vendredi 30 décembre 2016

»Notre jeunesse est moins empathique » Par Tamir Leon//


La fête de Hanouka n’est pas étrangère à la notion d’éducation. En effet, en hébreu, les deux mots sont issus de la même racine (Hanouka/Hinou’h). 

Nous vous emmenons à la rencontre d’un anthropologue renommé en Israël: Tamir Leon. Ce dernier étudie depuis de nombreuses années la jeunesse en général et celle de notre pays en particulier. Ces derniers temps, il est très préoccupé par le phénomène des nouvelles technologies et plus précisément de l’influence des smartphones sur nos jeunes. Avec lui, nous faisons un point sur la jeunesse et nous tentons de voir la lumière dans un tableau parfois assez noir.



Le P’tit Hebdo: Comment définissez-vous le rôle d’un anthropologue?

Tamir Leon

Tamir Leon: L’anthropologue étudie l’être humain. Je fais de l’anthropologie appliquée, c’est-à-dire que je ne travaille pas uniquement dans un cadre académique et universitaire. Mes recherches se font aussi pour des organismes privés qui souhaitent observer les comportements de certaines catégories de la population. Pour ma part, je suis spécialisé dans la culture des jeunes dans le monde et en Israël.



Lph: Vos études sur la jeunesse tournent beaucoup autour de l’influence des nouvelles technologies. Quelles sont vos conclusions?

T.L.: Dans le monde en général, et Israël n’y fait pas exception, ce que l’on appelle la révolution digitale a une grande influence sur la jeunesse. Et le constat est sans appel: cette influence est néfaste.

De nombreuses études montrent que depuis que les jeunes possèdent des smartphones, ils sont beaucoup moins empathiques. Cette modification est à l’origine directe de l’augmentation de la violence et de l’alcoolisme chez les jeunes ces dernières années.



Lph: Comment expliquez-vous que le téléphone soit la cause de ces phénomènes?

T.L.: L’utilisation de plus en plus excessive de cet appareil a mis en sourdine la relation en face à face. Or ce type de communication nous permet de ressentir des sentiments plus appuyés et crée un lien totalement différent entre les gens. Une expérience a ainsi été réalisée auprès d’un groupe d’enfants de classe préparatoire aux Etats-Unis. Ils ont été isolés, une situation angoissante. 

Trois groupes ont été formés: dans le premier, les enfants pouvaient communiquer avec leurs parents par téléphone, dans le second uniquement par SMS et dans le troisième, ils ne pouvaient pas entrer en contact avec eux. Eh bien, il n’y avait aucune différence sur le plan de la diminution du stress chez les enfants entre ceux qui communiquaient par SMS et ceux qui ne communiquaient pas avec leurs parents.

Cette absence de face à face nous rend moins vulnérables aux sentiments de l’autre. Ainsi, les inhibitions face à la violence tombent. En effet, ce qui nous empêche d’être violents c’est la capacité de nous rendre compte de ce que l’autre ressent. Etant rendus de plus en plus étrangers à cette sensibilité, nos jeunes sont de plus en plus violents.

Enfin, l’alcool est devenu le moyen que les jeunes ont trouvé pour tout simplement parler entre eux. On le constate particulièrement en Israël, où l’augmentation de l’alcoolisme chez les jeunes a coïncidé avec l’arrivée des smartphones au sein de cette population.

L’avènement des smartphones a développé un monde du tout virtuel, les enfants ne sortent plus, vivent à travers les écrans, ce qui détraquent leur développement vers leur statut d’adulte équilibré que ce soit au niveau social ou même dans des domaines plus intimes comme la sexualité, avec une exposition trop précoce à la pornographie et une virtualité qui leur fait aborder le sujet comme dans un film, avec tous les problèmes que cela comporte.



Lph: Etes-vous si inquiet pour notre jeunesse?

T.L.: Les dégâts sont considérables. Cette virtualisation de la vie fait que les jeunes ne se sont jamais sentis aussi seuls que dans notre époque. Le suicide est la première cause de mortalité chez les jeunes aujourd’hui. La solitude est la plaie de notre génération et les smartphones n’arrangent rien, bien au contraire.



