Perspectives du Centre BESA (Begin-Sadate) No. 695, December 21décembre 2017
Résumé succinct : Le proverbe arabe “Nous sommes avec (ou derrière) le mur inébranlable” met en exergue le bon sens populaire de la juste façon de survivre, en particulier durant les périodes de transition, nous recommandant de nous protéger en se tenant fidèlement aux côtés de (ou derrière) la force montante décrite comme incarnant le “mur inébranlable”.
De ce point de vue, les événements récents liés à la tourmente régionale s’assemblent pour ne former qu’un tout, dont l’échec kurde à Kirkouk, les combats dans le village druze de Khader, la réconciliation palestinienne et la démission télécommandée par l’Arabie Saoudite du premier ministre libanais. En même temps, la stratégie israélienne de la “villa dans la jungle”, de retranchement à l’intérieur de ses frontières ne tient pas compte du besoin de trouver des chemins d’intervention, aussi secrets que publics, qui renforceraient l’image d’Israël comme étant bien ce mur inébranlable pour ses alliés.
“Nous sommes avec (derrière) le mur inébranlable” (nahna ma’a al-hait al-waqif) est un proverbe arabe bien connu. Il va très loin pour expliquer la dynamique des considérations qui guident les acteurs du Moyen-Orient, alors qu’ils naviguent sur les vagues du système régional émergeant. Identifier le mur inébranlable est la condition même de la survie, en particulier pour les groupes minoritaires pour lesquels l’art de forger des alliances est une nécessité. De tels groupes doivent identifier correctement les puissances montantes sur lesquelles ils feraient mieux de s’aligner.
Les combats à Khader
D’un point de vue syrien, les combats qui se sont déroulés au début novembre dans les hauteurs nord du Golan syrien autour du village druze de Khader n’étaient qu’un nouvel événement particulier dans une longue guerre tumultueuse – mais, pour Israël, c’était un événement vraiment significatif. Le test, pour Israël, n’était pas celui de sa gestion ordinaire de la sécurité des frontières, mais de sa stratégie cohérente consistant à éviter toute implication active dans la guerre civile en Syrie. Une intervention immédiate a été requise par le premier ministre (au beau milieu de sa visite à Londres), sous la forme d’une déclaration sans précédent sur l’obligation pour Israël de protéger Khader.
La situation s’est stabilisée (jusqu’au prochain incident de ce genre), mais les tensions qui ont surgi devrait déclencher une réévaluation de l’approche stratégique d’Israël à la toute fin du conflit syrien. La question centrale qui défie Israël est la suivante : en tant qu’acteur régional, peut-il apporter un soutien sans faille à ses alliés, aussi bien ceux de l’environnement immédiat que lointain?
Le “test du mur inébranlable” est la logique qu’on décèle derrière la coopération de ces dernières années entre les villageois de Khader et les agents terroristes opérationnels du Hezbollah, qui ont fait la preuve de leur capacité à relever le défi tout au long de la guerre pour Assad.
La logique israélienne qui soutient sa politique de non-intervention a poussé les citoyens druzes d’Israël à exiger de l’Etat une intervention active pour protéger leurs frères de l’autre côté de la frontière. La bataille de Khader a ainsi agi à la façon d’un sismographe pour le gouvernement israélien. Elle a mis en lumière son dilemme stratégique interne et externe, testé son fonctionnement et a jeté une lumière crue sur son image en tant que soutien sans faille de ses alliés.
La défaite kurde de Kirkouk
La lutte des Kurdes pour leur indépendance a aussi mis à l’épreuve l’étendue de la force d’Israël en tant qu’appui indéfectible régional en temps de crise. La détermination du dirigeant kurde Barzani à maintenir, à tort ou à raison, son référendum sur l’indépendance du Kurdistan a emporté le soutien de l’opinion publique en Israël, mais les Kurdes s’attendaient à mieux.
Ils ne pouvaient faire face par eux-mêmes pour mener la contre-attaque contre l’offensive irako-iranienne sur Kirkouk. Le rêve kurde d’indépendance politique, qui était perçu comme à portée de main, a été, une fois, de plus reporté.
La distance considérable limitait les capacités d’Israël à leur apporter une assistance militaire, un point que les Kurdes comprennent. Cependant, il y avait d’autres dimensions d’influence et de soutien où Israël n’est pas parvenu à répondre aux attentes des Kurdes. L’intimité d’Israël avec les Etats-Unis souligne largement son image de puissance et les Kurdes escomptaient qu’Israël parvienne à enrôler un soutien militaire américain suffisant pour servir de bouclier dissuasif contre l’attaque irako-iranienne.
Cependant, dans un mouvement de défiance franche et ouverte, et par une opération foudroyante, l’armée irakienne, armée de l’équipement ultra-moderne américain et sous la direction des Gardiens de la Révolution Iranienne, a imposé à l’Amérique un fait accompli (en français dans le texte) qui a rendu caduque ses intentions de continuer dans un rôle de médiateur entre les parties. Le chef d’Etat-Major iranien a mis un point d’honneur à proclamer après l’attaque, que : “Les Etats-Unis et Israël ont conspiré pour créer un Second Israël dans la région du Kurdistan”.
