Des crimes commis sans pression allemande.
Dans les Etats démocratiques, les partis fascistes ont eu un rôle important dans ce qu’un historien appelle « la rage antijuive ».[1] Pendant l’entre-deux-guerres, presque dans tous les pays de l’Europe occidentale existe un parti fasciste antisémite qui se réclame du national-socialisme. Ils sont certes minoritaires, mais chacun connaît le danger de minorités bien organisées et déterminées, capables de déstabiliser un régime. Pour nombre d’entre eux, le parti nazi se trouve juste au-delà de la frontière, prêt à apporter son aide.
En Suède, c’est le NS Volkpartie, au Danemark le parti National Socialiste Danois, en Finlande le Mouvement agraire antisémite Lappo, en Norvège le Rassemblement Nationaliste avec à sa tête Vidkun Quisling qui deviendra le chef du gouvernement lors de l’occupation. En Angleterre c’est Oswald Mosley qui dirige les Chemises noires de l’Union Britannique des Fascistes.
Le Nationaal-Socialistische Beweging (NSB) en Hollande regroupe 100 000 membres, soit 1,25% de la population.[2] En Belgique, le Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV) compte également 100 000 membres.[3] Pour se situer au même niveau, la France, dont la population est cinq fois plus importante que celle de la Belgique ou de la Hollande, aurait dû compter 500 000 fascistes. On est loin du compte. Les principales organisations fascistes, le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, et le Mouvement national révolutionnaire ne dépassent pas ensemble 65 000 membres à la vieille de la guerre.[4]
Aucun des partis français n’a adopté les thèmes politiques du National-Socialisme. Le fossé creusé vingt ans plus tôt par la Grande guerre dans l’opinion publique est bien trop profond. Déat et Doriot sont à l’origine des dirigeants marxistes militants. Or les pires ennemis des nazis, avant même les Juifs, ce sont les marxistes. Les deux hommes ont été les soutiens déclarés de la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme (LICA), la grande organisation philosémite. « Doriot fut le héros et le leader des grandes campagnes antimilitaristes lancées par le parti communiste au cours de la décennie 1920 ». « Déat, pacifiste depuis toujours. Figure de proue du pacifisme français de la fin des années 1930 », écrit l’historien Simon Epstein.[5] Tous les deux sont en 1938 « munichois ». C’est le fameux cri de Déat en 1939 : « Mourir pour Dantzig, non ! »[6] Paradoxalement, l’occupation de la France va les faire basculer dans le camp des mouvements fascistes pro-nazis antisémites.
Aux Etats-Unis le soutien aux nazis prend au seuil de la guerre sa forme la plus spectaculaire. Le nom même du principal mouvement fasciste, German American Bund , affiche son allégeance à l’Allemagne. Des cohortes d’Américains, bottés de noir, uniformes bruns, portant brassards et drapeaux frappés de la croix gammée, descendent au pas de l’oie la cinquième avenue à New-York. Plus impressionnant encore, un rallye se tient le 20 février 1939 au Madison Square Garden à New-York. Plus de 22.000 manifestants conspuent Roosevelt et se lèvent aux cris de Heil Hitler. Des oriflammes à croix gammée flottent au vent. Les orateurs glorifient Hitler et l’Allemagne nazie, condamnent le communisme et appellent à l’élimination des Juifs.[7]
Avec l’occupation allemande, les mouvements fascistes passent des déclarations et des manifestations à une action antisémite dure, souvent meurtrière. En Hollande et en Belgique, dès l’automne 1940, aux côtés de la police nationale, des unités fascistes nationales ont été le principal soutien des activités antijuives de la Gestapo. Le 11 septembre 1940 déjà, Mussert, le chef du Nationaal-Socialistische Beweging (NSB), crée une formation de SS hollandais. En août 1944 ces SS nationaux comptent 4 000 membres et plus de 4 000 sympathisants.[8]
