Une défense à plusieurs niveaux - avec des gardes armés et des zones de sécurité - c'est la norme en Europe ; après Pittsburgh, les congrégations américaines suivent la même voie...
La sécurité des institutions juives américaines ressemblera-t-elle désormais à celle de l’Europe, avec sa protection policière, ses gardes armés, ses panic room et ses zones stériles autour des synagogues ?
C’est une éventualité qui fait l’objet d’un débat plus sérieux que jamais après la fusillade de samedi à Pittsburgh de la congrégation « Arbre de Vie », au cours de laquelle un homme armé a tué 11 fidèles.
Le rabbin Jack Moline, président de l’Alliance interconfessionnelle, a déclaré au Washington Post que l’affectation de gardes armés à l’extérieur des synagogues dans certains endroits serait « rédhibitoire » pour la vie communautaire juive elle-même.
Mais Gary Sikorski, directeur de la sécurité de la Fédération juive de la région métropolitaine de Détroit, a déclaré au Detroit Jewish News que l’idée, suggérée par le président Donald Trump après l’attaque, n’est « pas mauvaise ».
Les professionnels européens de la sécurité disent que même si l’approche de Sikorski prévaut, il faudra au moins une décennie et des centaines de millions de dollars avant que l’infrastructure de sécurité des juifs américains n’atteigne celle de leurs homologues européens.
« Le système de sécurité que vous voyez en Europe est le résultat de décennies d’évolution », a déclaré Ophir Revach, directeur du Centre de sécurité et de crise du Congrès juif européen. « Elle a été fondée sur les leçons tirées des attentats terroristes des années 1960 et s’est constamment adaptée. C’est assez complet. »
Même si un grand nombre de communautés juives américaines décident demain qu’elles veulent reproduire le modèle européen, a déclaré M. Revach, « il faudra au moins une décennie pour y parvenir, en étant optimiste ». En matière de sécurité, a-t-il ajouté, « le judaïsme américain a beaucoup de chemin à parcourir. »
Dans plusieurs pays européens, les synagogues sont sous la protection constante de la police ou des soldats de l’armée. La plupart d’entre elles sont protégées par des gardes volontaires, y compris des gardes armés. Nombre d’entre elles possèdent également une salle de commandement de sécurité, où des professionnels formés ou des bénévoles utilisent des systèmes de vidéosurveillance élaborés pour surveiller les locaux, souvent en échangeant des informations en temps réel avec d’autres institutions juives.
Ces dispositifs permettent une prévention systématique contre les actes de violence à l’encontre des fidèles.
En 2015, Dan Uzan, un garde volontaire à l’extérieur de la synagogue principale de Copenhague a été abattu après avoir fait face à un islamiste armé qui avait l’intention de mener une attaque à l’intérieur du bâtiment, où des dizaines de personnes célébraient une bat mitzvah. L’intervention de Dan Uzan a permis à la police de tirer sur l’agresseur, qui n’a pas pu réussir à pénétrer à l’intérieur de la synagogue.
« La mort de Dan Uzan a été tragique, mais du point de vue sécuritaire, c’est un système qui a fonctionné », a déclaré M. Revach.
Si la synagogue de l’Arbre de Vie avait été gardée, « cette attaque aurait pu être évitée », a-t-il ajouté. « Même les agresseurs armés sont considérablement dissuadés par les gardes. »
Certaines synagogues américaines, comme Har Shalom, la plus grande synagogue libérale de Potomac (Maryland), ont une présence policière armée pendant les offices et d’autres événements, rapporte The Washington Post. Le « Community Security Service », [Service de sécurité communautaire], un organisme à but non lucratif, a formé des bénévoles dans des dizaines de synagogues, principalement dans la région de New York. A Teaneck, dans le New Jersey, une banlieue qui compte des dizaines de synagogues, beaucoup de lieux de culte affichent une présence policière à l’entrée et des fidèles formés par le CSS qui patrouillent.
