vendredi 9 décembre 2016

Après Alep, Assad ciblera t-il Al-Bab ou le Golan ?©



A l’heure qu’il est, le régime syrien de Bachar al Assad, qu’on disait à l’agonie (et c’était patent), il y a à peine 15 mois (septembre 2015), est en passe de contrôler 50 quartiers d’Alep, la deuxième ville la plus importante du pays. Cela représente 70% du territoire de cette ville, hier encore, sous l’emprise des rebelles et, parmi eux, les plus extrêmes des islamistes : le Jabhat Fateh al Sham, ex-Front al Nusra, qui prétend avoir pris ses distances avec Al Qaïda, dont il était la branche politique et conquérante en Syrie.
Au même moment, la carte de la Syrie, plus que jamais éclatée et tiraillée entre diverses forces antagonistes, semble contraindre les troupes de Bachar,  soutenues -heureusement pour lui,- par l’Iran, le Hezbollah et la Russie, à réaliser le grand écart.
En effet, malgré la victoire bientôt proclamée sur Alep et l’écrasement vraisemblable des derniers bastions « rebelles » (islamistes et modérés assimilés dans le même bouillon de culture pestilentielle et donc condamnés à échouer), on voit mal comment le gouvernement « central » (en fait, surtout « occidental » ou, plus prosaïquement alaouite, autour de Latakiah et Tartous, pour faire simple) pourrait réunifier le pays sous son égide.
Notons qu’il en a bien l’intention déclarée, avec l’aide du « Centre Russe pour la Réconciliation des camps opposés en Syrie« , qui n’est ni plus ni moins qu’une émanation du Ministère Russe de la Défense.
Cela fait bientôt cinq ans que Bachar Al Assad supporte stoïquement, presque avec le sourire, les salves de raids aériens décollant d’Israël pour venir hacher menu les convois ou dépôts d’armes avancées destinées, par son parrain et protecteur iranien, à sa milice chiite. Auparavant, régime syrien comme Hezbollah préférait nier les faits. 
Désormais, ils les signalent, voire, presque, revendiquent d’en être « victimes ». Est-ce comme prétexte possible pour mener des représailles? Est-il aussi inconcevable d’envisager qu’Assad rumine sa hargne mêlée de colère froide, qui pourrait un jour déborder, avec le retour de l’ivresse des victoires? Il s’y prépare en secouant le cocktail irano-terroriste :
a) Le front occidental israélo-« syrien » sur le Golan et le Djebel Druze
A l’ouest et au Sud du pays, ce sont les frappes aériennes israéliennes qui, finalement, jouent le rôle de « zone de sécurité » virtuelle, pour empêcher le transit d’armes irano-syriennes à l’intention du Hezbollah. Cela dit, celui-ci a encore le loisir de tirer ses salves de missiles, autant du territoire du Sud-Liban, malgré l’imprécision volontaire des « 200 positions identifiées » (à titre de simple illustration, à l’intention des diplomates étrangers, puisque cette carte est délibérément fausse- afin de ne pas donner d’indications précises?-) dans ce périmètre, que de zones conquises dans les Monts du Qalamoun, à Al Qsayr et Zabadani : ces régions frontalières du Liban semblent avoir été offertes à la centrale terroriste du Hezbollah par le régime Assad en gage de remerciements pour services rendus dans tout le pays.
Photo published for IDF Map of Hezbollah Terror Infrastructure

