L'équipe d'Avenir du Judaïsme, engagée autant dans des débats qui animent la Communauté que dans de nombreux combats dans la société française, tels que celui de la lutte acharnée contre le boycott d'Israël, l'antisionisme, faux-nez de l'antisémitisme, mettant l'accent sur le rôle de ces campagnes de diabolisation d'Israël dans la montée de l'antisémitisme, se retrouve aujourd'hui en première ligne dans des questions qui relèvent des pratiques communautaires.
L'affaire du Guet, c'est un peu comme cette comptine qui clôt le Seder de Pessah. Had Gadya. Du malheureux "cabri que mon père avait acheté pour deux zouz, et vint un chat qui dévora le cabri, que mon père avait acheté pour deux zouz, et vint un chien qui dévora le chat, etc.
Rappelons les faits. Nous avons là un ex-mari récalcitrant qui fait pression sur son ex-épouse pour tirer un avantage substantiel de la délivrance du Guet depuis plusieurs années.
Contre toute attente et surtout contre toute logique, un public médusé qui subodorait sans doute de telles pratiques découvre que, loin de faire pression sur le mari, le Service des Divorces du Beth Din de Paris déploie des moyens pour renforcer la pression du mari et arracher à la jeune femme argent et rétractation de son témoignage devant un tribunal civil.
Contre toute attente et surtout contre toute logique, les dirigeants du Consistoire font une haie d'honneur aux protagonistes de cette affaire sans une analyse approfondie des pratiques en question au Service des Divorces.
Contre toute attente et surtout contre toute logique quelques journaux de la presse écrite communautaire adoptent le point de vue le plus unilatéral possible… Had Gadia.
Rappelons la chronologie de cette affaire avec, en contrepoint, les réactions du Consistoire de Paris et de ses affidés (en italique).
Une séance de remise de Guet a lieu au Beth Din de Paris , le 18 mars 2014.
L'affaire commence avec la publication de l'article de Sarah Levy dans le Jérusalem Post. Nous apprendrons plus tard que Sarah Levy est une proche de l'ex-épouse.
Le Consistoire n'a nullement réagi à cet article.
Quelques jours seulement après le Guet, le 9 avril, le Pr Liliane Vana, au fait de cette affaire car accompagnant depuis plusieurs années l'ex-épouse concernée, écrit aux dirigeants du Consistoire et à tous les Rabbins de la région parisienne pour les informer des conditions scandaleuses de ce Guet.
Elle attire leur attention sur les "dysfonctionnements" du Service des Divorces du Consistoire, et insiste sur la nécessité urgente "d’assainir le fonctionnement de ce service". Elle demande qu'on diligente "une enquête interne".
Le Pr Liliane Vana rencontre Joël Mergui, Président du Consistoire, peu après cette lettre. Il ne donne aucune suite à sa demande d'une réaction à la hauteur du scandale.
Le Pr Liliane Vana rencontre Joël Mergui, Président du Consistoire, peu après cette lettre. Il ne donne aucune suite à sa demande d'une réaction à la hauteur du scandale.
Néanmoins, les échanges entre le Pr. Liliane Vana d'une part, le Président du Consistoire et le Grand Rabbin de Paris d'autre part, démontrent que ces dirigeants ont au moins conscience de sa totale légitimité dans ce dossier, sachant que ses demandes s'inscrivent dans le strict respect de la Halakha.
En l'absence de réponse, au début du mois d'avril, le Pr Liliane Vana décide de rendre publique la lettre qu'elle a envoyée quelques semaines plus tôt aux Rabbins et aux dirigeants du Consistoire. La lettre est publiée dans JForum, le 6 avril.
Toujours aucune réaction des intéressés.
Le Pr. Liliane Vana intervient sur Radio J, le 27 avril et relate cette histoire dans ses grandes lignes.
Silence radio du côté de la rue Saint-Georges.
Au début du mois de mai, Eliette Abecassis s'émeut à son tour de ce scandale et publie un article repris dans JForum le 2 mai.
Le Consistoire choisit de faire la politique de l'autruche.
