jeudi 4 octobre 2018

Israël peut vaincre le S-300 mais doit résoudre la crise avec la Russie....


Analyse: À la suite de la destruction de l’avion de renseignement russe, le Kremlin a livré des batteries anti-aériennes S-300 à la Syrie, rendant les opérations de Tsahal difficiles, mais pas impossibles. Dans le même temps, une confrontation diplomatique avec une superpuissance mondiale est déconseillée, et c’est un euphémisme. Netanyahu doit donc prendre des mesures diplomatiques. Et peut-être que Trump va enfin se réveiller et intervenir.
Vladimir Poutine a déclaré, à la veille de Kippour, que la Russie prendrait “des mesures que tout le monde remarquera” en représailles à l’avion du renseignement russe abattu en Syrie. La semaine dernière, son ministre de la Défense, Sergey Shoygu, a concrétisé cette menace, en annonçant trois mesures pour renforcer les défenses de l’armée syrienne et limiter la liberté aérienne d’Israël dans ses opérations en Syrie et probablement au Liban.
Voici ces trois étapes, organisées en fonction du niveau de gravité.
1. Fournir à l’appareil de défense aérienne syrien des batteries de missiles anti-aériens S-300 de fabrication russe.
2. Doter les appareils de défense aérienne syriens de systèmes de contrôle et de surveillance électroniques modernes. Cela permettra aux Syriens de mieux différencier les avions ennemis des avions amis et de se “verrouiller” automatiquement sur des cibles hostiles sans attendre la décision du commandant de la batterie, ce qui pourrait entraîner des erreurs comme la précédente. Apparemment, ce système permettra également aux commandants de la défense aérienne russe en Syrie de contrôler à la fois les S-300 et les autres systèmes de missiles de l’armée syrienne.
3. Utiliser la guerre électronique et la cyberguerre pour perturber les systèmes de navigation GPS et les radars installés sur des avions de combat que la Russie souhaite empêcher de se rapprocher de l’espace aérien syrien ou libanais ou d’attaquer des cibles en Syrie. Le ministre russe de la Défense, Shoygu, n’a peut-être pas clairement affirmé que cette mesure visait à empêcher les avions israéliens d’atteindre des zones d’où ils pourraient tirer sur des cibles en Syrie ou à perturber les missiles ou les bombes lancés par l’IAF, mais il est clair que les avions de combat de l’armée de l’air israélienne et leurs armes à guidage de précision étaient ce que les Russes ont dans le collimateur.
Le président américain Donald Trump, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le président russe Vladimir Poutine (de gauche à droite) (Photo: MCT, AFP, Reuters)
Le président américain Donald Trump, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le président russe Vladimir Poutine (de gauche à droite) (Photo: MCT, AFP, Reuters)
En tout état de cause, même si l’objectif des Russes était d’empêcher et de perturber les opérations des avions de combat et des missiles israéliens dans l’espace aérien syrien et méditerranéen, il est clair que ces mesures pourraient également perturber les opérations des avions de chasse américains, français et britanniques qui combattent les forces de Daesh dans cette zone. En outre – et cela est vraiment dangereux – ces mesures pourraient perturber les avions commerciaux effectuant des liaisons entre Chypre et les rives de la Syrie et du Liban. Les vols commerciaux à destination et en provenance d’Israël, principalement vers l’Europe et la Turquie, pourraient également être touchés par ces mesures.

Tirer profit des problèmes des autres

En apparence, il semble que ce soient les mesures les plus sévères que la Russie ait prises contre Israël depuis la guerre du Yom Kippour de 1973.
On peut estimer avec prudence que la sévérité de ces mesures est due à l’indignation des commandants des forces de défense antiaériennes et aériennes russes stationnées en Syrie. L’attaque de l’armée de l’air israélienne à Lattaquié et la destruction d’un avion des services de renseignement russes par un missile russe, tiré par les forces de défense antiaériennes syriennes – entraînées et supervisées par les forces russes – exposent ces commandants à la population russe et au Kremlin comme complètement ineptes et comme ceux qui ne comprennent absolument pas ce qui se passe autour d’eux. C’est ce qui a poussé le porte-parole du ministère de la Défense russe à fustiger sans retenue et à raconter l’histoire inventée selon laquelle les avions de chasse israéliens auraient utilisé un avion russe comme appât et auraient ensuite été abattus.
Le système de missile S-300 nouvellement fourni
Le système de missile S-300 nouvellement fourni
Une autre raison des mesures sévères prises par les Russes est le désir de mettre fin aux frappes de l’IAF en Syrie ou, à tout le moins, de réduire considérablement le nombre d’attaques, dont plus de 200 ont été menées au cours de l’année écoulée, selon l’armée. Ce chiffre a amené le président syrien Assad et les Iraniens à se plaindre de ce que les Russes ne leur assuraient pas une défense suffisante. Les Russes craignent, à leur tour, que ces plaintes ne conduisent Assad – sous influence iranienne – à remercier Moscou pour son aide et à demander poliment aux Russes de quitter la Syrie, ce qui porterait atteinte aux intérêts économiques et géopolitiques de Poutine.
Fournir aux Syriens des batteries S-300 et d’autres mesures de défense aérienne permet aux Russes de montrer à Assad qu’il ne peut pas survivre sans leur aide, et qu’ils sont attachés à lui (et pas seulement à Assad : les Iraniens sont également en dette vis-à-vis des Russes, qui les soutiennent non seulement en paroles mais aussi en actions).
La deuxième raison est diplomatique : les Russes veulent que Assad soit entièrement dépendant d’eux, et la destruction de l’avion russe leur permet une réalisation diplomatique  intéressante, qui transforme le président syrien – et dans une certaine mesure les Iraniens – en “vassaux”. “
Une autre raison à l’origine de cette série de mesures inhabituelles est que les Russes espèrent également des gains financiers. Ils ne donnent pas gratuitement aux Syriens le système S-300. Ce système est coûteux et il est probable que ce sont les Iraniens qui devront payer la facture de plusieurs centaines de millions de dollars.
 (Photo: AP)
(Photo: AP)

