Tunisie: esquisse du pouvoir par les chefs de partis..
De notre envoyée spéciale Dominique Lagarde,
Premier scrutin libre depuis la chute de Ben Ali: les Tunisiens élisent une Assemblée constituante ce dimanche en vue de façonner leur avenir politique. L'Express a rencontré les chefs des principaux partis.
Les premières élections libres tunisiennes ont lieu ce dimanche. L'assemblée qui sera élue aura pour tâche, en principe dans un délai d'un an, de rédiger une nouvelle constitution. C'est donc une nouvelle période transitoire qui s'ouvrira à cette date.
Avant de passer au texte constitutionnel l'assemblée, aux termes d'un "pacte de bonne conduite" signé par les principales formations politiques du pays, devra choisir un nouveau chef de l'Etat - pour un an- qui nommera un Premier ministre, lequel constituera son gouvernement et fera approuver son programme par les élus. Certains prônent un gouvernement d'union nationale rassemblant les principaux partis, d'autres un gouvernement de consensus constitués de technocrates, d'autres encore une formule intermédiaire.
En ce qui concerne le chef de l'Etat, deux formules sont envisagées: soit une personnalité de consensus choisie en dehors de l'assemblée - l'actuel Premier ministre de transitionBeji Caid Essebsi s'y verrait sans doute assez bien mais il n'est pas sûr qu'il réunisse une majorité sur son nom- soit un politique, à la condition là encore qu'il puisse obtenir l'accord des principales formations.
Il est quasi certain que le parti islamiste Ennahda, donné en tête par tous les sondages, ne briguera pas ce poste et il est aussi à peu près sûr qu'il refusera la candidature de Nejib Chebbi, le fondateur du Parti démocrate progressiste, qui mène une campagne très anti-islamiste. Le patron du parti social-démocrate Ettakatol, militant démocrate de longue date et personnalité respectée, semble bien placé. Il ne devrait pas avoir de difficulté à obtenir l'accord d'Ennahdha. Reste cependant à savoir si le PDP serait prêt à donner son feu vert. Entre Nejib Chebbi et Mustapha Ben Jaafar le courant passe à peu près aussi mal qu'entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin.
Début octobre à Tunis nous avons rencontré les chefs des trois principaux partis. Voici ce qu'ils nous ont dit.
Mustapha Ben Jaafar, Ettakatol
"Nous sommes dans une période de transition qui est aussi, pour tout le monde, une phase d'apprentissage accéléré. A ce stade, la bipolarisation serait préjudiciable au processus. Nous ne voulons ni d'une stratégie de la peur conduisant à un front anti-islamiste ni d'un tête-à-tête avec Ennahdha.
Nous devons mobiliser toutes les compétences. Le parti Ettakatol souhaite par conséquent la constitution d'un gouvernement d'union nationale qui puisse prendre en charge les dossiers les plus brûlants qu'il s'agisse de la relance de l'économie et des réformes les plus urgentes. A priori nous sommes favorables à un gouvernement qui panacherait des politiques et des technocrates. Il faut en tous cas un gouvernement qui donne un signal fort, qui montre rapidement qu'il entend effectivement changer les choses.
La société tunisienne a été déstructurée. Il faut redonner des valeurs et des repères. La démocratie, cela ne consiste pas à faire tout ce que l'on veut."
Hamadi Jebali, Ennahdha
"Les Tunisiens ont fait un choix irréversible pour la démocratie et le multipartisme. Le nombre de siège qu'obtiendra Ennahda lors du prochain scrutin est sans importance, ce qui compte c'est le nombre de sièges qu'obtiendront, tous ensemble les démocrates. Un premier pas a été franchi avec la chute de la dictature. Il reste à changer le système -la police politique est toujours là- et les mentalités.
Nous sommes partisans d'une approche douce et pédagogique, ménageant des étapes. Mais l'orientation, elle, doit être ferme. Ennahda n'acceptera pas de retour en arrière. Nous souhaitons un gouvernement d'union le plus large possible qui puisse s'attaquer, dans la période transitoire, aux questions les plus urgentes qu'il s'agisse des questions économiques et sociales, de la justice ou de la police. Il serait logique que ce gouvernement soit dirigé par une personnalité du parti arrivé en tête.
Il n'est pas souhaitable qu'il y est un parti dominant, hégémonique, qui écrase les autres. Cela serait dangereux pour la démocratie."
Maya Jribi, Parti démocrate progressiste (PDP)
"Nous sommes porteurs d'un projet moderniste qui s'inscrit dans la continuité de notre histoire. Nous n'excluons pas, bien au contraire, après l'élection, de constituer un front commun avec les autres formations modernistes car nous sommes à la fois solidaires et complémentaires. Je pense en particulier au Pôle démocratique et au parti Afek Tounes. Pour ce qui est d'Ettakatol nous nous interrogeons sur leur position. Appeler à un gouvernement d'union nationale à ce stade c'est faire le jeu d'Ennahda. Ils donnent le sentiment qu'ils sont prêts constituer une coalition avec Ennahda ce qui n'est pas notre cas.
Nous sommes pour un gouvernement de responsabilité nationale, un gouvernement de compétences qui prennent en charge les problèmes les plus urgents, certainement pas d'un gouvernement dans lequel il y aurait des quotas pour les différentes formations politiques.
Nous avons, c'est vrai, accueilli dans nos rangs quelques anciens du RCD. Mais nous sommes loin d'être les seuls. Et chaque fois, nous nous sommes assurés qu'il s'agissait de personnes qui n'étaient pas compromises. Nous sommes contre la chasse aux sorcières.
Nous ne regrettons pas d'avoir participé au gouvernement de Mohamed Ghannouchi après le départ de Ben Ali. Il y avait un vide constitutionnel qu'il fallait combler, nous pensions qu'il était préférable dans un premier temps de conserver les institutions en l'état. Puis la révolution s'est radicalisée et nous nous sommes ralliés à l'idée d'une constituante."
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