Dans au moins six témoignages reçus et où les conditions de délivrance du Guet sont très difficiles du fait d'un mari récalcitrant, il est relaté que les responsables du Service des Divorces emploient deux expressions, pour le moins malheureuses : "le Guet, ça s'achète" et "c'est le prix de votre liberté". D'après ces témoignages, s'engagent des transactions financières conduites par le Rabbin Betsalel Levy, Mazkir (secrétaire) du Beth Din de Paris.
Dans l'une des interviews, le 9 mai sur Radio Shalom, Alex Buchinger, Secrétaire Raporteur les qualifiera de discussions de "marchand de tapis". Loin de faire pression sur l'ex-mari récalcitrant (comme le Consistoire l'indique sur son site), le Beth Din répercute celles de l'ex-mari sur l'ex-épouse.
Après la publication de l'article par Avenir du Judaïsme, le Consistoire continue à garder le silence.
L'émoi suscité par cette affaire particulièrement dans les réseaux sociaux, attire l'attention de l'Express qui interroge les parties et publie son article, le 7 mai.
C’est le tournant.
Toutes les tentatives de dialogue précédentes, internes à la communauté n’ont servi à rien. Il a donc fallu qu’un journal de la presse nationale sorte article sur ladite affaire pour que le Consistoire décide de réagir.
Tour à tour, trois intervenants, vont monter au créneau, le Secrétaire Rapporteur du Consistoire de Paris, Alex Buchinger, le Grand Rabbin de Paris, Michel Gugenheim et le Président des Consistoires, Joël Mergui. Les réactions du Consistoire illustrent à merveille le mécanisme de défense de tout système clos : Déni, mensonge et théorie du complot.
Concernant Avenir du Judaïsme, nous avons suivi cette affaire depuis début avril, sans réagir, en l'absence de preuves tangibles (à part un simple retweet de l'article du Jerusalem Post). Par plusieurs sources concordantes, de personnes qui n'ont pourtant aucun lien les unes avec les autres, nous découvrons les détails de cette affaire.
Nous avons cherché à en savoir plus, en interrogeant des personnalités préoccupées par le sort desAgounot et les conditions de délivrance des Guittin.
A la fin avril, nous arrivons à entrer en contact avec la famille concernée et nous obtenons la confirmation de l'existence de preuves matérielles des conditions scandaleuses de la délivrance de ce Guet. Nous déléguons des personnalités dignes de foi pour visionner ces preuves, le 1er mai.
C'est ainsi que nous rédigeons notre article en nous fondant sur les verbatim les plus précis et significatifs. Notre article porte exclusivement sur la description des échanges entre les protagonistes et du déroulement de cette séance du Beth Din. Nous excluons d'emblée de décrire la situation intime et les terribles souffrances engendrées par plusieurs années de conflit entre les deux ex-époux. Notre article est publié le 6 mai.
Sommes-nous objectivement critiques envers les actuels dirigeants du Consistoire ?
La réponse est oui, pas par antipathie personnelle, mais seulement parce que leur gouvernance est désastreuse et que leur approche est totalement obscurantiste. Cela doit-il nous condamner au silence quand nous constatons des dysfonctionnements, sous prétexte qu'en dénonçant certaines pratiques scandaleuses, nous ferions vaciller l'appareil consistorial ? Certainement pas ! On a l'impression que pour dissimuler une pratique douteuse contraire à la hala'kha, mysogine de surcroît puisque plaçant de facto l'épouse en statut d'inferiorité, ne lui autorisant aucune négociation, il suffit d'invoquer la position d'opposant de celui qui accuse en la teintant d'une forte connotation partisane, et en la saupoudrant de détails saugrenus soi-disant manquants qui ont pourtant été confirmés de toutes les parties y compris du Grand Rabbin de Paris. Oui il s'agit bien une fois de plus de digressions au goût de mauvaise foi refusant l'évidence même des faits et de leurs conséquences.
Pourquoi avons-nous publié cet article ?
Parce que le mauvais traitement du problème des agounot dure depuis longtemps, et que des femmes souffrent du chantage des maris récalcitrants.