Par cette attaque victorieuse, les Iraniens ont réussi, non seulement à déjouer la réalisation de l’indépendance kurde, mais aussi à écorner le statut des Etats-Unis et d’Israël en tant que puissances régionales inflexibles.
Le besoin d’agir efficacement au-delà des frontières de l’Etat
Dans le cadre du traumatisme ancien d’Israël dû au “plongeon dans le bourbier libanais”, et dû à des considérations stratégiques pratiques, Israël s’est largement abstenu, tout au long de la guerre en Syrie, de toute intervention militaire au grand jour au-delà de ses frontières. Quand Israël a agi en Syrie, secrètement ou ouvertement, c’était dans l’intérêt immédiat de sa propre sécurité. En tant que Commandant du Corps du Nord, j’ai participé aux discussions sur la question et concouru à la politique globale qui s’est développée.
Cependant, au regard du nouvel ordre émergeant, on doit examiner de quelle façon Israël se positionnera et peaufinera son image de puissance, non seulement comme gardienne de son propre territoire et de ses frontières, mais en tant que force influente dans le façonnage du système régional.
Le débat concernant les frontières de l’Etat est distinct de celui sur les sphères d’intérêt et sur la portée des actions militaires, ouverte et clandestine, qui est requise pour la protection de la souveraineté. Sur cette distinction essentielle, le Major-Général Harkabi a écrit dans son livre : Guerre et Stratégie : “Les Etats ont des frontières légales qui sont celles de leur territoire national, mais ils ont aussi des “frontières stratégiques”, pour lesquelles ils seront pr”parés à partir en guerre…
Par exemple, l’Angleterre assurait que sa frontière stratégique était le Rhin…” (p.531). Depuis presque mille ans, les guerres de l’Angleterre ont été menées à l’extérieur de ses frontières, jusqu’à la la victoire sur Napoléon à Waterloo et dans toute la gamme de ses activités au cours des deux guerres mondiales.
Les premiers ministres David Ben-Gourion et Levi Eshkol ont agi selon cette compréhension du monde en fournissant un soutien militaire aux Kurdes, qui s’étendaient bien au-delà de l’activité secrète du Mossad dans la participation et les conseils aux kurdes dispensés par des officiers parachutistes israéliens. Ce soutien découlait, évidemment,du besoin israélien d’alliances régionales qui pourraient l’aider à s’extraire de l’isolement imposé par les états arabes dans ces années-là.
Mais une alliance significative est mise à l’épreuve au cours des périodes difficiles. Une préparation à agir, même en prenant des risques, pour le compte d’un allié est ce qui renforce l’image du mur inébranlable. Au regard de la perception de soi en Israël comme la “villa au milieu de la jungle”, un système militaire efficace pour la défense de ses frontières a té bâti à force d’expérience accumulée et de longue haleine. Mais, à présent, face à un système régional inédit, le besoin de fonder la sécurité d’Israël en tant qu’acteur régional doté d’influence requiert un discours sécuritaire qui prend en compte les nouvelles dimensions de cette logique.
Qui, à présent, joue le rôle de mur inébranlable?
Après les bouleversements tumultueux en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen etdans le Sinaï, nous assistons à un mouvement tectonique dans le système régional pourtant déjà instable et volatile.
L’intensité de ces bouleversements n’est pas moins significatif que ceux de la région à la fin de la Ière Guerre Mondiale, par l’effondrement de l’Empire Ottoman et la division de la zone en états conformément aux contours tracés par Sykes-Picot. Voilà le cadre dans lequel on doit interpréter la signification du déroulement des événements
Ils comprennent la réconciliation conduite par l’Egypte entre l’Autorité Palestinienne et le Hamas ; la défaite kurde à Kirkouk ; les combats dans le village de Khader ; et la démission forcée du premier ministre Hariri, conduite par l’Arabie Saoudite, même s’il est, depuis retourné aux affaires. Dans tous ces événements, la question régionale centrale est mise en relief : Où se trouve le mur inébranlable dans ce système en peline évolution? Les alliances régionales, ouvertes ou secrètes, ne se formeront qu’autour de ceux qui ont prouvé leur inflexibilité dans le nouvel ordre mondial. Cette question est la vraie question cruciale pour l’avenir d’Israël.
December 21, 2017
Le Maj. Gen. (res.) Gershon Hacohen est un chercheur principal au Centre Begin-Sadat des Etudes Strategiques. Il a servi dans Tsahal durant quarante-deux ans. Il a commandé les troupes dans les combats contre l’Egypte et la Syrie. Il a précédemment été Commandant de corps et commandant des collèges militaires de Tsahal.
Les articles de points de vue du Centre BESA sont publiés grâce à la générosité de la famille de Greg Rosshandler
Adaptation : Marc Brzustowski
http://www.jforum.fr/qui-est-le-mur-sans-faille-dans-le-moyen-orient-tourmente.html
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