jeudi 16 juin 2016

Je ne conduis pas, et alors?


L'avoir ou pas? Pour certains, ne pas être détenteur du permis de conduire ou refuser de prendre le volant relève presque de l'hérésie. Pourtant, le nombre de personnes dans ce cas augmente. Voyage au pays de ceux qui voient la vie en rose... sans posséder le petit papier.

83% des Français majeurs possèdent le permis. Bienvenue au pays des 17% restants. Ingrid, 32 ans, est titulaire d'un doctorat en urbanisme mais aussi de quatre échecs à l'examen de conduite. "Je m'étais dit jamais deux sans trois, rit-elle un peu jaune. Mais bon, quand j'ai vu que la quatrième fois n'était pas non plus la bonne, j'ai décidé d'abandonner. Pour le moment du moins."  
Autre cas de figure, ceux qui, comme Daria, 30 ans, se sont dépêtrés du permis mais pas de leur peur de prendre le volant. "C'est toujours mon ami qui s'y colle. Et pour cause, une fois l'examen passé, je n'avais pas de voiture et n'ai jamais vraiment eu l'occasion de m'exercer", explique-t-elle. 

Stratégie d'évitement

"Depuis les années 1990, on observe un ralentissement du taux de détention du permis de conduire", confirme Yoann Demoli, docteur en sociologie et auteur d'une thèse sur les usages sociaux de la voiture. 
Conduire ou ne pas conduire est pour certains une source d'hésitation, voire d'angoisse. "J'essaie de m'imaginer au volant, raconte Ingrid. Mais me viennent immédiatement des pensées catastrophistes: l'accident bien sûr mais aussi le conducteur ivre qui me fonce dedans. La conduite ne m'évoque jamais la liberté."  
La peur prend alors le dessus sur les rêves d'indépendance desamaxaphobes, c'est-à-dire ceux qui ont peur de conduire. Daria découvre donc le fin fond des Cévennes grâce à son compagnon. Ingrid se contente des sites desservis par la SNCF.  

Un cercle vicieux

Car conduire induit que l'on est responsable de sa vie mais également de celle de ses passagers, que l'on doit prendre en compte les autres automobilistes comme les piétons. "Le problème du stress, souligne Benjamin Lubszynski, coach et thérapeute, spécialiste des thérapies brèves, est qu'il grandit. A force, le stress lui-même devient stressant. Plus on lutte, plus il se renforce." 
Pour ceux qui possèdent le permis mais renâclent à conduire se met en place une logique de "désapprentissage". "On conduit de moins en moins. Et plus se met en place cette stratégie d'évitement, plus la peur augmente", analyse le coach.  

Mes peurs, mes parents et moi

De vieux souvenirs peuvent aussi venir polluer notre inconscient. Marion, 37 ans, se remémore un accident vécu par sa mère l'année de ses six ans. "Le choc lui avait fait temporairement perdre la mémoire. Elle ne se souvenait même plus qu'elle était enceinte de ma petite soeur. Cet épisode s'est inscrit profondément en moi, me faisant associer la voiture à quelque chose de négatif."  
Pour certains, refuser de prendre le volant, c'est aussi prendre le contre-pied d'une injonction parentale. "J'ai toujours entendu ma mère dire que le permis représentait l'autonomie. Inconsciemment, j'ai peut-être voulu lui prouver le contraire", analyse Ingrid.  
"Le permis, c'est non seulement l'indépendance mais aussi la prise de responsabilité. Bref, le passage à l'âge adulte", analyse Philippe Colombani, président de l'Union Nationale des Indépendants de la Conduite (UNIC). Les réticents du permis auraient-ils à couper le cordon et à conduire seul leur existence?  

Et si on relativisait?

