En 2009, Mohamed Mahamoud faisait partie des pirates somaliens qui ont pris en otages les cinq passagers du Tanit, un voilier parti de Vannes. L’intervention de la Marine nationale fera trois morts : deux pirates et le skipper. Condamné à neuf ans de prison, Mohamed a purgé sa peine et vit dans le Finistère. Une bande dessinée retrace son itinéraire.
« Ça va. Ça va. » Mohamed Mahamoud s’interdit de dire quand cela ne va pas. Élancé, le Somalien de 35 ans affiche un large sourire qui, en quelques instants, peut totalement disparaître. Comme si l’homme était ailleurs, dans ses pensées. Aujourd’hui vendeur de meubles et bibelots chez Emmaüs à Quimper, dans le Finistère, il s’est mis sur son trente et un. L’accent est prononcé, mais son français fort soigné. Une langue qu’il maîtrisait pourtant mal lorsqu’il est arrivé en France pour être jugé, il y a quatre ans de ça.
En avril 2009, dans l’océan Indien, cinq pirates somaliens prennent d’assaut le Tanit, un voilier français. Ils sont alors à 900 km de leurs côtes. Les cinq passagers, morbihannais, sont pris en otages et la semaine de négociation n’aboutit à rien. Un commando de la Marine française intervient finalement. Deux pirates sont tués, et le skipper du bateau, un Vannetais de 28 ans, meurt d’une balle française.
« Il fallait dire la vérité »
C’est donc à trois que les pirates somaliens se retrouvent à la barre de la cour d’assises de Rennes, en octobre 2013. À plus de 11 000 km de chez eux. Ils sont accusés de détournement de navire par violence, arrestation, enlèvement et séquestration en bande organisée. Mohamed Mahamoud est le seul à parler français et à comparaître libre. Il est considéré comme le plus calme de la funeste bande : « Je n’avais rien à cacher. Même si je prenais perpétuité, il fallait dire la vérité. Un père a perdu son fils à cause de nous », explique-t-il aujourd’hui. La justice française l’a condamné à neuf ans d’emprisonnement. La peine est désormais purgée. Il est libre depuis mars 2017.
Une bande dessinée, ou plutôt un documentaire graphique, revient aujourd’hui sur son histoire. Pas question pour le dessinateur marseillais Thomas Azuélos et le scénariste rennais Simon Rochepeau d’excuser l’acte de piraterie. L’homme aux bras de mer, itinéraire d’un pirate somalien considère l’homme au-delà de son casier judiciaire. L’occasion de mieux comprendre comment un jeune Somalien peut se retrouver pirate, un peu malgré lui.
Mohamed Mahamoud a grandi dans une ville à côté de Bossaso, une mégalopole du nord de la Somalie qui compte un bon million d’habitants. « Enfant, je rêvais de faire des études, d’être guitariste. J’écoutais beaucoup de chanteurs de mon pays. Et Michael Jackson. En cellule, c’est moi qui aie appris sa mort aux autres détenus. » Issu d’une fratrie de 23 enfants, il ne sera pas musicien. Ses parents divorcent alors qu’il a 13 ans. Il faut donc subvenir aux besoins de tous. Il devient pêcheur. Un métier difficile, âpre. « Mais je gagnais bien ma vie. » Jusqu’au tsunami de 2004. Ce jour-là, il perd tout, y compris le bateau familial.
La kalachnikov, « pour se défendre »
À cela s’ajoute le chaos de son pays, où règnent l’anarchie et la violence. Où la pauvreté sème le malheur. Où, dès tout gamin, on se retrouve avec une kalachnikov entre les mains. « Chez nous, c’est naturel. Ce n’est pas pour faire du mal aux gens, c’est pour se défendre. » Entre la peur des milices et les guerres civiles, les armes circulent… « Comme des jouets en plastique. »
Dettes, errance, désespoir, embrigadement et, pour finir, la vie entre quatre murs. Alors qu’il est détenu au centre de détention de Ploemeur, Mohamed Mahamoud sort de son silence. Il fait la rencontre d’une femme au caractère bien trempé. Maryvonne Le Naour, licenciée à quatre ans de la retraite, décide de s’investir dans l’association socioculturelle de la prison. La Finistérienne y donne des cours de français.
« Tout m’a bouleversé »
Ces deux-là vont s’apprivoiser. « Son histoire m’obsédait un peu, se souvient Maryvonne.Cela m’a plongé dans un univers que je ne connaissais pas. Tout m’a bouleversé. » Suffisamment pour qu’elle se tourne vers la Cimade, une association qui défend les droits des personnes étrangères. « Je savais que si Mohamed était renvoyé un jour en Somalie, il serait tué. » Elle se démène, se surinvestit, l’accompagne à tous les rendez-vous : « On ne peut tout de même pas laisser quelqu’un sur le bord de la route, non ? »
À la Cimade, elle fait la connaissance de Mina Scheidle, également bénévole à Emmaüs. La communauté finistérienne accepte Mohamed : il obtient un travail solidaire, puis une liberté conditionnelle. Ses dimanches, il les passe chez Maryvonne : « Les copains d’Emmaüs blaguaient. Ils me disaient que j’allais chez ma mère. » Sourires entendus. Son premier « argent de poche », Mohamed le dépense pour offrir un bracelet à sa maman de cœur.
Et maintenant ? « Mon projet, je ne sais pas si c’est possible, c’est vivre comme tout le monde, ne faire de mal à personne. » Il le dit : « Si la situation était stable dans mon pays, j’y retournerais. » Mohamed a demandé l’asile. L’office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande en juin. « Je n’aime pas le mot sans-papiers. En Somalie, pays en guerre, des pêcheurs kényans, éthiopiens, travaillaient comme nous. On ne leur demandait pas de papiers. »
Mohamed est, aujourd’hui, dans l’attente d’une décision de la Cour nationale du droit d’asile auprès de qui il a déposé un recours.
L’homme aux bras de mer, Futuropolis, 176 pages, 22 €

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