Cette affaire est également une des illustrations des dérives récurrentes au Consistoire. La volonté de changer profondément ce qui dysfonctionne n'est pas venue et ne viendra pas des affidés du système, incapables de faire preuve d'esprit critique.
A cela il faut ajouter l'absence d'investigation de la presse écrite communautaire, dont un exemple nous est donné par l'hebdomadaire Actualité Juive, qui non content de ne pas avoir enquêté sérieusement sur cette affaire, se met au service des positions de l'institution (interviews exclusivement des protagonistes d'un seul bord (et non de femmes dans cette situation ou d'organisations féminines), devenant ainsi un journal-godillot.
Le curieux mélange des multiples déclarations des dirigeants du Consistoire, des interviews type "La Pravda" de Moscou à l'ère soviétique d'Actualité Juive et de son désormais clone Hamodia, des approches indépendantes et très pugnaces de journalistes de la fréquence juive, des informations des sites indépendants (JForum, Jewpop, Blog Modern orthodoxe), tout cela produit un foisonnement d'informations, d'autant que Pierre Gandus, le 7 mai sur Radio Shalom fait entendre à l'antenne des extraits sonores d'échanges accablants entre la famille de la jeune femme et un membre du Service des Divorces.
C'est un peu comme un puzzle dans lequel chaque bribe d'information vient compléter l'autre donnant un ensemble assez cohérent malgré les incohérences individuelles. Et ce puzzle une fois assemblé confirme bien que tout ce qui a été écrit par Avenir du Judaïsme le 6 mai s'est avéré totalement exact, confirmé de manière irréfutable :
- Il y a bien eu des conditions, négociées de surcroit par un membre du Beth Din, le Rabbin Betsalel Levy, avec, à la clé, l'établissement d'un chèque de 90000 € à l'ordre des institutions Sinaï au détriment de la famille de la jeune femme et contrairement au principe de la délivrance du Guet, qui devrait être sans contrepartie financière.
- Le Directeur des Institutions Sinaï, Yossef Pevzner, a bien participé à cette séance du Beth Din. Nous pouvons également affirmer qu'il est un des trois signataires du document du Guet (en qualité de quoi ?).
- Il y a bien eu l'exigence dictée par le Grand Rabbin Michel Gugenheim à la jeune femme de revenir sur son témoignage devant un tribunal civil en concluant "c'est le prix de votre liberté".
Sur ce dernier point, on nous interroge sur des détails dérisoires : "Est-il vrai que ce jour-là, le Rabbin tel ou tel aurait dit ceci ou cela?" Dans sa dernière interview sur JSS-News du 15 mai 2014, le Grand Rabbin Michel Gugenheim confirme lui-même les termes figurant dans notre article du 6 mai et les circonstances dans lesquelles il les a prononcés :
"Et lorsqu’on m’entend dire dans le film : « c’est le prix de votre liberté », il s’agissait d’une expression au figuré concernant la signature par la femme d’un document que lui demandait le mari. Je regrette aujourd’hui d’avoir eu recours à une telle expression car j’ignorais que j’étais filmé, et qu’elle allait être reproduite hors de son contexte, mais il ne s’agissait en aucun cas d’une quelconque pression de notre part, et encore moins d’une demande à caractère pécuniaire."
Contradictions
Ces éléments sont également confirmés par les différents protagonistes dont les propos s'avèrent dans certains cas contradictoires.
Dans Actualité Juive du 14 mai 2014, le G. R. Gugenheim (p.15) ne dit-il pas : " Je suis par principe opposé au versement de quelqu'argent que ce soit pour obtenir un guet. Quand j'ai été mis au courant de la tractation, je me suis demandé ce que je devais faire, si, pour une raison d'éthique, je devais annuler le rendez-vous au Beth Din du 18." Dans cette version, il reconnait avoir appris la tractation financière avant le jour du rendez-vous.
Dans JSS news du 15 mai, il déclare "En ce qui me concerne, j’ai été informé de cet accord, qui stipulait que 90000€ allaient être versés à une association, le jour même de la procédure. Je dois dire que cela ne me paraissait pas sain".
