Hommage à la littérature sans faire étalage d’un savoir encyclopédique : défi relevé par Michel Field qui parle de livres qui l’ont marqué dans un roman à son image, érudit et gourmand.
Actualité Juive : Vos impressions, après la soirée des municipales que vous avez animée sur LCI ?
Michel Field : J’ai été frappé de voir à quel point personne n’était triomphant. Le sentiment confus d’un pays et d’un système malades était perceptible. Une partie de la jeunesse ne se reconnaît plus dans les formes de représentations politiques. C’est inquiétant dans la mesure où voter représente une mise en scène symbolique des conflits qui canalise d’autres types de violence...
A.J. : «Le soldeur» donne envie de lire ou relire les livres dont parle le narrateur : un beau compliment pour l’ex-prof ?
M.F. : Je craignais le poids des références personnelles et un peu générationnelles. Mais les lecteurs m’ont montré qu’ils projettent sur leur propre expérience tout ce que j’écris sur les questionnements de la classification, le rapport affectif à un livre, le rôle des couleurs…
A.J. : Ce livre semble être l’aboutissement de vos vies : engagement, enseignement, médias...
M.F.: C’est une sorte d’autoportrait, mais le personnage du soldeur, la rencontre avec la jeune femme, sont pure fiction. En même temps, le noyau du livre est une sorte d’autobiographie par les livres.
A.J. : L’histoire du narrateur vendant quelques livres chez un soldeur, sa rencontre avec une femme mystérieuse qui l’entraîne à se défaire de sa bibliothèque posent la problématique : se débarrasser de ses livres ouvre-t-il une vie nouvelle ?
M.F. : J’ai beaucoup déménagé dans ma vie et je me suis posé la question de savoir ce qui se passerait si j’abandonnais ma bibliothèque. Une bibliothèque, est-ce ce qui vous fait goûter le sel de la vie ou, au contraire, une forteresse qui vous en isole ? La fin que je propose est plutôt optimiste, qui consiste à dire que les livres sont faits pour être intériorisés, pas forcément gardés et que la création doit avoir le dernier mot...
A.J. : Le jeu de séduction fait du livre un délicieux roman…
M.F. Il fallait une rencontre amoureuse pour déclencher ce processus. Je trouvais intéressant de faire se confronter un homme dont la vie a naturellement baigné dans l’univers du livre et une jeune femme modernepour qui le rapport au livre est une conquête.
A.J. : Le narrateur n’a guère de livres juifs…
M.F. : Mon père était juif autrichien, militant d’extrême gauche. Nous avions un rapport d’étrangeté absolu à la revendication identitaire. Il y a chez moi un impensé. J’aurais pu m’accaparer ce trésor culturel qu’est la tradition juive d’écriture ; je suis allé chez les Grecs anciens. Au fur et à mesure que, dans notre contemporanéité, la judéité devenait une revendication de plus en plus fermement identitaire, je m’en suis éloigné. Je suis un homme de l’intersection.
«Le Livre comme source d’espoir ou de réflexion»
A.J. : Le «Cantique des Cantiques», si poétique, n’a-t-il pas sa place dans la bibliothèque de tout lecteur, fût-il «à l’intersection» ?
M.F. : Je l’ai ! J’ai aussi la Bible. Je ne les ai pas cités. Le noyau d’impensé…
A.J. : Relever que «libre» et «livre» ne diffèrent que d’une lettre ; passer du «plaisir comme moteur» à «moteur de recherche» : vous frôlez le raisonnement talmudique !
M.F. : Je le sais. Je parle aussi de ce qu’est le Livre comme source d’espoir ou de réflexion. Mais peut-être faudra-t-il un tome 2 avec un complément de bibliothèque…
A.J. : Transmettez-vous votre judéité à vos enfants ?
M.F. : Elle n’est pas déniée. Je suis athée mais j’ai trop fréquenté les livres pour ne pas être sensible à la question de la transcendance. Ma fille aînée a tenu à se convertir et à faire sa bat-mitsva. Je l’ai accompagnée dans cette démarche, ce qui m’a valu de me retrouver dans une situation inattendue lorsque je l’ai inscrite au cours de Talmud Torah. C’était la première fois que je rentrais dans une synagogue. J’ai été très ému lors de la cérémonie.
A.J. : Vous avez enseigné à Paris VIII. Que dire de l’accueil réservé aux étudiants israéliens ?
M.F. : Nous en revenons à la crise de la représentation démocratique. Par ailleurs, chacun se désigne comme faux ennemi. J’y ai été sensible avec la dérive de Dieudonné et l’écho qu’il peut avoir chez des jeunes dénués d’antisémitisme, convaincus du «deux poids deux mesures». On a envie de dire aux uns et aux autres : «Pointez le vrai ennemi».
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