Le nu est partout, le nu n’est plus tabou. Mais la surexposition de la nudité dans la société ne rend pas forcément la nôtre plus confortable. Car le regard que nous posons sur notre corps est influencé par ces nouveaux codes esthétiques.
Flavia Mazelin-Salvi
Mon corps, mon avatar."J'ai vraiment eu un choc devant les nus de Lucian Freud à Beaubourg (exposition jusqu'au 19 juillet au Centre Pompidou), témoigne Ninon, 36 ans. Et je n’ai pas été la seule : autour de moi, c’était la même fascination, le même trouble. On a l’habitude de voir des corps tellement parfaits qu’ils n’expriment rien d’intime, on en oublie même qu’ils sont nus ! Alors que devant ces tableaux, ces ventres à bourrelets, ces cuisses énormes, j’ai senti que j’étais face à la vraie nudité, dans ce qu’elle a de plus vulnérable, et de plus frappant aussi… » Un choc visuel et émotionnel qui n’a rien à voir avec l’effet produit par ces corps jeunes, minces et fermes exhibés sans relâche dans la pub, la mode ou le cinéma. Car tel est le paradoxe de la nudité contemporaine, hyperérotisée, conçue pour transgresser et pour attiser le désir, mais qui émeut rarement et choque encore moins. Sa surexposition et sa banalisation posent une question qui nous concerne tous : cette nudité fait-elle sauter les verrous de nos complexes et de nos inhibitions ou bien en installe-t-elle de nouveaux sous couvert de libération ?
Le règne des contradictions
Tout se passe comme si la banalisation de la nudité pornographique – débordant largement de la scène du X –, qui morcelle, maquille et dépouille le corps de sa dimension animale (acteurs épilés, siliconés, tatoués…), avait, paradoxalement, rendu la nudité naturelle plus transgressive. « C’est d’ailleurs celle-ci, imparfaite et sans artifices, que l’on retrouve dans certains mouvements citoyens pour dénoncer telle ou telle cause, avance le sociologue Christophe Colera, auteur de La Nudité aux Editions du Cygne. Ce que j’appelle la nudité d’affirmation. » Ainsi, le photographe Spencer Tunick faisant poser sept cents personnes dévêtues au milieu des vignes pour Greenpeace.
On l’aura compris, il existe plusieurs façons d’être nu. Le sociologue en distingue trois autres : la nudité fonctionnelle (je me déshabille pour me doucher), la nudité comme humiliation (celle du prisonnier de guerre) et enfin la nudité comme un don (l’érotisme, la sexualité). C’est bien cette dernière qui est au cœur de tous les enjeux sociaux et intimes. Il y a encore quelques décennies, avant les années 1970, le corps était peu visible dans la société, et la nudité strictement réservée à l’intimité, d’où sa forte charge sexuelle. Aujourd’hui, le sein qui jaillit hors du décolleté d’une actrice ou les gros plans sur des people ayant oublié leurs sous-vêtements font glousser ou soupirer les plus blasés. Les scènes de nu dans les films ne se comptent plus… Mais ce n’est pas pour autant, assurent les thérapeutes, que les hommes et les femmes sont plus à l’aise avec leur propre nudité. Au contraire !
« Quand je me regarde dans un miroir après avoir feuilleté un magazine ou vu un film, je mesure tout ce qui sépare les “élus” du commun des mortels, soupire Laurine, 33 ans. Même si je sais que la lumière, le maquillage, les retouches photo sont là… » Un sondage révélait l’année dernière que 52 % des Françaises n’aimaient pas leur corps et que près d’un tiers d’entre elles préféraient faire l’amour dans le noir pour la même raison ("Les femmes et la nudité" sondage Tena/Ifop, avril 2009). « Ce qui est frappant et très préjudiciable, constate Sylvain Mimoun, gynécologue et andrologue, co-auteur de Sexe et Sentiments (Albin Michel), c’est que l’intime est de moins en moins le lieu de l’abandon, le refuge, et de plus en plus celui de la mise en scène de son image, du spectacle du corps. » Il y a un vrai mal-être produit par le décalage entre la nudité artificielle et la nudité réelle. Surtout chez les femmes, bien que l’autocritique n’épargne plus les hommes. Selon le thérapeute, même si les complexes corporels et la peur du regard de l’autre sur son corps ne motivent pas directement la consultation en sexologie, ils sont très souvent évoqués. « Cette relation conflictuelle avec son image corporelle a des incidences directes sur la relation sexuelle, sur le désir et sur le plaisir, ajoute Sylvain Mimoun. Quand on est mal dans son image, mal dans sa nudité, on ne s’abandonne ni au regard ni aux mains de l’autre. »
En ligne de mire ? L’excès de poids, le manque de fermeté, les marques du temps… Isabelle, 41 ans, avoue, gênée, qu’elle évite certaines positions qui font ressortir les bourrelets de son ventre et ses seins qui tombent. Les obsessions féminines n’ont pas changé. Elles s’élaborent toujours autour du même trio « idéal » : jeunesse-fermeté-minceur. Un triptyque hérité de l’Antiquité grecque, précise Christophe Colera, et qui correspond à une « mathématisation de l’esthétique », c’est-à-dire à une codification très précise de ce qui est beau et désirable. Et, par conséquent, de ce qui ne l’est pas. Mais le sociologue note que les vrais corps de la vraie vie émeuvent et troublent de plus en plus. Ils pourraient donc (re)devenir les obscurs objets du désir. La rondissime Marianne James posant nue en couverture du magazine Gala (le 7 octobre 2009) n’était-elle pas plus troublante qu’une énième Paris Hilton dévêtue ?
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