Censé défendre le même point de vue, Alex Buchinger déclare sur Radio Shalom, le 9 mai : "Après avoir auditionné le Grand Rabbin de Paris, avoir investigué comme un journaliste que je ne suis pas… Jamais le Beth Din de Paris n'a accepté qu'un Guet soit monnayé, je suis catégorique là-dessus, jamais, le Beth Din de Paris, le Grand Rabbin Michel Gugenheim et ses adjoints n'ont accepté de monnayer un Guet."
Autre contradiction importante, dans son droit de réponse à Avenir du Judaïsme, Yossef Pevzner déclare: "Dès que j’ai constaté à la fin de la cérémonie l’énorme machination et piège qui nous a été tendu, j’ai refusé catégoriquement de prendre le chèque et devant moi il a été restitué à la famille."
Et Pierre Assouline dans Actualité Juive du 14 mai, écrit en intertitre dans un article où il ne sera question que du 17 mars, au lieu du 18 mars [c'est dire l'absence de sérieux de ses "investigations"]: "Les rabbins ont refusé le chèque le soir même". Dans ce même numéro, le "Rabbin" Pevzner déclare : "j'ai demandé que le chèque soit rendu en ma présence." Le fameux chèque a donc bien été accepté puis rendu [à la famille après annonce de la main courante et de la vidéo] et pas "refusé" d'emblée.
A vrai dire, la rédaction d'Actualité Juive (même numéro) écrit dans un soulagement un peu imprudent, "la séquence médiatique n'a pas eu lieu". Or elle a eu lieu, et à quel point !
Au vu de tout ce qui précède, qui est responsable de cette "séquence médiatique" et est-elle légitime?
La presse nationale va rapidement dépasser les sources mises en ligne par les sites communautaires, pour accomplir le travail que la presse écrite juive a négligé de faire. Interviewant tous les protagonistes, soulevant les contradictions des défenseurs du Beth Din, contradictions qui leur démontreront définitivement que le Consistoire et le Beth Din ont été totalement opaques en la matière.
"La théorie du complot", telle qu'elle a été véhiculée par les différents porte-paroles du Consistoire, insinue que la presse nationale ne serait pas légitime à s'inquiéter de pratiques qui mettent des femmes juives, certes, mais qui sont aussi des citoyennes françaises devant bénéficier d'une totale égalité de droit, le concept même de "prix à payer" foulant au pied le principe même d'égalité.
Il faut maintenant sortir de cette affaire par le haut. Les institutions de la rue Saint-Georges sont en crise. Elles ne pourront pas faire l'économie d'une véritable remise à plat de leurs pratiques au Service des Divorces et probablement dans d'autres services religieux en contact avec le public.
A minima, s'impose la suspension des membres de ce service.
Il faut d'abord que le Consistoire sorte de cette posture du déni, irrespectueuse des attentes du public pour se pencher sur ses dérives, et y mettre un terme.
Il doit cesser de ne mesurer les faits qu'à l'aune de l'ego de ses principaux dirigeants, mais se préoccuper de la douleur des femmes confrontées à un processus humiliant, qui défie la Hala'kha en retournant contre ses femmes les pressions théoriquement censées s'exercer sur leur ex-mari.
Mais la crise va au-delà de l'institution. Elle touche aussi la conception même de l'information au sein de la Communauté. La presse écrite juive doit tirer les enseignements de la confusion des rôles. La révérence au pouvoir n'a jamais permis de faire avancer une seule question. Ce sont ceux qui posent les questions dérangeantes et pas les beni oui oui qui font advenir la réflexion nécessaire à des évolutions.
Dans le combat des idées, des dirigeants prennent de la hauteur quand ils cessent de se considérer comme une citadelle assiégée, quand ils acceptent d'être à l'écoute de ceux qui les contestent.
Du fait de leur vision étriquée et exclusiviste du Judaïsme, les dirigeants du Consistoire menacent eux-mêmes l'unité qui n'est pas l'unicité. On citerait volontiers le Pr. Armand Abécassis "Dire Am Israël Haï, c'est en effet donner témoignage de l'unité, mais d'une unité qui englobe toute cette multiplicité."
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