Portrait-robot du Télavivien moderne, quand il ne promène pas son husky apoplectique sur la promenade côtière : un homme ou une femme court vêtu, perché sur un vélo électrique débridé, éructant des mémos vocaux sur son smartphone en slalomant nonchalamment à 50 km/h entre voitures fumantes à l’arrêt et touristes en tongs. Le cliché est la résultante d’un double record israélien : l’Etat hébreu est à la fois le pays le plus congestionné de l’OCDE (avec une densité routière deux fois supérieure à l’Espagne) et le détenteur du plus grand parc de vélos et trottinettes électriques rapporté à sa population, avec 250 000 usagers.
Ajoutons à ce tableau la culture du tout-voiture, des transports en commun dépassés (entre interdits religieux – pas de bus pendant Shabbat – et infrastructures vétustes), des pistes cyclables introuvables et les ravages de la mentalité «akol beseder» («tout va bien se passer, t’inquiète», en hébreu et en toutes circonstances), et voici les Israéliens confrontés à une problématique sociétale hypermoderne : la mortalité à deux-roues électriques.
Depuis le début l’année, sur les 208 tués sur la route en Israël, 16 l’ont été sur ces deux-roues. Quatre avaient moins de 16 ans, l’âge minimum légal pour enfourcher ces bécanes. Selon une ONG de prévention routière, le nombre d’accidents impliquant des vélos électriques a triplé entre 2014 et 2017, culminant à 2 185 incidents par an.

«Néobolchevisme»

Au-delà des statistiques, un fait divers a secoué l’opinion publique, et par conséquent le gouvernement d’ultra-droite au pouvoir. Fin septembre à Tel-Aviv, un adolescent de 16 ans, fils du réalisateur à succès Avi Nesher, est décédé après avoir été renversé sur sa monture électrique par un joueur de foot pro au volant de sa berline. L’année précédente, le pays avait frémi en apprenant que l’égérie locale de Ralph Lauren, la top Shlomit Malka, avait failli se fracasser le crâne dans une grave chute à trottinette sur le boulevard Rothschild.
En octobre, le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a demandé aux ministres compétents de redoubler leurs efforts. Un arsenal de régulations en tout genre devrait entrer en vigueur en janvier, renforçant une législation déjà drastique mais peu appliquée. Limitation de la puissance des engins à 250 watts et à une vitesse de 25 km/h, port du casque en zone urbaine, interdiction des accélérateurs sur guidon et du transport de passager, formations en milieu scolaire obligatoire en vue d’un permis spécifique pour les non-conducteurs sont annoncés. Du «Néobolchevisme» pour le quotidien Haaretz, qui s’insurge contre la stigmatisation des cyclistes et trottineurs, certes pétris de défauts mais écolos, et réclame la construction de pistes adaptées, autant pour les sauver des routes mortelles qu’épargner les piétons chassés des trottoirs.