».
Après le décès de Schiff en 1920, « le pays a imposé des restrictions permanentes et vraiment dures sur l’immigration », indique Rockoff. « Si l’objectif de Schiff était de maintenir les portes ouvertes, elles ont fermé en 1924 ».
Tirer les leçons de l’histoire
Ces restrictions refont les gros titres aujourd’hui.
« Certainement, il y a des inquiétudes croissantes sur l’immigration et sur certains types de migrants, une focalisation des efforts de la part de la nouvelle administration – conserver hors du pays ceux qui changeraient la culture de l’Amérique », établit Rockoff, qui note que ces arguments ont déjà été avancés il y a cent ans contre les Juifs, les Italiens et les Catholiques.
Au mois de septembre dernier, lorsque le Républicain Donald Trump et la Démocrate Hillary Clinton étaient encore de simples candidats dans la course à la présidence, le Bryan Museum avait décidé qu’il accueillerait une version itinérante de l’exposition « Forgotten Gateway » pour la toute première fois.
Une partie de l'exposition 'Forgotten Gateway' au Bryan Museum de Galveston, au Texas. (Crédit : Bryan Museum)
L’exposition a ouvert ses portes le 2 février. Peu de temps avant, le 27 janvier, le président Trump avait émis un ordre exécutif suspendant l’entrée générale dans le pays depuis la Syrie, la Libye, la Somalie, l’Iran, le Yémen, l’Irak et le Soudan pour 90 jours, suspendant le Programme américain d’admission des réfugiés pour 120 jours.
‘C’est une histoire de réfugiés. La congrégation comprend cela parfaitement. C’est notre histoire à nous, hommes et femmes, l’histoire de nos grand-parents’
La politique d’immigration de Trump n’est pas passée inaperçue dans un autre lieu important de Galveston, à la congrégation de Bnai Israel. Cette dernière a été la toute première synagogue réformée de l’état à l’étoile solitaire, et a été établie en 1869.
« La congrégation de Bnai Israël réalise que l’histoire des immigrants est notre histoire », atteste le rabbin actuel Marshal Klaven. « Nous sommes des immigrants… Abraham était un Araméen errant ».
« C’est une histoire de réfugiés. La congrégation comprend cela parfaitement. C’est notre histoire à nous, hommes et femmes, l’histoire de nos grand-parents. C’est la même leçon qui nous est proposée. Et nous avons le devoir de la partager, quelle que soit la prochaine vague d’immigrants et de réfugiés ».
Les membres d'Am Shalom accueillent une famille de réfugiés syriens à l'aéroport international O’Hare de Chicago le 27 janvier 2017 (Autorisation : Am Shalom)Les membres d’Am Shalom accueillent une famille de réfugiés syriens à l’aéroport international O’Hare de Chicago le 27 janvier 2017 (Autorisation : Am Shalom)
« Le 150e anniversaire de notre congrégation aura lieu en 2018 et nous sommes en train de définir actuellement un projet important de mitzvah. Nous voulions oeuvrer à faire venir, potentiellement, des réfugiés syriens », ajoute Klaven.
Pour ces Texans, tandis que les conditions d’immigration ne cessent de se durcir une fois de plus, les leçons du Mouvement de Galveston pourraient faire naître l’espoir.
« C’est une bonne chose de se rappeler qu’il y a des manières créatives d’accueillir les migrants, sans faire de restrictions… Des manières créatives de garder les portes ouvertes », estime Stone. « Si vous avez une inquiétude, vous vous fermez, ça n’avance à rien. Il y a toujours d’autres possibilités ».

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