Selon le documentaire de Michel Cymes, à partir de 1933, l'éthique médicale "s'était inversée, l'individu n'était rien. Le peuple était tout"
« Hippocrate aux enfers », documentaire de Michel Cymes programmé mardi soir sur France 2 (23H05), raconte les expériences d’une « cruauté indicible » menées sur des centaines de milliers de déportés par des médecins du IIIe Reich, au nom de la science.
Si tout le monde connaît le procès des dignitaires nazis à Nuremberg, plus « méconnu » est celui de ces médecins tortionnaires, qui s’y est ouvert en décembre 1946. « J’ai voulu porter leurs exactions à la connaissance d’un public plus large », explique à l’AFP l’animateur toujours médecin en activité.
Avec ce documentaire co-signé par Claire Feinstein, il adapte pour la télévision son livre Hippocrate aux enfers paru en 2015 chez Stock et vendu à 150 000 exemplaires.
« Je connaissais les crimes des médecins Josef Mengele et Carl Clauberg, je pensais qu’il y avait eu deux, trois autres types comme eux, (mais) en enquêtant, je me suis rendu compte de l’ampleur du phénomène », confie Michel Cymes.
Le livre Croix gammée contre Caducée (1950) de François Bayle, médecin militaire français qui a assisté au procès des 23 médecins, a été pour lui « une précieuse mine » d’informations. « C’est un travail de dingue, il a rigoureusement scripté tout ce qui s’y est dit », précise l’animateur.
Pour écrire son livre, Michel Cymes s’était fixé pour objectif de « décrire ce que les victimes ressentaient dans leur corps », grâce à son expertise médicale, « pour que le lecteur ressente lui-même ce qu’un cobaye subissait ».
Le documentaire est moins « dur », dit-il, mais il donne bien la mesure « des violences infligées » aux déportés.
Selon ce documentaire, 70 % des médecins allemands étaient membres du parti nazi. A partir de 1933, l’éthique médicale « s’était inversée, l’individu n’était rien. Le peuple était tout », est-il rappelé. Les médecins jugés avaient été en poste dans les camps de concentration où des déportés ont servi de cobayes à une multitude d’expériences d’une « cruauté indicible », selon Telford Taylor, procureur général au procès, qui apparaît dans une archive.
D’autres avaient participé à « Aktion T4 », un programme amorcé dès 1939 qui consistait à « éliminer les personnalités considérées comme malades héréditaires », raconte l’historien Johann Chapoutot, interrogé dans le documentaire.
« Aktion T4 » a fait 70 000 victimes jusqu’en 1941 et 200 000 jusqu’en 1945, précise l’historien de l’Université Paris-Sorbonne.
Le cas Hirt à Strasbourg
Michel Cymes s’est rendu sur les sites d’Auschwitz-Birkenau (Pologne), de Natzweiler-Struthof (Alsace) ainsi qu’à Nuremberg (Allemagne) et a interrogé « les plus grands spécialistes mondiaux », dont Evelyne Shuster, spécialiste d’éthique médicale à l’Université de Pennsylvanie, ou Yves Ternon, chirurgien et historien à l’Université de Montpellier.
S’appuyant sur des images d’archives exceptionnelles, certaines trouvées en Russie, et des entretiens, Michel Cymes dévoile « les atrocités » commises notamment par Karl Gebhardt, médecin personnel du chef SS Heinrich Himmler, et par le docteur Herta Oberheuser, sa collaboratrice.
Le patron d' »Aktion T4″, Viktor Brack, avait imaginé la stérilisation des juifs aux rayons x, technique « bon marché » et qui permettait d’être « pratiquée sur plusieurs milliers de sujets en un temps très court » faisait-il valoir dans un courrier à Himmler.
Sigmund Rascher, médecin SS, à Dachau, testait pour sa part la résistance des corps au froid et au manque d’oxygène. August Hirt, médecin anatomiste SS, nommé à la nouvelle université nazie de Strasbourg en 1941, constituait « une collection de squelettes juifs ». Ce dernier a été « une des pires figures du nazisme », estime dans le film, Raphaël Toledano, médecin spécialiste des expérimentations médicales nazies.
« C’est un sujet très sensible », reconnaît Michel Cymes, qui en s’interrogeant dans son livre sur la présence de restes de victimes juives à la faculté de Strasbourg, avait déclenché une polémique. Une commission scientifique indépendante, nommée dans la foulée, y a découvert l’an dernier des boîtes ayant appartenu à Hirt, restant à analyser.
« Ce sujet me touche beaucoup personnellement », confie Michel Cymes, dont les deux grand-pères, juifs polonais, ont péri à Auschwitz. « C’est psychologiquement violent mais aussi fascinant et je vais peut-être le fouiller encore, avec des portraits documentaires ».
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