Mais ni les Juifs ni les Arabes ne sont en mesure d'apporter une réponse morale à leurs histoires respectives...
Alors que le monde regarde avec horreur et stupéfaction les images des centaines de milliers de réfugiés prostrés dans les gares routières d' Europe, et pleure à la vue du corps d'Alyan Kurdi,3 ans, échoué sur la plage en Turquie- pour 8,5 millions d'Israéliens - Juifs et Arabes- il ne s'agit pas seulement d'images reflétant la détresse humaine; ce sont des souvenirs, suivis d'une série d'associations.
Vous ne pouvez pas échapper à la symbolique: les trains bondés avec les familles s'accrochant les unes aux autres pour survivre, la marche vers une destination inconnue; les personnes liées par l'horreur, mendiant de l'eau et un morceau de pain, ces foules qui avaient encore récemment une vie et luttent désormais contre toute attente, pour leur survie.
Le Professeur Danny Gutwein, historien enseignant l'Histoire Sociale à l'Université de Haïfa affirme que ce qui le touche le plus, ce sont les femmes réfugiées portant le foulard qui tentent désespérément de sauver leurs familles; les foulards musulmans lui rappellant les grands-mères juives, la tête enveloppée dans des fichus, luttant pour la survie pendant la Shoah.
Pour le professeur Aziz Haidar, un sociologue arabe de l'Université hébraïque de Jérusalem, ces femmes que l'on voit sur nos écrans sont ces grands-mères arabes devenues des réfugiées en 1948 avec la création de l'Etat d'Israël, et qui maintenant le sont à nouveau. Qu'importe la manière dont vous le considérez, Israël, une nation de 8,5 millions de réfugiés et leurs descendants assiste à une nouvelle version tragique de ses propres histoires. Jamais pareille, mais souvent trop similaire.
En se basant sur cette expérience collective, on pourrait s'attendre à ce que la réaction israélienne à propos de la situation syrienne ou afghane soit différente de celle du reste du monde. "Nous, la nation des réfugiés" est souvent utilisé ou mal employé dans ce contexte.
Certains disent "par conséquent nous devrions être meilleurs"; tandis que d'autres avouent "nous devrions nous préoccuper uniquement de nous". La vérité doit être dite: vis à vis de la situation des réfugiés, les Israéliens ne sont pas différents. Pas mieux, pas pire.
Ils suivent avec appréhension l'histoire qui se déroule à leur frontière nord avec la Syrie, mettant en jeu des intérêts et des besoins contradictoires.
En arrière-plan, Israël a tendu la main aux Syriens gravement blessés et en a soigné des centaines dans des hôpitaux israéliens.
Même si cela a fait polémique. Deux rebelles syriens gravement blessés, ont été lynchés par un Druze israélien, alors qu'ils se trouvaient dans l'ambulance les transportant dans un hôpital situé au nord du pays. C'est arrivé quelques jours après que des islamistes radicaux en Syrie ont massacré un Druze syrien.
En gros, la réponse israélienne à la question des réfugiés dépend du traditionnel clivage politique droite/gauche.
La réelle expression de l'empathie, pèse souvent plus lourd que le "c'est juste des Arabes qui tuent des Arabes", et la peur de l'afflux de Musulmans qui changera à jamais le visage et la politique de l'Europe à l’égard d’Israël.
Les récents appels des dirigeants de l'opposition, Yitzhak Herzog et Zehava Galon, pour ouvrir la frontière et laisser entrer plusieurs milliers de réfugiés syriens, ont du mal à trouver écho auprès des Israéliens.
Cela a certainement attiré l'attention du Premier ministre Netanyahou qui a répondu vaguement: "nous ne sommes pas du tout indifférents à la tragédie humaine, mais Israël est un petit pays".
Les ministres de son cabinet ont fait preuve de moins de retenue: "laissez Herzog les héberger dans sa propre maison", a suggéré l'un d'entre eux.
Herzog, à son tour, a posté sur sa page Facebook: "Vous avez oublié ce que cela signifie d’être juif". Les réfugiés n’ont rien à gagner entre compassion et polémique politicienne.
Ce qui est encore plus frappant, c'est le silence total des membres arabes du Parlement. Tout comme les pays arabes, qui ne se prononcent pas. Silence total, alors même que le débat entre la gauche et la droite est lancé.
Face à cette gigantesque tragédie, non seulement la population juive reste relativement silencieuse, mais l'absence de réaction des Arabes israéliens est tout à fait surprenante.
A part la mise en place d’une vague aide humanitaire (comme l'ont fait plusieurs organisations juives israéliennes, ils ne font rien.
"Les gens sont insensibles", explique le professeur Haidar dans une interview à I24news; "le combat physique et spirituel des Arabes en Israël est épuisant et laisse peu de place pour les autres; les Juifs, d'autre part, même s'ils ont de l'empathie pour la situation à chaque fois qu'ils regardent les réfugiés à la télévision, ils ne voient finalement que des Arabes. Et les Arabes sont eux-mêmes des ennemis. Voici l'essence de l'histoire".
Pourtant Haidar a un plan: il croit qu'Israël devrait au moins ouvrir une brèche pour faciliter le passage des réfugiés vers d'autres pays et coordonner cette initiative avec les pays européens prêts à absorber ces réfugiés.
Ma question, pourquoi une telle demande n’émane pas des partis arabes, est suivie d'une réponse surprenante: "ils ne feront rien qui montrerait qu'Israël agit pour le bien" dit Haidar; "les politiciens arabes ne feront rien qui puisse apporter la légitimité et les honneurs à Israël." "Même au prix de la vie des autres Arabes?" Je lui ai demandé. Il a répondu "Oui"; "J'en ai bien peur".
Evoquant la réponse juive, israélienne à la tragédie humaine, le professeur Gutwein la qualifie d' "empathie à distance". "L'espoir de se sentir différent ou d'agir différemment en se basant sur l'histoire juive n'est aucunement fondé sur le comportement humain", confie Gutwein à I24news; "Pour la deuxième et la troisième génération de Juifs, la Shoah est davantage une expérience personnelle."
Les gens, par nature, ne cumulent pas de conscience historique. Soit les gens ont des valeurs soient ils n'en ont pas. Attendre que les Israéliens se construisent une approche morale des souvenirs est, selon Gutwein, un effort futile. Il appelle cela du " romantisme historique", avec une pointe de cynisme.
Sans cynisme aucun, Gutwein croyait que les Israéliens traitaient du mauvais sujet- avec la conséquence à la place de la raison. Et la raison est, selon lui, que la mondialisation néo-libérale qui provoque des séismes en Afrique et au Moyen-Orient, et la destruction physique et sociale sont la cause du problème des réfugiés.
"Attendre des Juifs israéliens qu’ils se sentent différents et agissent différemment n’a aucun sens", prétend-il; mais puisque nous faisons partie du même système qui a engendré cette situation- nous pouvons regarder nos écrans et voir non seulement des images de nos grands-mères- mais surtout, nous pouvons réellement constater notre propre échec ".
Israël a parcouru un long chemin depuis Menahem Begin, a absorbé des centaines de réfugiés vietnamiens indésirables partout, comme aucun autre pays ne l'a fait durant les 70 dernières années.
Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, "Le million qui a changé le Moyen-Orient" sur l'immigration d'ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.
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