vendredi 20 octobre 2017

Le veilleur de l’Arche de la parole....


La saison des fêtes est close, la vie, comme on dit, reprend son cours. Une page est tournée, nous voici en ‘Hechvan. Et pourtant…la page tournée, encore toute bruissante de nos menus faits et gestes passés, mérite mieux que d’être jetée à la corbeille. Aurons-nous prononcé tant de prières en vain ? Certains commentaires ‘hassidiques entendent dans le nom du mois nommé aussi « Mar-‘hechvan » la racine « ra’hach »  qui signifie  » murmure « . N’avons-nous pas conclu notre précédent billet avec les paroles du chant d’autrefois :
Et ce chant dans mon cœur
Murmure, murmure,
Et ce chant dans mon cœur
Appelle le bonheur…
Le mois qui vient, sans fête ni cérémonie  commémorative, murmure dans notre cœur les chants et les prières de Tichri  et éveille en moi une mémoire plus ancienne. Ce premier chabat de ‘Hechvan, nous lisons la parachat  Noa’h. Et voici qu’avec le récit du déluge et du sauvetage de l’humanité future dans l’arche sous la houlette de Noa’h, me revient la mémoire de mon père nomme Noa’h, rescapé avec ma mère, ma sœur et moi, d’un autre déluge.
De retour après la guerre de la Suisse qui avait offert l’hospitalité à mes  parents                 » infiltrés illégalement » , de la France qui les traquait comme du gibier, en territoire suisse, notre arche familiale se posa dans une petite ville du Jura réputée pour ses fromages ( la fameuse « vache qui rit  » dont les boucles d’oreilles portant une boite de  »  vache qui rit »   éveillait ma curiosité d’enfant pour l’infini…). Mon père, comme le Noa’h biblique, parlait peu de la barbarie qui avait exterminé tous les siens. Il ignorait la haine et le ressentiment, mais sur ce fond de silence, il nous enseignait par l’exemple la valeur de la parole vraie.  Dénuée de toute rhétorique et de toute volonté de convaincre, la parole vraie est avant tout un geste fraternel offert à l’étranger en détresse, une main tendue, un repas partagé. Parole d’Abraham !
Bien des années plus tard, nous sommes noyés sous un déluge de paroles. Jour après jour, nous voilà matraqués par les What’s app, Tweeters et autres génies jaillis de la boite à paroles et répandant le venin de la haine et du mépris pour quiconque venu d’ailleurs, tous les Abel de la terre. La parole, comme une monnaie dévaluée, a perdu sa valeur-or. Que vaut une parole qui ignore le silence, le temps de la réflexion et du murissement intérieur ? Que vaut une parole qui ne sait pas écouter et ne cherche qu’à faire taire ses contra-dicteurs ? Une parole qui n’est plus une parole d’honneur mais une parole d’horreur ?
Lorsque Josué alerta Moché du fait qu’Eldad et Medad prophétisaient dans le camp et, d’après certains, annonçaient sa mort, Moché, le plus humble des hommes, répliqua : « Puisse-t-il plaire à D.ieu de faire de tout Son peuple des prophètes ! »
La parole vraie ne prétend pas détenir le monopole de la vérité. Bien au contraire, c’est la reconnaissance de ses limites qui fait d’elle une parole vraie. Comme l’enseignait le philosophe Karl Popper, une théorie scientifique perd sa légitimité  si elle est énoncée de façon telle qu’elle ne peut être réfutée. C’est toute la différence entre une théorie scientifique et une idéologie dogmatique. La vérité dont l’humanité est capable est semblable à l’arc en ciel après le déluge : elle se réfracte en  de multiples paroles, a l’image de la pluralité humaine.
Notre humble arche familiale accueillait les laissés-pour –compte, étrangers balayés par les remous de l’histoire, et ainsi répondait au jour le jour à la barbarie totalitaire acharnée à expulser l’autre, le différent, l’étranger.
Puisse la mémoire de ce Noa’h humble et courageux que fut mon père être bénie et célébrée par des paroles vraies, que seule peut préserver l’arche familiale, l’unique sanctuaire de la parole de vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La grandeur de Binyamin Netanyahou....

Binyamin Netanyahou était en visite aux Etats-Unis pour la conférence annuelle de l’AIPAC. Cette visite devait être triomphale. Elle a ...