En tout cas, la minorité silencieuse des non-conducteurs sature. "Alors, quand est-ce que tu t'y mets?", "on t'offre une voiture électrique à Noël?", "c'est toi qui nous ramène ce soir?": les blagues sur le permis, Marion sait qu'elle va y avoir droit à chaque repas de famille. "Evidemment, ça me crispe, ça m'agace, ce qui incite les autres membres de ma famille à en remettre une couche", soupire-t-elle.  
Pour Benjamin Lubszynski, mieux vaut assumer: "On ne peut pas éviter les sarcasmes mais on peut les limiter, estime-t-il. Le tout est de ne pas tomber dans la contrition. Un simple 'je n'aime pas la voiture donc je ne conduis pas' suffit amplement. Sinon, on peut aussi pratiquer l'auto-dérision pour dégonfler le problème. On en rajoute sur son 'cas', on surjoue. Il n'y a alors plus de place pour la moquerie." 
Marion a ainsi choisi de se surnommer elle-même "le boulet". "Cela évite aux autre de le faire pour moi", résume la jeune femme.  
Quant à ceux qui ont le petit papier rose mais rechignent à conduire, Benjamin Lubszynski insiste sur le côté toxique des copilotes zélés et autres compagnons de voyage prêts à commenter chaque manoeuvre et qui savent toujours ce qu'il faut faire. 
Rien ne sert de s'énerver, cela leur donnerait raison. En revanche, on prend le temps d'inspirer et d'expirer profondément pour faire passer l'agacement et éviter un pugilat sur l'autoroute. 

Un comportement très urbain

Ingrid a fait de son "handicap" un argument écologique. "Tout le monde parle de décroissance? Moi, je l'applique!", explique-t-elle crânement, mettant en avant son bilan carbone quasi irréprochable. D'autant qu'à l'heure de la promotion de la slow life, ne pas conduire permet de lire, rêvasser ou discuter pendant son trajet dans lestransports en commun.  
"Ce comportement reste néanmoins marginal et très urbain", tempère Yoann Demoli. Impossible de se passer du permis ailleurs qu'aux abords de la capitale ou dans les grandes villes de province, où les alternatives sont suffisantes grâce aux véhicules en libre service, aux services de covoiturage et à un maillage serré de transports. 

Un frémissement d'envie automobile

Pourtant, parmi les non-conducteurs, certains seraient prêts à se laisser séduire par les sirènes du klaxon. Un changement de vie peut jouer le rôle de moteur. Une mutation professionnelle en province ou un déménagement sont autant d'occasions qui peuvent stimuler un frémissement d'envie automobile.  
Pour Daria, ce sera le projet d'enfant avec son compagnon. "Je n'ai pas envie d'être la maman à l'ancienne, dévolue à la lecture de la carte routière", confie-t-elle. Marion non plus ne dit pas non. Mais pour l'instant, la peur prend encore le pas sur l'envie. "D'autant que j'ai des souvenirs cuisants d'auto-école", justifie-t-elle. 
Selon Philippe Colombani, c'est là le véritable enjeu. "Pour ces gens qui ont peur, je recommande plutôt les petites auto-écoles où le candidat n'est pas uniquement un numéro. On peut aussi demander un rendez-vous avec le directeur. A lui de vous écouter, vous comprendre, vous apporter des solutions. Telles sont les bases d'un dialogue constructif. Assurez-vous aussi que vous aurez toujours le même moniteur afin de bénéficier d'un vrai suivi." 

Apprendre à diminuer son stress

Les plus anxieux pourront tenter des séances de sophrologie. Pour une reprise de la conduite, d'autres méthodes alternatives peuvent être fructueuses. "Une thérapie brève ou les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont susceptibles d'apporter des solutions", estime Benjamin Lubszynski.  
L'idée est d'apprendre à diminuer son stress en s'exposant progressivement à l'objet de sa peur. Reste bien sûr ensuite à reprendre des heures de conduite pour se familiariser avec le véhicule. "La confiance passe avant tout par la maîtrise de la voiture", souligne Philippe Colombani.  
Enfin, la présence bienveillante d'un proche -comprendre: celui qui n'agrippe pas la poignée de sécurité au moindre coup de frein- peut s'avérer réconfortante et stimulante. Alors, ça roule? 

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