En février 1941, près d’une année avant le début de la Shoah, des unités paramilitaires du NSB attaquent des restaurants et cafés juifs d’Amsterdam.[9] La police n’intervenant pas, de jeunes Juifs organisent leurs propres groupes de défense. Le 11 février 1941, lors d’une bagarre entre les deux groupes, un membre du NSB est tué.[10] La police allemande intervient et 389 Juifs sont envoyés à Mauthausen. Aucun ne survivra.[11] Haans Albin Rauter, chef de la Gestapo en Hollande, crée en mai 1942 une Police volontaire auxiliaire sous ses ordres directs. Forte de 2 000 Hollandais, elle se compose de SS et de SA du NSB. Leur seule mission, traquer et arrêter les Juifs.[12] Rauter est satisfait. Il écrit à Heinrich Himmler, le chef de la Gestapo à Berlin : « Les nouveaux escadrons de la police hollandaise font merveille en ce qui concerne la question juive et arrêtent des Juifs par centaines, jour et nuit ».[13]
De leur propre initiative des groupes de membres du NSB se constituent dans le seul but de « débusquer » et de se « saisir » de Juifs qu’ils remettent aux Allemands contre paiement de primes. Leur capacité à produire un maximum de résultats est effarante. La Henneike Column avec seulement 35 hommes est arrivée à arrêter ou faire arrêter 3 400 Juifs en moins de six mois. Ses méthodes sont si brutales, mêlant chantages, tortures, extorsions, que les Allemands mettent fin à ses activités en septembre 1943.[14]
En Belgique, des mois avant la Shoah, des centaines de militants du Vlaamsch National Verbond (VNV) organisent un vrai pogrom à Anvers. Ils mettent à sac le quartier juif d’Anvers, incendient deux synagogues, brûlent les rouleaux de la Tora et mettent le feu à la maison du rabbin Rottenberg.[15]
Les « Mouvements de l’ordre nouveau », lisez pronazis, nombreux, particulièrement en pays flamand, comblent les insuffisances de la police régulière. Les plus radicaux sont les membres de la VNV. Une série d’organisations antisémites moins importantes les complète, telles que le Volksverwering, le Anti-Joodsch Front, le Nationaal Volksche Beweging.[16] Ces activistes ne feront jamais défaut à la Gestapo. Les formations de combat du Rex de Léon Degrelle sont directement rattachées aux SS. Elles s’occupent d’abord du repérage des Juifs avant d’être autorisées à opérer des arrestations en fin 1943.[17] « Une bande de crapules, traîtres à la patrie belge » seconde la Gestapo dans sa triste besogne, s’insurge en novembre 1943 Le Flambeau, une publication de la résistance.[18]
En France les mouvements fascistes n’ont joué qu’un rôle secondaire dans les arrestations. Leur principale intervention, ce sont les 300 à 400 militants du PPF de Doriot qui, en uniforme, participent à la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942.[19] Les fascistes français prêts à rejoindre des milices antijuives sont peu nombreux. Les archives de la Police aux Questions Juives montrent qu’il y eut un manque de candidats pour entrer dans les rangs de cette police raciale.[20]
Déat comme Doriot se limitent à des déclarations antisémites violentes. La presse du RNP publie des articles violemment antijuifs pendant l’été et l’automne 1942. Les dirigeants exigent que les Juifs soient rejetés de la nation. [21] En août 1942, Déat tient un discours raciste sur le « sol », le « sang » et la « race », parlant « d’un élevage rationnel et sélectionné de petits Français » ; il évoque au passage les « stérilisations ».[22] Doriot est plus brutal. Dès juin 1941, il déclare sans ambages : « Moi je veux que notre race redevienne la race française pure. Par conséquent j’interdis aux Juifs de se marier avec une Française ».[23] Au congrès de 1942, Doriot réclame l’adoption et l’application d’un programme raciste qui mette les Juifs français au ban de la nation, en attendant une solution « européenne » sur leur sort.[24]
Les deux leaders fascistes pensent plus à une réussite politique qu’à devenir des chefs terroristes. Déat devient l’éphémère ministre du Travail de Laval en mars 1944.[25] Doriot suit le maréchal Pétain en fuite à Sigmaringen en fin 1944. Le 8 janvier 1945, il y lance « un Comité de libération française » qui doit lui permettre de prendre le pouvoir. Peu après il meurt d’un mitraillage sur les routes allemandes.
« Les SS flamands ont dépassé les Allemands en férocité », écrit un historien israélien.[26] Pire, ils se proclamèrent eux-mêmes bourreaux sans la moindre pression politique. Des hommes sans loi ni aveu. Il faut dénoncer ces milliers de criminels qui sont largement restés dans l’ombre.