Comme d’habitude, les Russes savent tirer parti de tous les problèmes qui les entourent. Ce qui est préoccupant, c’est que les Américains ne se sont pas vraiment immiscés pour interférer, jusqu’à présent. Le conseiller pour la sécurité nationale de Trump, John Bolton, et le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, ont peut-être qualifié la séquence ‘”d’escalade importante” et ont exprimé l’espoir que la Russie reconsidérerait cette décision, mais jusqu’à présent, Washington a laissé Jérusalem traiter les conséquences de la destruction de l’avion parc ses propres moyens. Le président Trump pourrait intervenir et aider à alléger le fardeau, mais entre temps, ce sont le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, qui font face à Poutine, au ministère de la Défense russe et à l’armée russe, qui nous détestent vraiment ces derniers temps.

Tsahal connaît bien le S-300

Néanmoins, il n’y a aucune raison de paniquer ou de marquer un pessimisme excessif. Il est important d’examiner minutieusement les détails afin de parvenir à une évaluation sérieuse de l’effet réel que pourraient avoir les mesures prises par la Russie sur la liberté aérienne des opérations de Tsahal et sur la capacité d’Israël à déjouer les retranchements militaires de l’Iran en Syrie.
Le système S-300 est en effet plus efficace et avancé que tout autre système d’interception que les Syriens avaient auparavant. Il peut intercepter non seulement des avions, mais également des missiles balistiques d’une portée maximale de 250 km et à très haute altitude.
Le ministre russe de la Défense, Sergueï Shoygu, inquisiteur d’Israël
La Syrie a cherché à acheter un tel système à la Russie en 2009. Les Iraniens étaient prêts à payer pour l’obtenir, mais les pressions exercées par Netanyahu et l’ancien président américain Barack Obama sur Poutine ont mis un terme à l’accord en 2013. Les officiers de la défense aérienne syrienne avaient déjà commencé à s’entraîner sur le S-300 en Russie et l’armée d’Assad avaient déjà commencé à recevoir certaines parties du système – notamment des véhicules pour transporter des lanceurs, des remorques de commandement et de contrôle et d’autres véhicules logistiques – mais jusqu’à présent, Poutine avait évité de fournir à Assad le système complet.
En avril, Poutine a résisté aux pressions de ses généraux, qui souhaitaient qu’il fournisse le système à la Syrie en guise de représailles de la frappe israélienne sur les armes iraniennes dans la base aérienne syrienne T4, où des militaires russes étaient postés à l’époque. Mais maintenant, il est plus difficile de contrecarrer les plans des généraux russes et de l’industrie militaire russe pour vendre le S-300 aux Syriens.
Il est important de noter que le système S-300 comporte plusieurs modèles et que les modèles plus anciens ont déjà été vendus à plus de 20 pays, dont la Grèce et Chypre – qui sont amis avec Israël et entretiennent une coopération militaire étroite avec ce dernier.
Le système S-300 demandé par les Syriens est appelé SA10 par l’OTAN. C’est un modèle déjà utilisé par la Grèce et Chypre. Il est donc raisonnable de supposer que l’armée de l’air israélienne et les industries militaires ont déjà eu l’occasion de l’étudier. Néanmoins, le système va être entièrement intégré au système russe C3, ce qui rend potentiellement dépassée toute expérience antérieure tirée des manœuvres militaires avec des S-300 grecs. Aucun pays occidental ne connaît précisément les capacités réelles de la défense aérienne syrienne lorsqu’elle sera renforcée et intégrée aux systèmes russes.
L'avion russe livrant le système de missile S-300
L’avion russe livrant le système de missile S-300
L’Iran, quant à lui, a un modèle plus avancé du système S-300. Poutine avait initialement pris en compte les pressions israéliennes et américaines pour ne pas vendre le système S-300 à Téhéran, étant entendu qu’il serait utilisé pour défendre les sites de production et de développement d’armes nucléaires de l’Iran si l’Occident décidait d’engager une action militaire contre la République islamique.
Mais il y a deux ans, à la suite de l’accord entre Téhéran et les puissances mondiales de suspendre ses activités nucléaires, la Russie a livré les batteries S-300 à l’Iran. Ceci, il est juste de le dire, a conduit Israël – et principalement Tsahal et les industries de défense israéliennes – à accélérer le développement d’une réponse sous forme de méthodes et de mesures qui neutraliseraient la menace du système S-300 contre la liberté aérienne israélienne et occidentale de mener des opérations aériennes.
