Il n’est plus un secret pour personne que le Mossad a infiltré au Liban tous les groupes politiques du pays. Après la pénétration du monde chrétien et druze du pays, il a réussi à infiltrer les plus hauts échelons des partis sunnites et chiites et même l’armée. Il est donc normal qu’il accède à des sources confidentielles sur ce qui se trame au Liban. Le Hezbollah est la cible de toutes les surveillances. Des informations sur un éventuel attentat contre Saad Hariri sont parvenues aux dirigeants israéliens qui ont estimé devoir informer rapidement le premier ministre libanais, même si les relations entre les deux pays sont tendues.
Israël ne pouvait pas rester inactif devant un tel risque. Un nouvel assassinat aurait certainement livré le pays à la mainmise du Hezbollah, aurait créé le désordre pour ensuite totalement désintégrer le Liban. Des émissaires du Mossad ont donc informé, d’abord Donald Trump puis le roi d’Arabie pour qu’ils servent d’intermédiaires. Saad Hariri a alors été convoqué en urgence à Riyad, une première fois le 30 et 31 octobre. Le roi Salmane tenait à l’informer de vive voix du plan qui se préparait pour attenter à sa vie. Sceptique après son premier voyage, des détails complémentaires lui ont été remis le 3 novembre qui l’ont convaincu que les menaces étaient avérées et qu’il devait donc quitter le pouvoir pour se mettre en sécurité.
L’annonce de la démission de Saad Hariri depuis un pays étranger est inhabituelle, peu protocolaire et exceptionnelle. Il n’a pas attendu son retour au Liban en raison de l’urgence des mesures à prendre. Il est d’ailleurs fort probable que le premier ministre libanais ne retourne plus au Liban dans l’immédiat mais rejoigne son domicile parisien où sa sécurité sera assurée par la police française.
La décision de sa démission n’est donc pas politique. Certes, des tiraillements au sein du gouvernement et de la présidence n’étaient un secret pour personne. Michel Aoun a tenté de lui forcer la main pour normaliser ses relations avec le Hezbollah dans une interview où il glorifiait la milice chiite. Dans cette intervention honteuse, le président s’était comporté comme un paillasson face à ceux qui contrôlent de fait le Liban. D’ailleurs Saad Hariri avait été choqué et n’avait pas manqué de soulever le rôle «destructeur de l'Iran et de son bras militaire le Hezbollah dans la région et au Liban».
Thamer Al-Sabhane |
Le compromis politique sous l’égide du roi Salman n’aura duré qu’une année. Il avait permis d’offrir le poste de président de la République au général Aoun, fondateur du Courant Patriotique. L’Arabie comptait sur l’allié du Hezbollah et des Chrétiens pour tempérer les ardeurs de la milice dans sa politique expansionniste et pour minimiser l’influence de l’Iran qui avait investi toutes les structures du Liban. Le roi Salman avait peu apprécié la thèse iranienne prétendant à juste titre que «aucune action ne peut être entreprise en Syrie, au Liban, et en Irak sans le point de vue de Téhéran».
Les Américains et les Saoudiens estiment que l’épreuve de force est inévitable face au Hezbollah et aux Iraniens. La Russie elle-même ne cautionne plus, les yeux fermés, l’attitude de ses deux alliés car elle sait qu’un règlement du conflit syrien nécessite de neutraliser l’Iran. Les Israéliens, qui se sont rapprochés de plusieurs pays arabes, ont souvent souligné le danger iranien qui avait poussé Saad Hariri à choisir le camp occidental. Cela avait d'ailleurs signé sa condamnation à mort.
L’annonce de la démission de Saad Hariri a été reçue avec surprise et consternation. Le premier surpris fut le chef de l’État Michel Aoun qui a été choqué d’être informé, depuis l’étranger par un coup de fil. Il est fort improbable qu’il puisse avoir un entretien direct avec son premier ministre a qui le Mossad a déconseillé de se rendre au Liban, au risque de sa vie. Les détails du complot semblent suffisamment étayés pour en tenir compte.