Lph: Israël est-il plus touché que les autres pays par ce phénomène?

T.L.: C’est un phénomène qui s’observe dans le monde entier. Comme il est contagieux, et que nous vivons dans un pays plus petit, où tout se transmet plus rapidement, alors nos jeunes ont été contaminés plus vite qu’ailleurs.



Lph: En Israël, observez-vous des différences selon le milieu religieux dans lequel évolue le jeune?

T.L.: Les jeunes sont influencés de façon identique par les nouvelles technologies qu’ils soient religieux ou laïcs. Disons que l’avantage des familles religieuses, c’est qu’au moins pendant Shabbat, les appareils sont éteints. Ceci étant, des parents de tous les horizons viennent me trouver pour me demander de les aider dans ce domaine.



Lph: Demander de l’aide?

T.L.: Oui, il existe une véritable addiction aux smartphones, on appelle cela  »l’héroïne digitale ». De la même façon que l’on envoie se faire soigner un enfant qui se drogue, il faut se faire aider pour surmonter le problème de l’addiction aux écrans. Il ne faut pas hésiter, ni avoir honte, les conséquences sur l’enfant sont aussi néfastes que celles que peut avoir une drogue.



Lph: Pourtant, notre jeunesse a besoin d’être familiarisée avec ces nouvelles technologies, c’est indispensable dans notre monde et même parfois très utile!

T.L.: Il ne s’agit pas de dire que nous devons bannir les écrans. Mais sachez que l’idée selon laquelle nos enfants doivent être exposés le plus tôt possible aux nouvelles technologies pour assurer leur avenir est fausse! Sur le marché du travail, la maitrise des nouvelles technologies n’est pas un critère prioritaire. En effet, ce sont d’abord les qualités sociales et la créativité qui sont observées. Au sein des pays de l’OCDE, les études montrent que les établissements scolaires qui ont introduit à un degré important, les nouvelles technologies, ne sont pas ceux qui ont les meilleurs résultats, c’est même le contraire!



Lph: Ne pas bannir totalement les écrans, d’accord. Comment alors parvient-on à fixer des limites face à des adolescents pas toujours coopératifs?

T.L.: Nous devons, nous parents, être totalement conscients du degré de nuisance que comportent ces appareils, y compris à la maison. Il existe une pollution lumineuse dégagée par les écrans qui détériorent beaucoup la qualité du sommeil de nos enfants, et de nous-mêmes d’ailleurs aussi. Nous devons commencer par ne pas nous sentir obligés de regarder dans la seconde chaque message qui arrive sur notre téléphone. Cette attitude fait augmenter le stress en flèche!

Ensuite, il est tout à fait possible de décider que passée une certaine heure, les téléphones de la maison sont posés dans un coin avec interdiction d’y toucher.

Une partie importante de mon travail consiste à donner des outils aux parents. Parmi ceux-là, j’insiste beaucoup sur l’importance du dîner en famille et sans appareils parasites: il faut prendre le temps! Par ailleurs, il est indispensable de faire disparaître tous les écrans de la chambre des enfants. Poser des limites et créer une interaction familiale, voilà ce qui peut sauver nos jeunes et nos familles.



Lph: Quel est le rayon de lumière qui vient éclairer ce tableau plutôt noir?

T.L.: La prise de conscience de ces problèmes va en grandissant et c’est positif. Ce qui me rend optimiste, ce rayon de lumière, c’est le fait que la jeunesse d’aujourd’hui a tendance à se retourner de plus en plus vers ses parents. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, ils écoutent beaucoup plus les adultes! Nos jeunes n’ont plus aucune confiance dans les politiques ou dans les puissants qui ont réussi dans la vie. Il y a quarante ans, les jeunes étaient fascinés par les VIP. Aujourd’hui, les personnes vers lesquelles ils ont envie de se tourner, qui les influencent le plus, sont leurs propres parents. C’est dire l’importance de notre rôle, un rôle que nos enfants ne demandent qu’à nous voir jouer. C’est ce constat qui me rend optimiste pour notre jeunesse.



Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay


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