Soit dit en passant, le nouveau modèle de S-300 (officiellement appelé S-400), qui n’a pas encore été livré à d’autres pays, est déjà en Syrie et exploité par une force russe défendant la base aérienne de Khmeimim, à 25 km au sud de Lattaquié, où les troupes russes sont stationnées. Cette batterie y a été stationnée il y a plusieurs années, après que l’aviation turque a abattu un avion russe. La batterie n’a plus été utilisée depuis, mais il est possible que si une autre crise se déclarait à l’avenir, les Russes soient tentés d’utiliser ce système avancé contre l’armée de l’air israélienne. Ce n’est pas une menace qui peut être traitée immédiatement, mais il faut en tenir compte.
L’essentiel est le suivant : la fourniture du système S-300 à la Syrie par la Russie n’est certes pas une bonne nouvelle pour Israël, mais ce n’est pas une menace qui devrait empêcher l’IAF de mener à bien les missions qui lui sont confiées. Cela nécessitera seulement plus d’efforts, plus de planification et plus de prudence dans le recours à la force dans l’espace aérien syrien et libanais.
Toutefois, comme nous l’avons déjà indiqué, outre la livraison des batteries S-300, le ministre russe de la Défense, Shoygu, a annoncé qu’il doterait les appareils de défense aérienne syriens de systèmes de contrôle et de surveillance électroniques. Cette mesure améliorera la vitesse de réaction des batteries des missiles syriens, mais pas de façon considérable.
S-300 système de défense russe
L’importance de ces systèmes est de changer la situation dans laquelle les opérateurs de missiles syriens ne peuvent pas faire la différence entre les avions russes ou iraniens et les avions israéliens. C’est l’un des principaux problèmes qui ont conduit à l’abattage de l’avion des services de renseignement russes : les Syriens ne disposaient pas de modes d’identification ami-ou-ennemi (Identification Friend or Foe) de l’avion russe et ils l’ont abattu sans même essayer d’utiliser d’autres mesures qui leur auraient permis de l’identifier comme un avion ami ou civil. Les Russes n’ont pas donné le FFI aux Syriens et l’ont payé chèrement, et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils ont lâché toute leur colère contre Israël.
La troisième étape entreprise par Moscou ne doit pas être prise à la légère : l’utilisation de la guerre électronique et de la cyberguerre pour perturber les avions de combat, les missiles, les drones, les roquettes et autres armements israéliens pourrait quelque peu limiter la liberté d’exploitation des systèmes aériens de l’armée. Mais les capacités high-tech et cybernétiques d’Israël et de l’armée israélienne seront probablement en mesure de faire face à cette menace, également après une courte période d’examen et d’ajustement.
Missile S-300 (Photo: AFP)
Missile S-300 (Photo: AFP)
Mais encore, la Russie est une puissance mondiale et dispose de capacités militaires cinétiques et cyberactives qu’Israël ne devrait pas avoir besoin de traiter en priorité (pour les mettre en incapacité ou les pirater agressivement). Israël doit éviter autant que possible de devenir l’ennemi de la Russie et aussi éviter une situation dans laquelle les personnalités anti-israéliennes de l’establishment de la sécurité russe pourraient forcer Poutine à rentrer en confrontation directe et publique avec Israël sur le territoire syrien. Une telle confrontation ne serait pas bonne pour la Russie, mais ce serait Israël qui subirait de graves dommages alors que les Iraniens, le Hezbollah et le régime syrien auraient toutes les raisons de se réjouir.
Par conséquent, parallèlement aux efforts déployés pour faire face à la nouvelle situation militaire en Syrie, Israël doit déployer des efforts diplomatiques pour mettre fin à cette crise et reprendre la coordination et la coopération avec le Kremlin. L’effort diplomatique doit maintenant être au premier plan et grâce à lui, Israël pourra peut-être réduire les mesures prises par la Russie.
Plusieurs démarches diplomatiques sont nécessaires, y compris de la part du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères Netanyahu qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour recruter l’aide du président Trump et du Pentagone. La paralysie persistante de l’administration américaine vis-à-vis de la situation en Syrie est un vestige de l’administration Obama et reste préjudiciable à Israël car elle nous laisse seuls face à l’Iran (une superpuissance régionale) et à la Russie (une superpuissance mondiale). Il est temps que les États-Unis cessent de tergiverser. Ils disposent de suffisamment de moyens militaires en Syrie et en Méditerranée et de leviers suffisants pour faire pression sur le Kremlin afin qu’il freine les généraux russes.
Ron Ben-Yishai | 

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