Par André Darmon –
Facebook, morne plaine ou chacun vient y trainer ses langueurs et ses vices, ses mélancolies et ses malles emplies d’amertume et souvent de désespoir. Facebook est, pour d’autres bien plus pragmatiques, un formidable outil de travail et de promotion pour se faire connaître, et combien d’artistes, pour ma part, y ai-je découvert, combien d’amis, m’y suis-je fait sur ce réseau très social.
Ce que je ne soupçonnais pas c’est que Facebook permettait aussi de voyager dans le temps et dans l’espace, dans le jardin parfumé de notre enfance, non loin de la Hafsia, Sidi Bou Saïd, l’avenue de Paris et le café vert de la Goulette.
En effet, deux sympathiques copains, Marvin Bellaïche et Emmanuel Chiche, auxquels nous devrions élever une statue en nougat enrobée de miel, ont décidé d’organiser un groupe sur le réseau social composé uniquement de Tunes, vous savez ces Juifs qui parlent avec les mains et qui mangent avec les pieds.
Aussi, avec ce site ‘Tu sais que tu es tunisien quand… j’ai pris en plein visage comme un énorme tsunami, la plus inattendue rafale de rires, de souvenirs nostalgiques, de senteurs de jasmin, d’effluves épicés et j’ai soudain revu et entendu mon père que je croyais disparu depuis 40 ans. J’ai aussi retrouvé Hammamet, Nabeul et Tunis (d’accord je suis né à Paris), son marché Livournais, la Hara, L’Ariana et le Belvédère dont on m’avait tant parlé et narré la beauté.
Ah Elie Kakou, trop vite parti se consumer dans le paradis des comiques tunes ! Oh, notre Isabella, qui le samedi soir s’en allait manger les grillades au Chalet Goulettois…, et qui après prenait la direction de Sidi Bou pour déguster le thé aux pignons.
Le Machiah est-il “Gorni” ?
Permettez-moi d’abord de fortement compatir, car devant le succès exceptionnel de ce site où 7000 personnes se sont retrouvées en quelques heures, nos voisins marocains qui ont, nous le savons, le sens aigu du plagiat et la ‘doudai’ jalouse (démangeaison) ont tenté de faire la même chose avec un résultat exceptionnel aussi. Ils ne se sont retrouvés qu’à deux et de surcroît pour se disputer !
Quant aux Ashkénazes, une des conditions d’adhésion (je cite) à leur site Facebook était de s’entretenir sans relâche de la Shoah, au petit déjeuner, au déjeuner, au dîner et même en dormant.
Aussi, moi je préfère tout à fait jeuner et demeurer Tune. ‘Igi merkaikai’ leur aurait dit Elina, arrêtez vos simagrées, en gros, et Meyer Lahmi, lui apostrophera, légèrement amer, un père quelque peu déboussolé de voir sa fille ‘fréquenter un marocain, certes, juif’ : Marocain, dira-t-il.
M.T.B.K: Mouch Taana Bel Keul) ‘Ils ne sont pas du tout de chez nous’. Quant aux Constantinois et leur site facebook (Copié-collé), je les ignorerais superbement, na ! Dan Msihid, quant à lui, posera la question suprême: Le Machiah est-il “Gorni” (Tunisien d’origine Livournaise), ou bien “Tounsi”, (Tunisien de souche) ? Question fondamentale!
Tu Sais Que Tu Es Tunisien Quand… tu n’as honte de rien
Jeûner est un pieux mensonge car avec les Juifs Tunes pas une phrase n’est prononcée sans que ne soit amoureusement évoqués la Psalou loubia (humm) le banatage, les “pâtes à la sauce et au thon”, les grillades du dimanche midi et le fameux Adam Hout, les œufs de poisson, napées de cire, qui ont depuis largement détrôné le… caviar, lui-même (voir photo).
