mardi 14 juin 2016

Les fous d'Allah sont-ils malades ?


Face à la menace terroriste, les juges ont pris l'habitude de demander systématiquement des expertises psychiatriques. 


Et soudain, un fou endeuille l'Amérique. Une cinquantaine de morts dans une boîte gay d'Orlando fusillés, selon les premiers éléments de l'enquête, au nom de l'organisation État islamique (EI). Plusieurs fois, ces dernières années, le FBI avait nourri des soupçons à l'encontre du meurtrier, sans jamais réussir à les étayer. Omar Seddique Mateen, 29 ans, était donc libre d'acheter des armes. Interrogée, sa famille dément un quelconque lien avec le djihadisme, mais parle d'un jeune homme « instable mentalement ». 

Jamais son ex-compagne, victime de violences conjugales, ne l'avait entendu soutenir le terrorisme ou l'islamisme radical. « Il était évidemment profondément dérangé et traumatisé », a-t-elle confié. Les investigations devraient révéler, dans les prochaines heures, le véritable mobile du tueur : a-t-il agi en raison d'une « homophobie viscérale », comme le dit son père ? En soutien à Daech, comme le supputent d'autres ? À cause d'une maladie mentale ?
À chaque attentat, le même réflexe : on aimerait les savoir fous à lier. Atteints d'une pathologie qui expliquerait leurs actes et qui nous permettrait, rassurés, de les oublier au fin fond d'un asile. Oui, mais voilà : les djihadistes sont-ils malades ? « Quand je les ai devant moi, là, à les interroger, j'ai parfois tendance à me dire qu'ils sont un peu zinzins. Médicalement, ils ne le sont pas », assure un magistrat du pôle antiterroriste de Paris. De cette folie dépend pourtant leur avenir : seule une abolition de leur discernement permettrait à ces jeunes d'obtenir une irresponsabilité pénale, d'éviter la case prison et un procès réclamé par l'opinion publique. 
Dans les faits, cela n'arrive jamais : « On ne peut pas se le permettre. Le risque est trop élevé », confie une source judiciaire. Les djihadistes sont donc mis en détention provisoire et jugés. Et qu'importe qu'ils ne nous paraissent pas tout à fait normaux. La raison à cela est également politique : quoi de mieux qu'un procès public pour montrer à la nation que la France punit ceux qui préméditent sa mort ?

« Cela dépasse notre entendement »

Smaïn Aït Ali Belkacem, artificier des attentats de 95, condamné à une nouvelle peine de prison en 2012 pour avoir fomenté son évasion, l'avait bien compris, lui qui a essayé à plusieurs reprises de se faire passer pour plus fou qu'il n'était. Selon des documents retrouvés par Le Point, le djihadiste avait pris l'habitude de s'enduire tous les soirs d'excrément – une vieille pratique des prisonniers de l'IRA – pour protester contre son transfèrement à Fleury et pour réclamer son placement en unité psychiatrique. 
Un stratagème qui n'avait à l'époque dupé personne : une « intelligence normale », « pas de symptômes pathologiques », avait répondu l'enquêteur de personnalité mandaté par la justice. Lequel précisait sa pensée : « (Belkacem) sait très bien où est la vérité, ce qu'il peut ajouter, retrancher, voire interpréter. Et s'il la travestit, c'est d'une manière consciente et délibérée. » Froid et manipulateur.
Chaque semaine ou presque, la XVIe chambre du tribunal correctionnel de Paris voit débarquer son lot de jeunes fanatiques. Des procès qui durent deux ou trois jours, parfois une semaine, et qui, bien souvent, ne permettent pas de comprendre les motivations de ces jeunes. « C'est un véritable défi pour l'avenir. Cela dépasse notre entendement, le vôtre, le mien : pourquoi partent-ils ? », concède un juge, qui n'a pas encore trouvé de réponse. 
À chaque fois, les professionnels de la justice s'interrogent : où se situe la frontière de la folie ? Les jeunes hommes et femmes qui se présentent devant eux ont-ils véritablement conscience de leurs actes ? Ou sont-ils coupés à un tel point de la réalité qu'ils ne sont plus maîtres d'eux-mêmes ?

Mohamed Achamlane, une personnalité « paranoïaque et perverse »

Au tribunal, les exemples s'accumulent. Ahmed*, la vingtaine, qui a séjourné plusieurs fois en prison pour des délits mineurs avant de partir en Syrie, ne fait pas la différence entre des grands préceptes de l'Islam et certaines théories du complot. Tout se mélange dans sa tête. Mohamed Achamlane, le très médiatique chef dugroupuscule islamique français Forsane Alizza (dissous par Claude Guéant en février 2012), est décrit par les experts comme doté d'une personnalité « paranoïaque et perverse ». 
« Il est égoïste, se considère comme supérieur et trouve normal d'utiliser les autres (…). Il ne paraît pas avoir d'inhibition, d'interdits. Rien ne doit entraver son action (…). L'autre n'existe pas », avaient-ils expliqué lors de l'instruction. Les psychologues concluent : Achamlane a des troubles de la personnalité mais reste accessible à une sanction pénale. Il sera condamné à neuf ans de prison en juillet 2015.
Gauthier, 25 ans, jugé début avril à Paris pour avoir voulu partir en terre de djihad, affirme ne répondre que de la loi d'Allah et refuse de se soumettre aux questions du juge. Ses propos sont décousus et incohérents. En plein milieu de l'audience, il dépose délicatement ses lunettes devant lui dans le box des prévenus et se met à prier, sous le regard désespéré du président du tribunal. Lequel laisse faire cette entorse à la laïcité qui n'aurait jamais dû être tolérée dans l'enceinte d'un palais de justice. 
« Certains poussent leur religion à un tel extrême que leurs pratiques s'apparentent presque à de la sorcellerie », ajoute un magistrat. Les juges ne sont pas préparés à devoir affronter cela à la barre et ne trouvent de réponses ni dans le code pénal ni dans les livres de psychiatrie.

Des expertises psy automatiques en matière terroriste

Des gamins comme Ahmed et Gauthier, il y en a des centaines. Il y a quelques années à peine, la presse les qualifiait encore d'« apprentis djihadistes » ou de « pieds nickelés » du djihad. Depuis les attentats de janvier puis de novembre 2015, ils sont devenus, aux yeux des médias, des apprentis terroristes. La justice, elle aussi, frappe plus fort, sans toutefois mieux comprendre. Les peines de prison ne sont plus tellement assorties de sursis et sont facilement multipliées par deux depuis la fin des années 2000. Les drames familiaux et les difficultés sociales ne sont plus des excuses.
Un magistrat antiterroriste confie : « La plupart du temps, nous ne savons pas ce qu'ils ont fait en Syrie. La géolocalisation nous permet de retracer leur parcours mais nous ne savons souvent rien de plus. Nous avons donc pris l'habitude, en matière terroriste, de toujours mandater un expert. » Lequel est chargé de sonder le fou d'Allah. « Nous avons l'espoir de mieux individualiser les peines », précise le magistrat. 
Cela permet également, même s'il ne faut pas le dire trop haut, pour ne pas froisser les grands principes de notre droit, de mieux mesurer les véritables intentions de ces jeunes. Et de les condamner en conséquence. Des jeunes qui ne sont donc plus seulement enfermés pour leurs actes, mais bel et bien pour leur dangerosité potentielle.

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