Par Marc Knobel, Directeur des Etudes du Crif
Le 7 janvier 2015, les auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo, les frères Chérif et Saïd Kouachi, avaient tué douze personnes. Le lendemain, un autre terroriste du nom d'Amedy Coulibaly avait assassiné une policière municipale à Montrouge (Hauts de Seine).
En cette veille de shabbat, les clients sont nombreux, ils font leurs courses dans cette épicerie casher et il y a du monde aux caisses. Mais, vers les 13 heures, ce 9 janvier 2015, une fusillade éclate soudainement Porte de Vincennes (dans l'Est parisien). Les coups de feu viennent de résonner et s'entendent dans tout le quartier. Une prise d'otages est en cours à l'intérieur du magasin d'alimentation.
En quelques minutes, une centaine d'agents du Raid et de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) arrivent sur place et bouclent le quartier. Des hélicoptères survolent la zone. Les journalistes se précipitent, l'information vient de tomber. La France, déjà fortement secouée, est sonnée. Que se passe-t-il donc ?
Amedy Coulibaly ouvre le feu près des caisses. Deux personnes tombent au sol. Une troisième est abattue quelques minutes plus tard. Saisies de panique, une dizaine de personnes se précipitent vers un escalier en colimaçon qui mène dans la réserve, dans l'espoir d'échapper au terroriste.
Au sous-sol, Lassana Bathily, un magasinier de 24 ans, qui était occupé dans la réserve, voit descendre ceux qui ont fui le rez-de-chaussée. Une seule cachette est possible : les deux chambres froides du magasin. "Quand ils sont descendus en courant, j'ai ouvert la porte du congélateur.
Plusieurs personnes sont entrées avec moi." Une demi-douzaine se retrouve à l'intérieur. La température est sous le zéro, mais Lassana Bathily coupe rapidement le thermostat, avant d'éteindre la lumière et de fermer la porte. Il tente de calmer les clients, pendant que d'autres se réfugient dans la pièce voisine, dont un père et son fils de 3 ans.
Sophie n'a pas eu le temps de fuir. Plus tard, elle racontera à France Info ce qu'elle a vécu. Elle vient d'entrer dans le magasin et découvre l'horreur. "J'ai tourné la tête vers la gauche, tout de suite à l'entrée. Je suis tombée sur le cadavre d'une personne, assise, la tête penchée. J'ai eu l'impression d'être dans un mauvais film", souffle-t-elle. "Tu rentres tout de suite", lui ordonne le terroriste, posté juste en face d'elle. Sophie n'a pas d'autre choix que d'obéir au terroriste en treillis, "très nerveux".
L'homme est menaçant. Il montre les trois corps des otages abattus et prévient : "Maintenant, vous voyez de quoi je suis capable..."
Le terroriste exécute trois clients et un employé du magasin : Yohan Cohen, 20 ans, est étudiant et employé du magasin ; Philippe Braham, 45 ans, cadre commercial dans une société d'informatique et frère du rabbin de la synagogue de Pantin ; François-Michel Saada, 64 ans, cadre supérieur à la retraite ; et le jeune Yoav Hattab, 21 ans, de nationalité tunisienne.
Ce 9 janvier, un policier (Antoine) est le premier à faire face au terroriste, lors de l'assaut de l'Hyper Cacher. Il en fait le récit. Quand, avec son groupe du Raid, ils arrivent devant le magasin, trois heures plus tôt, ils ne savent presque rien de ce qui se passe à l'intérieur. "On sait qu'il y a à peu près une vingtaine d'otages et un homme surarmé, voire deux", explique-t-il au micro de France 2. "J'ai essayé de me poser le moins de questions possible pour ne pas me perturber", ajoute le policier du Raid. Coulibaly tire, le Raid riposte, il y aura près de 200 échanges en moins d'une minute. Antoine est touché. Après quelques instants, le terroriste est neutralisé alors qu'il se précipite sur les policiers.
Comment s'étonner que des terroristes tuent des juifs ?
Il faut connaître l'intensité de la haine et être capable de l'analyser pour ne pas en être écrasé. Depuis des décennies pourtant, des prédicateurs fous -que nous ne voulions pas forcément et collectivement entendre- édictent que la haine du Juif était/serait un commandement divin ! On ne lit pas par exemple avec quiétude les propos racistes du cheikh Youssef Al-Qaradhawi, président de l'Union internationale des savants musulmans, membre du Conseil européen de la Fatwa. Voici ce qu'affirme Al-Qaradhawi le 28 janvier 2009, sur Al-Jazeera TV, à propos des punitions appelées soi-disant par le prophète sur les Juifs : « Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu'il leur a fait — et bien qu'ils [les Juifs] aient exagéré les faits —, il a réussi à les remettre à leur place. C'était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans ». Autre exemple ?
Le cheikh Al-Ansari toujours en 2009, après avoir regardé un film sur les atrocités nazies commises sur les Juifs, dit : « [les Juifs] ont transformé [l'Holocauste] en une fête, qui sera célébrée dans quelques jours. Ils l'appellent la « Fête de l'Holocauste » ; ils y ravivent les événements passés pour que le monde entier les voit et ressente de la compassion à leur égard »... C'est ainsi qu'il revisite l'histoire et commente les séquences d'archives de détenus torturés à Dachau, Mauthausen et Belsen : « C'est ce que nous souhaitons pour l'avenir, mais si Allah veut, par la main des musulmans » (vidéo retransmise par le Memri, 27 janvier 2009).
Face à tant de haine répétitive, martelée constamment dans une partie du monde arabo-musulman (télévisions, radios, journaux...) et pourvoyeuse de mort, comment s'étonner qu'un terroriste ait descendu froidement les clients d'une supérette casher ?
Malgré tout, nous voulons croire et nous savons que le destin de l'islam n'est pas d'assassiner les juifs ni les chrétiens parce qu'infidèles à leur propre loi, n'est pas d'assassiner les enfants juifs à la porte des écoles juives et qu'il ne doit vouloir en découdre avec la terre entière. Et, de ce 9 janvier 2015, nous voulons retenir une autre image, cette belle image. Celle de Lassana Bathily, ce magasinier malien de confession musulmane de 24 ans qui, le même jour, a sauvé des clients (juifs) de la supérette, comme pour nous rappeler que le bien peut triompher du mal.
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