Chronique sur la société israélienne, dans ce qu’elle a de plus surprenant, en bien comme en mal – son futurisme, son tribalisme, ses déchirements, ses espoirs. Aujourd’hui, les Russophones en Israël, importante communauté dont le judaïsme très laïque en fait la bête noire des religieux. Et vice-versa.
En Israël, tout le monde n’a pas la chance d’avoir un supermarché tenu par d’anciens communistes. Ou, plus justement, tenu par des membres de communauté russophone arrivée en masse au début des années 90, peu après l’effondrement de l’URSS. Dans ces supérettes ouvertes à toute heure, y compris pendant Shabbat, on peut acheter du bacon en tranches, toute la gamme des chocolats Roshen (qui ont fait la fortune du Président ukrainien Poroshenko), une mystérieuse vodka bulgare à 40 shekels le litre (qui, pour moins de dix euros, ne rend étonnamment pas aveugle), et emballer ses courses en disant «spasiba». Pour l’expatrié comme le Juif non-pratiquant (1), ces «Russes» sont une bénédiction laïque.
Ce qui ne va pas sans friction. Schématiquement (le tribalisme politique local s’y prête), l’Israélien russophone est patriote, très raide sur les questions sécuritaires, mais coulant sur les mœurs et la religion. Positionnement incarné par l’ultranationaliste ministre de la Défense Avigdor Lieberman (né en Moldavie), dont le parti (Israel Beytenou, «Notre Maison») est dédié aux intérêts et sensibilités de sa communauté.
Leur exact inverse existe : il s’agit des haredim, les ultraorthodoxes. Ceux qui mettent la Torah au-dessus de tout mais font peu cas de Tsahal, qu’ils combattent vigoureusement pour conserver leur dispense de conscription. Thème d’une tirade classique des taxis «russes», toujours intarissables sur ces tire-au-flanc d’hommes en noir, «pire que des Talibans», qui chercheraient à imposer leur loi divine.
Revenons aux supérettes. Les partis religieux à la Knesset tentent d’imposer leur fermeture durant Shabbat. Lieberman, évidemment, s’est érigé en défenseur des épiciers, allant jusqu’à faire ostensiblement ses courses un samedi matin de janvier à Ashdod, ville côtière où les deux groupes se côtoient, pour faire enrager les haredim. Des milliers d’habitants, principalement russophones, étaient descendus dans la rue le soir même.
Dernier épisode, à Ashdod encore : un clip électoral, saupoudré d’interjections russes, en amont des municipales fin octobre. Le candidat Eli Nacht y déroule une dystopie où les ultraorthodoxes ont pris le pouvoir, la faute aux abstentionnistes laïques… Les religieux locaux, dont une partie du programme consiste en la fermeture du mall de la ville, parlent d’incitation à la haine. «Imaginez, c’est comme si l’on faisait un film sur les Russes les montrant comme des cochons prenant le contrôle», s’exclame un de leurs porte-parole au Times of Israel.
«Cochons» : le mot n’est pas innocent. À leur arrivée, ce million de migrants de l’ex-URSS étaient décriés comme de mauvais, voire de «faux» juifs, repliés sur eux-mêmes et leur langue, imbus de leur supériorité culturelle (goût pour le classique, les échecs, les mathématiques…)
C’est ce que raconte la peintre Zoya Cherkassky, dans une série de tableaux aussi colorés qu’amers exposés (2) au prestigieux Musée d’Israël de Jérusalem. Chaque vignette est un traumatisme enfantin de cette alyah post-soviétique, de la circoncision adulte au rabbin venant inspecter le frigo de l’épicerie familiale, pour y trouver une tête de cochon. Déjà.
(1) Selon un récent sondage publié par Haaretz, 55% des Israéliens ne mangent pas casher et 58% trouvent que «la religion a pris trop de place dans le pays.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire