La séquence figure à la fin du troisième épisode de Maison Close, la grande saga en costumes diffusée en ce moment même sur Canal+, tous les lundis soir. Recrutée de force, la belle, juvénile et vierge Rose a été « vendue aux enchères » et sa virginité cédée au plus offrant. Le gagnant la dépucèle dans une scène qui risque de figurer au triste « panthéon » des représentations du viol à la télévision et au cinéma. Fallait-il aller jusque là ?
Maison Close, la toute nouvelle création originale de la chaîne cryptée, annonce clairement de quoi elle parle et sa gigantesque campagne de publicité (affiches, spots télé et radio, etc.) ne laisse planer aucun doute : il s'agit de montrer la vie dans un bordel de luxe, à Paris en 1871. Loin des maisons d'abattage, les prostituées y sont choyées, soignées, adulées… et livrées aux clients pour remplir les caisses d'Hortense, la patronne.
La série, la première en costumes jamais produite par Canal+, suit le destin de trois femmes : Vera, la « star » qui pense à son départ, Hortense qui est prête à toutes les compromissions pour garder le Paradis (…et Vera, dont elle est éprise) et la jeune Rose, à la recherche de sa mère, qui devient contre son gré une des filles du bordel.
Évidemment, avec Canal+, on sait que la série ne va pas se voiler la face et ne se privera pas des moments crus qu'une telle histoire peut comporter. C'est bien ce qui a fait l'intérêt des séries précédentes de la chaîne, des séries plus contemporaines comme Braquo, Engrenages, Mafiosa, Pigalle la Nuit et les toutes aussi remarquables La Commune et Reporters.
Très documentée sur la vie de l'époque, sur les « maisons de tolérance » et la condition des femmes et des prostituées au XIXème siècle, Maison Close bénéficie d'atouts certains : une mise en scène splendide de Mabrouk El Mechri, des décors et des costumes de toute beauté et des comédiennes superbes. Mais elle est malheureusement handicapée par un manque assez prononcé de trame et d'histoire, même si les personnages ont une certaine profondeur. On est, la plupart du temps, dans l'anecdotique, la chronique facile et la scénette un peu bâclée. Les agissements machiavéliques des unes et des autres me font plus penser à Melrose Place qu'à une grande saga dramatique. On est dans un romanesque qui vire un peu trop au soap.
Jusqu’à cette fameuse scène. Certes, le personnage de Rose va ensuite prendre beaucoup d'importance et mûrir. Certes, cette « initiation » (si on ose l'appeler ainsi…) est narrativement correcte et s'appuie sur un contexte dramatique. On aurait donc très bien compris la véritable horreur de la situation même si elle avait été montrée avec pudeur…
Mais il n'en est rien. Tournée en plan séquence, sans interruption et pendant près de deux minutes, Rose est purement et simplement violée et la caméra nous montre, en gros plan, son visage en larmes, hurlant de douleur. Pendant 1 minute et 45 secondes ! Le choix de cette mise en scène est pour le moins discutable et fait d'un moment fort une séquence quasi-insoutenable, dérangeante, malsaine.
C'est la sensibilité de chacun qui est alors en cause. Pour certains, cette scène n'a pas choqué car présentée dans le contexte d'une maison close : son réalisme ne dépareille pas. Pour d'autres, cette insistance frôle la fascination pour le viol. On peut au moins se poser la question : fallait-il en arriver là ?
Dans ce blog, j'ai déjà souvent évoqué la liberté de ton de nombreuses séries qui peuvent repousser les limites et évoquer ou montrer du sexe sans que cela ne me fasse bondir le moins du monde. La légitimité de l'histoire, l'évocation et la subtilité de la mise en image posent une distance. Tant que l'on n'est pas dans le racoleur mais dans le légitime, il n'y a pas, à mon sens, de problème, surtout quand on parle d'une diffusion tardive ou sur une chaîne payante à l'accès forcément contrôlé, comme c’est le cas ici.
Mais ici, la barrière a-t-elle été franchie ? Sous prétexte de montrer la vie des prostituées, ne livre-t-on pas tout simplement un spectacle sexuel aux téléspectateurs, comme dans de nombreux reportages soi-disant « de société » ? L'histoire, la mise en scène et la caméra ont-elles pris assez de distance ? À mon humble avis, pendant ces deux minutes, la réponse est clairement non. Et cela m'a plus marqué – négativement – que le reste des huit épisodes. En me faisant passer de téléspectateur à voyeur, en faisant de moi le témoin complaisant d'un dépucelage qui est en fait un viol, la série a eu sur moi l'effet inverse. Le rejet.
Alain Carrazé, directeur de 8 Art City
Crédit photo : Canal+ / Vincent Flouret
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