Les partis politiques, qui s’étaient allongés face aux diktats du Hezbollah pour nommer un nouveau président libanais, expriment leur désarroi. Le leader des Druzes et chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, pense que «ce n'est pas le moment pour Saad Hariri de démissionner, cela va avoir des répercussions graves sur l'économie libanaise et sur le Liban. Saad Hariri avait dit que l'objectif de son gouvernement était d'assurer la stabilité du pays, et aujourd'hui, c'est cette stabilité qui doit primer». Mais Harari n’est pas prêt à sacrifier sa vie comme son père.
L’Alliance du 8 mars a explosé de fureur. Le mouvement est composé du Courant patriotique libre (maronite), du mouvement Amal (chiite), du Hezbollah (chiite), du Parti démocratique (druze), du mouvement Marada (maronite), du mouvement Majd (sunnite), du Tashnag (arménien), du Parti social nationaliste syrien (laïc), du Parti Baas (laïc) et du Parti Solidarité (maronite) : «C'est honteux. Saad Hariri doit se respecter et respecter le Liban. C'est honteux qu'il ait présenté sa démission à Riyad et pas à Beyrouth. Nous sommes patients et raisonnables, mais il y a des limites. Ils nous accusent d'être liés à l'Iran, mais l'Iran n'a jamais dicté au Liban ce qu'il doit faire ou pas». Cette prise de position de tous ces micros partis n'est pas étonnante puisqu'ils sont inféodés au Hezbollah qui leur dicte sa loi.
Le parti des Forces Libanaises, issu d’une ancienne milice chrétienne résistante et composé majoritairement par des chrétiens, et plus spécialement par des Maronites, a évidemment pris position pour Hariri : «la décision prise par le Premier ministre n'est que le résultat normal de l'abandon de la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits des axes. C'est pour cela que nous voulions sortir du gouvernement dans une phase précédente. Une chose est sûre : la cohabitation avec le Hezbollah est désormais impossible».
Cette démission va créer une période d’incertitude et de tension politique au Liban car l’accord qui avait permis de constituer un gouvernement a explosé en vol. Avec beaucoup de sournoiserie, le ministre iranien des affaires étrangères a regretté la démission de Saad Hariri et a rejeté les «accusations sans fondement contre l'Iran». Le Hezbollah a les mains libres pour imposer sa loi au moment où de nombreux miliciens doivent rentrer au Liban après la fin du conflit militaire en Syrie. Seule la Russie est capable d’empêcher une confrontation entre Israël et le Hezbollah car, depuis 2015, l'intervention russe en Syrie a fait de Moscou le tenant du pouvoir de facto. On risque donc de dépasser la seule guerre psychologique.
Le Hezbollah a acquis la liberté de circulation à l'intérieur de la Syrie et des roquettes tirées depuis la Syrie ont parfois frappé les hauteurs du Golan. Le régime syrien n'est plus considéré par Israël comme une force stabilisatrice capable de garantir la stabilité sur le Golan ou de contenir le Hezbollah au Liban. Israël a donc dû réévaluer ses tactiques et ses priorités. Au début de la guerre syrienne, le Hezbollah s’est concentré sur l'ouverture d'un nouveau champ de bataille contre Israël depuis la Syrie. Israël a répondu en assassinant ceux qui étaient chargés de l'exécution de cette mission, principalement Samir Kunar (tué en décembre 2015) et Jihad Moughniyeh (tué en janvier 2015) et le mystérieux assassinat en mai 2016 de Mustafa Badredine, qui avait remplacé Imad Moughniyeh après sa mort en 2008.
Imad Moughniyeh |
La réaction du Hezbollah avait été étonnamment mesurée car Israël avait par avance haussé le ton. La Russie avait réussi à contenir toute escalade entre Israël et le Hezbollah au début de 2016 car elle avait intérêt à se concentrer sur la sauvegarde du régime Assad. Pour cela, la Russie et Israël ont conclu un accord permettant aux Israéliens de cibler les livraisons d'armes du Hezbollah. En retour, Israël ne contesterait pas l'intervention russe et ne menacerait pas la survie d'Assad. Depuis 2016, Benjamin Netanyahou a déplacé son attention du programme nucléaire iranien vers le rôle de Téhéran en Syrie.
Le changement de gouvernance au Liban va forcer Tsahal à concentrer ses efforts et ses troupes vers le nord car le gouvernement libanais risque de ne plus pouvoir ordonner à son armée de s’interposer entre le Hezbollah et Israël. L'avenir du Liban est chargé d'incertitude.
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