D’ailleurs dans mon innocence littéraire, j’ai toujours cru que l’heureux mot tune provenait du mot thon, donc du poisson donc, du porte-bonheur et j’aimerais que pas un seul courrier des lecteurs ne vienne me contredire sur ce point. Merci. On y ajoutera la bénédiction ancestrale ‘Beul Hout alik’, intraduisible à moins de se dire que pour se protéger de tout, des cancans et du ‘lachone Ara’, on doit pouvoir se couvrir la tête de poissons !
Connaissez vous, chers amis, ces interminables monologues qui racontent d’extraordinaires conversations tunisiennes, ‘Katli’, ‘kotli’ ‘katlou’, ‘il m’a dit’, ‘je lui ai dit’, il m’a dit’, ‘je lui dit, ‘ils m’ont dit’, conversations qui peuvent durer, oui, jusqu’à l’aube.
J’écoutais ainsi mon beau-père, centenaire, qui m’aimait, je crois surtout, parce que j’étais le seul à l’écouter inlassablement, sans rien comprendre, je l’avoue humblement. Les maux de tête se soignaient ensuite, soit, avec de l’eau de Cologne bénie ‘religieusement’ par le Grand Rabbin de la Goulette, soit par un morceau de Boulou au chocolat pourvu que cela ne fût pas Pessah. Et si par ces longues veillées l’on avait prix froid, maman arrivait derechef avec le Viks vaporub, les ventouses évidemment, ou du flitox sur la tête pour les poux (mdrrrr) si l’on manifestait quelques intempestifs grattements de tête.
Comment oublier nos grand-mères assises au café (des Délices) avec leurs copines et qui tout d’un coup lorsqu’elles voyaient de loin débarquer quelqu’une que personne n’attendait, étaient là, à murmurer entre leurs dents en la détaillant de haut en bas : « a, ouèdè jè… meureukai… justement on parlait d’elle ! mesrènè touilè” Qu’elle est lourde celle-là, ou bien quand elle quelque fois plus charitable ou hypocrite lorsque l’autre se rapprochait : ‘quelle vie longue on parlait de toi, ma chérie’ !
Hassilou !
Bien sur les étrangers, j’entends les Marocains, les Algériens, les Bons à rien, ne comprendront jamais les finesses linguistiques tunisiennes et ignoreront pour l’éternité que l’anthologique‘Rassra’ reste d’abord et avant tout l’expression d’une sourde ‘angoisse’ alors que ‘Ya khasra’ signifie, lui, ‘il y a longtemps’. Le premier se soigne par une dose de Temesta ou par une baffe, le second par un voyage à la Ghriba.
Si l’on reconnaît un Belge par temps d’orage car c’est le seul qui se met à la fenêtre pour être sur la photo, personne n’a jamais pensé que pour reconnaître un Tunisien dans un aéroport ou sur le tapis roulant de Ben Gourion, il suffit de repérer les valises car ce sont les seules qui sont ornées d’un ruban rouge sur le poignée.
Dov Krief écrira sur le site qu’appelant son père pour prendre de ses nouvelles (il a 84 ans) et l’entreprenant sur l’armée qu’il a faite en Israël en 1948 et ce dernier lui dira, avec l’accent trainant de Boujenah ou celui de madame Sarfati de Kakou, « j’étais à Haïfa le jour de la procréation de l’Etat d’Israël… Au lieu de proclamation.
Hassilou, (transition intraduisible) auraient dit Judith Bonan et Jocelyne Cohen, qui iront, elles, vaillamment, tous les jours que Dieu fait, préparer leur manicotti, leur pkailla, ou encore leurs gâteaux au miel et, nec plus ultra, un couscous boulettes avec l’os à moelle parce que parait-il c’est aujourd’hui la journée du bonheur : alèch ? (traduction, pourquoi) parce que chez les Tunes c’est tous les jours bonheur!
Je sais que beaucoup de nos chers lecteurs n’auront rien compris à cet article, qu’ils achèteront alors un lexique, ou tenteront désespérément une traduction par Google. Bonne chance, rabi ma keum !* (Que Dieu soit avec vous).
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