David Ignatus, du Washington Post, révèle qu’Erdogan a dévoilé aux renseignements iraniens les identités d’au moins 10 Iraniens qui prenaient contact avec des agents du Mossad en Turquie.
WASHINGTON – La Turquie a dévoilé aux services de renseignement iraniens les identités d’au moins 10 Iraniens qui prenaient contact avec leurs officiers traitants du Mossad en Turquie, a révélé le Washington Post, ce jeudi.
Selon le journaliste d’investigation David Ignatus, les renseignements israéliens dirigeaient apparemment une partie de leur réseau d’espionnage en Iran, à partir de la Turquie, base qui favorisait des allers-retours relativement faciles, grâce à sa frontière commune avec l’Iran. Le Milli Istihbarat Teskilati (MIT) opère une étroite surveillance à l’intérieur de ses frontières, aussi avait-il les ressources de pouvoir surveiller des rencontres secrètes israélo-iraniennes, au retour d’agents perses, et, plus vraisemblablement, Kurdes d’Iran. Les Turcs et les Iraniens ont, en effet, un intérêt commun à étouffer les velléités indépendantistes kurdes, particulièrement, dans leurs tentatives de rapprochement, via des échanges de bons procédés, avec Jérusalem.
Ce dernier "incident" daterait du début 2012. Il illustre la guerre secrète sans merci qui se joue, derrière le rideau des "négociations" américano-iraniennes, autour du programme nucléaire du pays enchanté des Mollahs et de ses relais à double-fond, au sein même de l’OTAN.
L’Amérique d’Obama a joué, à fond, la carte frelatée d’un rôle prédominant d’Ankara, dans la résolution de la crise syrienne, comme dans l’installation de son système d’alerte précoce du bouclier anti-missiles, en Turquie. Cela donne une indication de la position de faiblesse, réelle ou feinte -en tout cas choisie-, de l’Administration Obama, qui constitue sa nouvelle stratégie... Au rebond, la Maison Blanche tire du double-jeu turc une "force de négociation", propice à son nouveau pas de deux avec le maître de ballet, Hassan Rouhani.
En attendant, Israël a été trahi et fait donc, directement, les frais de cette politique d’accommodement.
Le confident et homme de confiance de la Maison Blanche au M-O
Ignatus cite des sources bien informées, qui décrivent l’action du Cheval de Troie turc comme uneperte « significative » de renseignements et un « effort visant à nuire par n’importe quels moyens aux Israéliens ».
“La colère d’Israël, au sujet de cette compromission délibérée de ses agents, peut aider à comprendre pourquoi le Premier Ministre Binyamin Netanyahu s’est, à ce point, retranché derrière son refus de présenter ses excuses à Erdogan, à propos de l’incident de la flottille pour Gaza de mai 2010 », déclare t-il.
Netanyahu a fini par céder aux atermoiements d’Obama, en présentant des excuses par téléphone, en mars, après que le Président américain ait négocié une formule de compromis.
Bien que les responsables américains conçoivent cette façon de griller un réseau israélien comme une perte considérable de sources de renseignements, ils se sont abstenus de protesterdirectement auprès des responsables turcs, raconte Ignatus.
Selon ce reportage, Israël pense que c’est le chef des renseignements turcs, Hakan Fidan, d’origine chi’ite, qui est le chef d’orchestre de cette trahison, du fait de ses liens d’amitié avec Téhéran, depuis de longues années.
On dit que des officiers des services extérieurs d’Israël, non sans facéties, décrivaient à des responsables de la CIA, il y a déjà, quelques années, Fidan comme "le chef d’antenne du MOIS à Ankara", faisant ainsi directement référence au Ministère iranien des Renseignements et de la Sécurité. Mais les Etats-Unis ont continué de commercer avec Hakan Fidan sur des dossiers sensibles.
Fidan et Erdogan, en mai à la Maison Blanche, attentivement écoutés par Kerry et Obama.
Au lieu de quoi, au contraire, les relations turco-américaines n’ont pas cessé de se réchauffer, tout au long de l’année passée, jusqu’au point de pouvoir dire qu’Erdogan appartient au cercle des confidents les plus proches et les plus écoutés d’Obama.
Cette pratique qui consiste à cloisonner les sujets relatifs aux renseignements et à les séparer de la chaîne de décision politique plus vaste semble être une approche de long terme, au sein des différentes administrations américaines.
Mais Ignatus fait, aussi, remarquer que le Mossad, après plus de 50 ans de relativement bonne coopération avec la Turquie, n’aurait jamais imaginé que les Turcs, sans doute, du fait de leur intégration dans l’Alliance Atlantique (OTAN), puissent se permettre de « vendre » des agents israéliens à une puissance hostile.
L’alliance israélo-turque, en matière de renseignements, a été initiée, lors d’une rencontre secrète, en août 1958, à Ankara, entre David Ben Gurion, le Premier Ministre israélien de l’époque, et Adnan Menderes, lui-même Premier Ministre turc. Le résultat concret en fut la passation d’un accord formel, mais resté top-secret, entre le Mossad et les services de renseignements turcs, écrivent Dan Raviv et Yossi Melman, dans leur livre de 2012 : "Espions contre Armageddon".
C’est Reuven Shiloah, fondateur et premier Directeur du Mossad, qui a, secrètement, préparé le terrain, comme partie intégrante de ce qu’il appelait une "stratégie d’alliances périphériques". Grâce à ce partenariat, les Israéliens ont fourni clé-en-main, l’entraînement nécessaire aux Turcs, en matière d’espionnage et, double-ironie de l’histoire, également aux Iraniens de l’époque, sous le gouvernement du Shah, renversé en 1979. Cette coopération tripartite avait pour nom de code : "Trident".
