LPH vous invite à un voyage dans le temps depuis le fameux achat de la Mahpela par Avraham Avinou, jusqu’à nos jours en compagnie d’Eliahou Atlan, enseignant en histoire, spécialiste de Hevron et auteur de »Le livre de Hevron ».
Le P’tit Hebdo: Les Juifs ont-ils toujours été présents à Hevron?
Eliahou Atlan: Hevron fait effectivement figure d’exception, puisqu’elle détient le record de la continuité de la présence juive en Israël. L’histoire du peuple juif y a commencé avec l’achat de la Mahpela par Avraham, s’est poursuivie avec le Roi David qui en avait fait la capitale d’Israël avant Jérusalem. Depuis, on peut parler d’une présence juive continue avec quelques interruptions ponctuelles et relativement courtes.
Lph: Quelles sont ces périodes d’interruption?
E.A.: Les Juifs n’ont jamais quitté Hevron de leur plein gré. La première fois était à l’époque des Croisés. Après avoir conquis Jérusalem, ces derniers se sont dirigés vers Hevron. Les informations sur les massacres perpétrés les ont précédés. Ainsi, les Juifs vont devoir évacuer la ville pour se protéger. Un certain nombre se réfugient dans les villages arabes alentours et parmi eux, quelques-uns vont alors s’islamiser. C’est pourquoi, dans la région, on trouve encore aujourd’hui une tribu musulmane répondant au nom de Chitrit. Les Croisés expulsent tous les Juifs de Hevron. Lors de leur occupation, ils vont découvrir un passage vers les Tombeaux qui se situent sous la salle d’Itshak Avinou.
Puis leurs méthodes de guerre s’adoucissent et les Juifs tentent de revenir. Ils vont commencer par demander, par l’intermédiaire de Rabbi Yossi Hayetom, de pouvoir enterrer leurs morts à Hevron.
La deuxième fois où les Juifs ont dû quitter la ville sainte, c’est à la suite du pogrom de 1929: les Arabes voyant le pays leur échapper, prennent les armes et massacrent la population civile. Le drame est que les Rabbins sur place ont refusé l’aide des combattants de la Hagana, les débats entre sionistes et anti-sionistes ont eu des conséquences jusqu’à Hevron… Sur les 670 Juifs qui vivaient alors à Hevron, 67 ont été assassinées, soit un dixième de la population. Les 9/10e restants ont été sauvés par les Arabes de Hevron. Jusqu’à aujourd’hui, certaines familles peuvent vous montrer le certificat de Juste que leurs ascendants ont reçu pour cela.
A la suite de ce pogrom, les Anglais expulsent les Juifs de Hevron et les amènent à Mahané Yehouda. C’est pourquoi la synagogue du marché s’appelle »Beth Knesset Mefouné Hevron » (la synagogue des expulsés de Hevron).
Entre 1929 et 1948, un seul Juif restera vivre à Hevron. En 1948 il sera lui aussi contraint de sortir avec l’occupation jordanienne de la ville.
Lph: Comment se passe la renaissance juive à Hevron après 1967?
E.A.: En 1968 un groupe de Juifs religieux dont le Rav Levinger et de Juifs laïcs décident de retourner à Hevron. Le gouvernement de Lévi Eshkol leur autorise d’y passer un Pessah. Ils se rendent alors à l’hôtel Park et célèbre la fête. Puis le groupe refuse de partir. Le gouvernement est partagé sur la conduite à tenir: certains sont pour les expulser, c’est le cas de Moshé Dayan notamment, d’autres veulent leur permettre de rester, comme Igal Alon. Finalement, l’autorisation de construire Kiryat Arba aux portes de Hevron sera donnée. La Torah disant que Kiryat Arba est Hevron, on pensait que cela suffirait…
Mais c’était sans compter sur la volonté des femmes. En 1979, un groupe féminin, avec leurs enfants, commencent à occuper, le seul bâtiment juif resté intact depuis tout ce temps, l’hôpital Beth Hadassah. Menahem Begin, Premier ministre, déclare que jamais il n’expulsera un Juif de Hevron. Mais il lui faut quand même réagir: il fait encercler la maison par l’armée. Les femmes qui sortiraient ne seraient plus autorisées à entrer. Le courage de ces femmes n’a pas failli: elles demeurent enfermées. L’une d’entre elles a un bébé fragile, un médecin lui dira qu’en restant ici, il ne survivrait pas. La mère s’est entêtée: ce bébé est aujourd’hui Maire de Kiryat Arba Hevron (Mala’hi Levinger)!
Les maris venaient saluer leurs femmes tous les vendredis soirs. Jusqu’à un Shabbat de 1980 où des snipers arabes ont tué 6 hommes près de Beth Hadassah. Le gouvernement Begin donne alors l’autorisation de commencer à construire le yishouv juif de Hevron.
Hevron aujourd’hui
Lph: Est-ce cela l’histoire de Hevron: des morts pour obtenir des constructions?
E.A.: Malheureusement et jusqu’à aujourd’hui, on s’aperçoit que chaque centimètre carré à Hevron a été acheté deux fois: par l’argent et par le sang.
Lph: Comment expliquer que ce lieu pourtant dûment acquis par l’argent nous est autant contesté?
E.A.: Je ne suis pas adepte des explications mystiques. Mais dans ce cas précisément, je pense que nous ne pouvons faire l’impasse sur une explication religieuse. Lorsqu’Avraham arrive, il vient réparer une humanité qui avait déraillé depuis Adam et Eve. Ce nouveau chemin, tous le reconnaissent et veulent se l’approprier, les trois grandes religions veulent avoir leur part. Hevron cristallise les fois religieuses.
Lph: Pourtant l’histoire et l’actualité nous montrent aussi que les Arabes de Hevron, pour certains, ont eu et ont un comportement très respectueux des Juifs. Est-ce une réalité?
E.A.: Oui, certains Cheikhs de Hevron s’expriment ouvertement en faveur des Juifs, les reçoivent même chez eux, en leur servant de la viande « Beth Yossef »!
Mais la réalité est complexe et ce ne sont pas ces voix qui sont le mieux entendues pour le moment.
Lph: Finalement Hevron est un paradoxe: achetée mais contestée, lieu de solidarité et de convivialité mais aussi théâtre des massacres les plus sanglants.
E.A.: Oui, on peut résumer les choses ainsi. Hevron, un paradoxe difficile à élucider…
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