© Marc-André Charguéraud - www.europe-israel.org Reproduction autorisée avec mention de la source et lien actif
[1] FRIEDLANDER, Saul, Les années d’extermination, l’Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945, Seuil, Paris, 2008, p. 161.
[2] HIRSCHFELD Gerhart, Nazi Rule and Dutch Collaboration, Berg, New York, 1988, p. 285.
[3] STEINBERG Maxime, L’étoile et le fusil, Volume 1, La vie ouvrière, Bruxelles, 1983, p. 138.
[4] ZUCCOTTI Susan, The Holocaust, the French and the Jews. New York, 1993, p. 281. DREYFUS Francois George,Histoire de Vichy, Perrin, Paris, 1990, p. 686 cite un chiffre de 70 000 à 80 000 pour la zone occupée.
[5] EPSTEIN Simon, Un paradoxe français. Antiracistes dans la collaboration et antisémites dans la résistance,Albin Michel, Paris, 2008, p. 368.
[6] IBID. p.196.
[7] LIPSTADT Deborah, Beyond Belief : The American Press and the Coming of the Holocaust, 1933-1945, The Free Press, New York, 1986, p.123. WYMAN David, Paper Walls : American and the Refugee Crisis, 1938-1941, Pantheon, New York, 1985, p.14-17.
[8] HIRSCHFELD, op. cit. p. 287 et 288. 22 000 à 25 000 Hollandais rejoignirent les Waffen SS sur le front russe.
[9] MOORE Bob, Victims & Survivors : The Nazi Persecution of the Jews in the Netherland : 1940- 1945, Arnold, New York, 1997, p. 66.
[10] WARMBRUNN Werner, The Dutch under Occupation, Stanford University Press, Stanford, 1963, p. 107.
[11] MOORE, op. cit. p. 71 et 72. Weerafdeling . Nom de ces groupes paramilitaires fascistes du NSB.
[12] HIRSCHFELD, op. cit. p. 178 et 179. Proportionnellement aux populations respectives, ces 2 000 hommes seraient l’équivalent de 10 000 hommes en France.
[13] FRIEDLANDER 2008 op. cit. p. 507.
[14] HIRSCHFELD, op. cit. p. 176. MOORE, op. cit. p. 207. Il en va de même pour un groupe intitulé « Département Juif » dirigé par un SS hollandais, membre du NSP, Dalmen von Buchholz.
[15] BRACHFELD Sylvain, Ils n’ont pas eu les gosses, Institut de recherches sur le judaïsme belge, Bruxelles 1989, p. 14 au 17 avril 1941.
[16] SAERENS Lieven, Antwerp’s Attitude Towards the Jews from 1918 to 1940 and its Implications for the Period of the Occupation, in MICHMAN Dan, Belgium and the Holocaust, Yad Vashem, Jerusalem, 1998, p. 193.
[17] STEINBERG,1983, op. cit. p. 143.
[18] STEINBERG Maxime, L’étoile et le fusil, Volume 2, La vie ouvrière, Bruxelles, 1986, p. 123. La Feldkommandantur actera plus tard : « Etant donné l’insuffisance des forces de police, l’arrestation de dizaines de milliers de Juifs (sic) à Anvers n’a pu s’accomplir sans le concours des mouvements d’ordre nouveau pour les dépister et les amener à la police de sécurité.»
[19] IBID. p. 475.
[20] KLARSFELD Serge, La Shoah en France. vol. 2, Le calendrier de la persécution des Juifs de France. Juillet 1940 – août 1944, Fayard, Paris, 2001, p. 310.
[21] IBID, p. 196
[22] BURRIN Philippe, La Dérive Fasciste : Doriot, Déat, Bergery, 1933-1945, Seuil, Paris, 1986, p. 442.
[23] EPSTEIN, op. cit. p. 226.
[24] BURRIN, op. cit. p. 484.
[25] COHEN Asher, Persécutions et Sauvetage : Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Cerf, Paris ,1993, p. 474.
[26] BRACHFELD Sylvain.Ils ont survécu. Le sauvetage des Juifs en Belgique occupée, Editions Racine. Bruxelles, 2001, p.13.
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