Fidan est le principal conseiller et l’éminence grise d’Erdogan. Il est devenu chef du MIT en 2010 –soit l’année de l’envoi du fameux navire Mavi Marmara, visant à écorner l’image internationale d’Israël – après avoir été un simple sous-officier de l’armée turque et obtenu une licence de l’université du Maryland et un Doctorat à Ankara. Dès que Fidan a pris en main les services turcs, « il a déconcerté les alliés de la Turquie –essentiellement l’OTAN- en transmettant des informations sensibles à l’Iran, recueillies par les Etats-Unis et Israël », selon un profil récemment établi par le Wall Street Journal. Cet article met aussi en lumière de quelle façon Hakan Fidan, sûrement pour le compte de Téhéran, a géré sa propre guerre civile en Syrie, en armant des flux incessants de Jihadistes venus de toute la planète (avec une forte présence Tchéchène actuellement), discréditant ainsi toute "rébellion accceptable", aux yeux des Occidentaux et comme moyen d’écraser la résistance kurde contre les Islamistes made-in-Turquie.
Le site Debkafile tire cinq leçons de l’article du WP et de son timing, juste après les discussions bilatérales américano-iraniennes :
1. Les Etats-Unis n’ont jamais protesté auprès d’Ankara, s’agissant de la compromission délibérée d’un réseau israélien, parce que le Président Barack Obama cherche à ménager le Premier Ministre Erdogan, en tant que principal allié musulman et "cheval de Troie", dans les accords de coulisse avec Téhéran.
2. Washington n’était pas certain des motivations de la Turquie. Selon une théorie, Erdogan réglait ses comptes avec Israël, à cause de son raid des commandos du Shayeret 13, sur le navire turcMavi Marmara, qui dirigeait la flottille vers Gaza, avec des militants pro-palestiniens armés à son bord.
3. Les excuses de Netanyahou, sous pression d’Obama, n’ont jamais permis l’amélioration des relations avec Ankara. Elles ne visaient, en fait, qu’à allonger la main tendue d’Obama en direction du lointain Iran.
4. Bien que les responsables américains aient traité la dénonciation du réseau israélien comme une perte « malheureuse » d’information, ils continuent de travailler avec Hakan Fidan sur des sujets sensibles, en dépit de sa collaboration évidente avec Téhéran.
“Cette pratique consistant à séparer les problèmes liés au renseignement du processus de décision politique plus large est une approche américaine de long terme » écrit le rédacteur de l’article.
5. “Des changements kaléidoscopiques” s’annoncent au Moyen-Orient, dit Ignatus, et des pays comme Israël, la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, cherchent – ouvertement ou secrètement – de nouvelles alliances, dans un Moyen-Orient en changement constant.
La sixième leçon apparaît entre les lignes de cet article. C’est que si Netanyahu veut échapper à d’autres revers, du fait de ses mauvaises relations avec Erdogan et de son attitude hostile envers la diplomatie US avec l’Iran, il doit changer d’approche et s’acclimater au Nouveau Moyen-Orient selon Obama, aussi cruel et froid qu’il soit, dans lequel les Etats-Unis et l’Iran commencent à coopérer, au détriment des autres acteurs et anciennes alliances.
Le même message s’adresse, également, à l’Arabie Saoudite et à l’Egypte, tous deux défiant activement l’approche de Barack Obama, dans la région.
Comme d’habitude, dans le monde secret du renseignement et de l’espionnage, le récit duWashington Post couvre une autre (“cinquième”) dimension. C’est aussi la réponse et la suite d’un article du Wall Street Journal, du 10 octobre, intitulé « Le maître-espion de la Turquie conspire pour suivre sa propre trajectoire en Syrie », qui cite l’ancien Ambassadeur américain en Turquie, James Jeffrey, disant : « Hakan Fidan est le visage du nouveau Moyen-Orient ».
Il accuse Fidan de travailler contre la politique américaine, en aidant à livrer des armes et des munitions aux Jihadistes affiliés à al Qaeda, qui combattent avec les rebelles syriens. Jeffrey décrit Fidan comme l’un des trois maîtres-espions qui agissent pour façonner le « nouveau Moyen-Orient ». Les deux autres sont le Prince Bandar bin Sultan, directeur des renseignements générauxsaoudiens, et le Général Qassem Souleimani, chef du fameux réseau terroriste et de renseignements iraniens des Brigades al Qods.
Le chef du Mossad, Tamir Pardo, ne fait, étrangement, pas partie de cette liste de ceux qui « comptent pour l’Amérique ». CQFD.
A ce stade, le gouvernement israélien a évité de faire le moindre commentaire au sujet de ce reportage. Certains responsables notent, simplement, que les relations avec Ankara restent très limitées et qu’ils ne seraient guère surpris d’apprendre qu’Erdogan complote avec les ennemis d’Israël. Il est, en tout cas, perçu comme un ennemi par Jérusalem, alors que ses services font avorter toute tentative de rapprochement. Ils considèrent, néanmoins, la Turquie comme un pays en crise, du fait de l’échec d’Erdogan à assurer un rôle dominant pour son pays, au Moyen-Orient, en fédérant toutes les forces des Frères Musulmans dans la région, qui sont, précisément en recul, partout.
"Erdogan n’est pas un acteur important, en ce moment". Il est, tout juste, capable de lutter pour maintenir son statut de Président, mais autant la position de son pays dans la région que l’affaiblissement de l’économie turque le permettent à peine.
Yitzhak Benhorin
David Ignatus
ynetnews.com
Adaptation : Marc Brzustowski
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