dimanche 15 janvier 2017

Quelles valeurs pour l’armée israélienne face au terrorisme djihadiste ?


L’affaire Elor Azaria, ce jeune soldat qui vient d’être condamné par le tribunal militaire de Tel-Aviv pour homicide après avoir liquidé un terroriste palestinien, divise et déchire la société israélienne.

Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’une affaire purement intérieure à Israël, car ses implications concernent l’ensemble des pays confrontés à la menace terroriste.

Le verdict de culpabilité prononcé à l’encontre du soldat Elor Azaria a des répercussions qui vont bien au-delà du simple cas d’espèce jugé par le tribunal. Cette affaire, qui défraie la chronique depuis des mois en Israël, n’oppose pas seulement deux conceptions de l’éthique militaire. Elle divise aussi le pays, en ravivant de vieilles blessures mal cicatrisées au sein de la société.
Issu d’une famille modeste de Ramlah, d’origine séfarade et en partie française, Azaria n’a pas bénéficié du soutien unanime des médias israéliens, à la différence d’un autre jeune soldat israélien ayant lui aussi des origines françaises, Guilad Shalit.

Dans des circonstances fort différentes, les deux soldats au visage d’enfant se sont tous les deux trouvés au coeur d’une affaire dont l’enjeu les dépassait très largement. Shalit, qui vient d’une famille aisée d’origine ashkénaze, a d’emblée été perçu comme une victime par l’ensemble de la société israélienne et adopté par les médias israéliens comme “l’enfant de tout le monde”, statut qui a été refusé à Elor Azaria. Il a été libéré après cinq longues années de captivité, grâce à une intense campagne médiatique et en échange de centaines de terroristes palestiniens, dans le cadre d’une transaction soutenue par plusieurs pays, dont la France qui est intervenue en faveur de sa libération.

Comme le rappelle le professeur Udi Lebel, du Centre Begin-Sadate, le traitement différent dont ont bénéficié les soldats Shalit et Azaria de la part des médias israéliens, mais aussi de leur hiérarchie militaire, atteste d’un changement de valeurs au sein de l’armée israélienne. Il fut un temps où le fait d’avoir la “gâchette facile” n’était pas considéré comme un crime au sein de Tsahal, mais plutôt comme un défaut excusable, voire comme une qualité de ses soldats. Meir Har-Tsion, combattant de la légendaire unité 101, fut qualifié en son temps de “meilleur soldat de Tsahal” par Moshé Dayan. Cette unité avait pour objet et pour principale fonction de mener des représailles contre les incursions des fedayin palestiniens, le long de la ligne de démarcation israélo-jordanienne.
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L’opération la plus fameuse, et aussi la plus sanglante de l’unité 101, se déroula en octobre 1953 et fut surnommée “Opération Shoshana” (du nom de la soeur de Meir Har-Tsion, assassinée par des bédouins lors d’une excursion dans le désert de Judée).
D’après l’historien Benny Morris, elle visait à la fois à punir les auteurs d’incursions meurtrières en Israël, et à les dissuader. Cette opération qui fit 70 victimes, dont de nombreux civils, dans le village arabe de Qibya, donna lieu à de sévères condamnations contre Israël au Conseil de Sécurité, dont la résolution 101 dénonça les représailles israéliennes. Le Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion, déplora officiellement les pertes civiles ennemies, tout en déclarant en privé à Ariel Sharon, commandant de l’unité 101 :
« Peu importe ce que le monde dira de l’opération de Qibya. Ce qui est important, c’est de savoir comment elle sera perçue dans le monde arabe. Et je considère que c’est grâce à de telles opérations que nous pourrons continuer à vivre ici. »

Bien peu dans l’armée se sont préoccupés de savoir comment cette affaire, et la manière dont a été traité le soldat Azaria, allaient être perçues par les ennemis et les voisins d’Israël

On mesure, en lisant ces propos, combien ont évolué les mentalités et les valeurs qui animent les commandants de l’armée israélienne aujourd’hui. Dans l’affaire Azaria, le souci principal des juges du tribunal militaire, mais aussi de l’ancien ministre de la Défense Moshé Yaalon et du chef d’état major, qui se sont tous deux exprimés pour condamner le soldat de Hébron, est celui de l’image de Tsahal aux yeux du monde occidental. Bien peu se sont préoccupés de savoir comment cette affaire, et la manière dont a été traité le soldat Azaria, allaient être perçues par les ennemis et les voisins d’Israël. Le professeur Israël Aumann, Prix Nobel d’économie, a pourtant averti, dès le lendemain de la décision du tribunal, que celle-ci “mettrait la sécurité d’Israël en danger, en dissuadant les soldats de tirer sur les terroristes et en incitant les Palestiniens à commettre de nouvelles attaques”.

L’attentat au camion-bélier de Jérusalem, survenu quelques jours seulement après la condamnation d’Elor Azaria, a tragiquement confirmé la justesse du pronostic fait par le professeur Aumann.
Le témoignage du jeune guide qui a réussi à neutraliser le terroriste, après qu’il ait tué quatre soldats dont trois jeunes femmes, est éloquent.
“J’ai vu que les soldats hésitaient à tirer… Je pense que le verdict [rendu contre] Azaria y est pour quelque chose”.
De son côté, la juge du tribunal militaire Maya Heller, dans son jugement qui s’étend sur presque cent pages, fait plusieurs fois référence à la notion de “pureté des armes” et aux normes morales que doivent respecter les soldats israéliens, sans jamais évoquer l’effet que sa décision pourrait avoir sur les terroristes potentiels.

La France n’est pas totalement étrangère à l’affaire Azaria. Les images de la liquidation du terroriste palestinien, qui ont conduit à l’inculpation du jeune soldat ont en effet été tournées par un militant de l’ONG B’tselem, dont le budget provient largement de financements étrangers, et notamment de l’Union européenne, mais aussi du Consulat général de France à Jérusalem. En encourageant les ONG comme B’tselem, qui défendent une vision sélective et partisane des droits de l’homme, la France et l’Union européenne s’immiscent dans le débat politique intérieur à Israël. Un projet de loi récent prévoit d’ailleurs d’interdire le financement étranger des ONG en Israël, pour empêcher cette intervention dans la politique intérieure du pays.

L’intervention grandissante des ONG à financement étranger pose un problème délicat pour Israël dans sa guerre contre le terrorisme djihadiste. Dans l’affaire Elor Azaria, la condamnation a largement été prononcée d’avance par l’échelon politique et militaire, avant même que le procès se déroule, sur le fondement des images filmées par B’tselem. La guerre médiatique est certes un enjeu crucial, mais elle ne doit pas faire perdre de vue l’enjeu principal, qui est de gagner la guerre sur le terrain. Pour préserver la motivation de ses soldats, Israël doit empêcher une situation dans laquelle ceux-ci redouteraient plus une inculpation par le procureur militaire que les balles de l’ennemi.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat et Philippe Karsenty pour Dreuz.info.
Pierre Lurçat est avocat et écrivain. Il vient de publier La trahison des clercs d’Israël (La Maison d’Edition).
Philippe Karsenty est maire-adjoint de Neuilly, homme d’affaires et éditeur.

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