D’autres ont opté pour la fermeture des portes, qui oblige les visiteurs à utiliser un interphone pour pouvoir entrer.
Ces dernières années, de plus en plus de fédérations juives, les groupes communautaires de collecte de fonds, ont embauché des directeurs de la sécurité à temps plein pour leurs installations et pour conseiller leurs organismes donateurs. Le « Secure Community Network », l’organe de sécurité des Fédérations juives d’Amérique du Nord et de la conférence des présidents des principales organisations juives américaines, a été créé en 2004. Depuis lors, le nombre de fédérations dotées de directeurs de la sécurité à plein temps est passé de deux à 30, selon le Post.
Des fonds fédéraux sont disponibles pour renforcer la sécurité dans les institutions juives. Au cours de l’exercice 2018, le Congrès a affecté 50 millions de dollars à la sécurité des organismes à but non lucratif dans le cadre de l’initiative de sécurité dans les zones urbaines [Urban Area Security Initiative], dont une grande partie va aux institutions juives.
Mais de nombreuses synagogues américaines, dont Tree of Life, laissent leurs portes ouvertes le jour du Shabbat – chose impensable depuis longtemps en Europe occidentale, où les jihadistes ont mené plusieurs attaques meurtrières ces dernières années contre des cibles juives.
Joel Rubinfeld, le président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA), s’est souvenu qu’il s’était senti « à la fois envieux et inquiet » quand il a été accueilli récemment dans une grande synagogue de New York par un concierge d’une soixantaine d’années – et personne d’autre.
Avant 2015, même les synagogues à risque comme la Grande Synagogue de Marseille, en France, présentaient une sécurité laxiste et laissaient parfois leurs portes ouvertes. Mais les attentats de Paris cette année-là ont conduit toutes les synagogues d’Europe occidentale, sauf les plus éloignées, à abandonner la politique de la porte ouverte qu’elles avaient autrefois mise en oeuvre.
Dans l’ensemble, les synagogues européennes utilisent aujourd’hui un système défensif à plusieurs niveaux qui repose sur plusieurs cercles de menaces en coopération avec les services de police.
« Il tient compte de toutes sortes de scénarios, pas seulement d’une fusillade, mais aussi d’une voiture piégée, de bombes incendiaires et de tireurs isolés », explique Revach.
Chaque scénario nécessite des aménagements du bâtiment, parfois en ajoutant simplement une barrière de sécurité et parfois en remplaçant les fenêtres par du verre pare-balles. Ensuite, il est nécessaire de créer des cellules de crise internationales, nationales et régionales pour aider les communautés à coordonner leurs activités.
« La mise en place des équipements… prend des années », a indiqué Revach.
Si les juifs américains renforcent rapidement les dispositifs de sécurité autour de leurs institutions, « il reste la question de la sensibilisation », a déclaré Sammy Ghozlan, commissaire de police à la retraite et président du BNVCA, Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme en France.
« Il ne suffit pas de mettre en place une sécurité », a-t-il ajouté. « Il faut que la communauté soit entraînée à la maintenir même lorsque rien ne se passe année après année, de sorte que lorsque la menace se présente, elle soit contrée. Il faut que ce soit bien ancré en vous. »
Les juifs américains sont confrontés à un « défi monumental » s’ils veulent adopter le modèle de sécurité européen, a fait observer M. Ghozlan.
« Cela leur prendra au moins 15 ans », a-t-il dit, notant que le judaïsme américain est « beaucoup plus large et plus étendu » que son homologue européen, ce qui rend la tâche plus compliquée qu’en France.
M. Ghozlan est néanmoins persuadé que les juifs américains relèveront le défi.
« Nous assistons à une européanisation de la situation des juifs aux États-Unis », a-t-il dit. « Il faut du temps pour qu’une vision du monde change, mais je crois que les juifs américains ont les ressources et l’ingéniosité nécessaires pour résoudre les problèmes de sécurité qui ont été révélés à Pittsburgh. »
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