mercredi 13 septembre 2017

"La France doit remplacer deux fêtes chrétiennes par Yom Kippour et l'Aïd"


INTERVIEW Nommée dimanche à l'observatoire de la laïcité par le Premier ministre, Dounia Bouzar, anthropologue spécialiste du fait religieux, estime que la France doit continuer à montrer l’exemple d’un Etat assumant son credo laïc.

Vous avez beaucoup écrit sur le problème de la laïcité dans le monde de l'entreprise. Jugez-vous que les employeurs doivent s'impliquer en la matière. Et si oui comment ?
Les employeurs doivent connaître les critères légaux qui permettent de gérer des revendications d'ordre religieux et notamment savoir réagir de façon adéquate quand cela engage le 'travailler ensemble'. Aujourd'hui le problème n'est pas lié à un vide juridique. Les lois existent, mais les managers ne les connaissent pas. Et lorsqu'ils se retrouvent face à un ou plusieurs salariés qui mettent en avant leur religion, ils se retrouvent seuls et réagissent souvent en fonction de leur propre idéologie ou conviction. Dans l'état des lieux que j'ai été amené à réaliser en 2009 pour écrire "Allah a-t-il sa place dans l'entreprise", j'ai pu constater que de nombreuses entreprises n'avaient pas de lignes cohérentes en la matière. On pouvait observer tel type de réaction au 3e étage et une réaction diamétralement opposée au 5e d'un même siège social. Depuis, bien du chemin a été parcouru. J'ai travaillé sur ce sujet avec de nombreuses entreprises. D'abord des grandes comme VinciTotal, L'Oréal… Avec EDF, nous avons étudié la jurisprudence française et établi 6 critères permettant à un manager de dire "non". Un guide a été publié et il a inspiré la RATP et La Poste.
Quels sont ces 6 critères ?
D'abord la demande religieuse du salarié ne doit pas perturber sa mission et ses aptitudes ainsi que l'intérêt commercial de l'entreprise. Elle ne doit pas non plus aller à l'encontre du respect des règles de sécurité et d'hygiène ni contrevenir à l'interdiction de toute forme de prosélytisme.
Concrètement qu'est-ce que cela signifie ?
Eh bien par exemple lorsque quelqu'un répond à une candidature pour être barman, il ne peut pas, ensuite, refuser de servir de l'alcool. De même qu'un cuisinier ne peut pas exiger de ne pas toucher de la viande de porc. Cela veut aussi dire qu'un manager doit savoir se montrer neutre dans ses relations aux autres.
Donc, dans ces conditions, une femme qui porte le foulard ne peut pas être cadre selon vous ?
Non, ce devoir de neutralité implique à un manager de ne porter aucun signe religieux. Sur la question du voile en tant que tel, les réponses varient en fonction des métiers. Si une musulmane travaille dans une banque et gère des dossiers, il n'y a pas de raison de lui interdire le port du voile, mais si elle est couturière elle prend des risques pour sa santé et si elle infirmière, elle en fait courir aux patients. L'application des 6 critères facilitent grandement l'analyse de chaque situation.
La question de l'intérêt commercial d'une entreprise n'est-elle pas compliquée à gérer quand des salariées exigent de pouvoir porter le voile ?
Il y a une jurisprudence en la matière. Ainsi un grand centre commercial avait voulu interdire le foulard a toutes ses caissières arguant de l'intérêt économique de l'entreprise. La justice a tranché : c'est à l'employeur d'apporter la preuve d'un préjudice commercial. A défaut il n'a pas le droit d'interdire. Autre cas, une femme s'était faite embauchée par un magasin vendant des dessous féminins et vêtements branchés. Au début elle venait avec un bandana puis elle a fini par adopter le look "bonne sœur". Elle a été licenciée et cette décision a été jugée légitime car cela impactait l'intérêt économique du magasin.
La question du hallal dans la restauration collective est-elle un sujet qui doit être débattu ? 
Non. Dans les restaurants d'entreprises il y a toujours du poisson ou des oeufs. Mais quand les salariés demandent qu'un panneau indique la présence de porc ou d'alcool dans les plats, je pense que la réponse la mieux adaptée est d'indiquer des informations sur la composition des plats qui ne se limitent pas aux interdits religieux. Ainsi une personne allergique aux arachides sera satisfaite de pouvoir éviter un plat qui en comporte. Si chacun tire parti de ces informations, on évite un débat autour de la question de la liberté religieuse et, donc, du communautarisme. Il en va de même pour la gestion du temps de travail pendant le ramadan. Quand un manager accorde à un salarié d'arriver plus tard ou de partir plus tôt pour qu'il puisse mieux gérer son jeûne, il risque de frustrer la mère de famille qui élève seule ses enfants et aimerait elle aussi bénéficier de telles facilités. Mieux vaut donc instaurer des facilités qui profitent à tous. On peut par exemple avoir des horaires fixes sur 32 heures et 3 heures de plages variables. Ainsi chacun y trouve son compte.
Un Etat laïc comme la France peut-il continuer à prendre en compte les fêtes catholiques en négligeant celles des juifs ou des musulmans ?
Je pense que la France a montré l'exemple de la laïcité au monde en instaurant la première la liberté de conscience, d'avoir la religion de son choix ou de ne pas croire en dieu. Elle doit donc continuer à montrer la voie. Aujourd'hui tous les Français fêtent Noël et je pense qu'il faudrait également qu'un de nos jours fériés soit celui d'une fête juive et d'une fête musulmane.
Deux jours en plus ?
Non, on doit remplacer deux fêtes chrétiennes par Yom Kippour et l'Aïd. Le clergé y a longtemps été opposé mais il a évolué et n'y est plus hostile car il y a beaucoup de fêtes chrétiennes. Qu'une fête juive et une fête musulmane devienne une fête pour tous les Français permettrait de combattre le communautarisme et de faire avancer la cause de la laïcité. Aujourd'hui, les français de confession juive ou musulmane sont très mal à l'aise quand ils demandent un jour de congé pour célébrer ces deux fêtes très importantes. On peut le leur refuser pour nécessité de service.

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