IDF Map of Hezbollah Terror Infrastructure 

Qu’est-ce que cela peut bien signifier? Loin de n’être qu’un « Etat dans l’Etat libanais », le groupe terroriste, grâce à son corps expéditionnaire en Syrie est, gravement, en train de gagner du galon, au sein même de l’armée syrienne (création du 5ème Corps ou légion étrangère chiite en Syrie), mais aussi de la profondeur stratégique.
Cela devient une facilité de langage, pour Israël d’avouer, comme l’a fait son Ministre de la Défense Avigdor Liberman hier 7 décembre, que les Forces Aériennes d’Israël frappent en Syrie pour empêcher des « transferts d’armes au Hezbollah ». Sous-entendu : vers le Liban
Ce matériel militaire et cet armement lourd, dotés de missiles sophistiqués irano-syriens peuvent invariablement être dispatchés d’un côté comme de l’autre de la frontière libano-syrienne, grâce à cette marge de manœuvre opérationnelle dont le Hezbollah et l’Iran (du même coup) disposent dans le Nord-Ouest de la Syrie. 
D’autre part, la « milice chiite » se constitue en corps d’armée à part entière : tant par les équipements dont elle fait étalage, comme lors du défilé d’Al Qusayr, mi-novembre, il y a quelques semaines, que par l’annonce de son intégration aux grades d’officiers supérieurs dans le cadre du « 5ème Corps syrien », légion chiite pro-iranienne en plein coeur de l’armée d’Assad : c’est Assad et la Syrie en tant que tels qui sont devenus instrumentaux et périphériques, au profit de l’Iran et du Hezbollah, et non plus l’inverse.

L’Iran va ainsi pouvoir dispatcher ses cadres du Hezbollah aguerris, dotés du prestige d’être intégrés à l’armée d’Assad, là où il lui semblera opportun de le faire, au moment voulu. Comme le redoute Israël, Assad devrait être incité à reprendre pied à ses frontières occidentales et sudistes avec Israël (sur le Golan et au sud, vers le Djebel Druze) et la Jordanie. 
Mais au lieu d’officiers et de soldats « syriens », c’est la légion chiite encadrée par les gradés terroristes de Nasrallah qui risquent fort d’être les premiers infiltrés aux avant-postes. L’uniforme aidant, comme il l’a déjà fait en empruntant celui des Forces de Défense Nationales (théoriquement )à majorité druze, il devient plus difficile à Tsahal de distinguer ceux qui servent directement Téhéran, au nom du Hezbollah, et ceux qui servent encore le substrat de régime syrien. Plus que contre des types d’armement, l’étape suivante consistera à frapper des positions pour les faire reculer.
b) Le front nord-oriental turco-syrien et kurde
Une deuxième incertitude sur les choix stratégiques d’Assad, après la reconquête d’Alep, concerne les lignes rouges que lui-même et ses alliés entendent faire respecter à Recep Tayyip Erdogan, dans le Nord-Est de la Province d’Alep, autour du dominion de Daesh qui se situe à Al Bab. Là, une « drôle de guerre » meurtrière s’est mise en place, entre tous les protagonistes et des alliances, hier encore improbables, peuvent se forger.
Les forces kurdes des YPG ont contribué à sécuriser les quartiers limitrophes de celui à majorité kurde,  Seikh Maqsoud, dans Alep. Il semble qu’un compromis ait été trouvé et qu’à tout perdre, les milices djihadistes encore présentes ont préféré remettre le contrôle de leurs anciens quartiers annexés, aux Kurdes plutôt que de s’humilier à remettre les clés de la ville au tyran Assad si longtemps combattu.
D’autre part, (ou en échange?) des avions du régime syrien ont bombardé des véhicules blindés turcs et leurs milices accompagnatrices de l’Armée Libre Syrienne, alors qu’ils progressaient vers Al-Bab. Ces forces pro-turques combattent « autant » (ou presque) Daesh (elles peuvent aussi servir de « paravent » à un recyclage des anciens Daeshistes en capacité de nuisance plus volatile) qu’elles ne visent à contrer toute victoire kurde dans cette région. Elle s’achèverait, en effet, par la proclamation d’autonomie de la zone des trois cantons kurdes à la lisière de la Turquie et Erdogan n’en veut à aucun prix.
D’autre part, le 24 novembre, le Ministère turc de la défense se plaint d’un tir de drone « iranien » (ou de fabrication iranienne : le Hezbollah ?) contre ses forces, faisant au moins 4 morts turcs et 10 blessés, dans la même zone frontalière turco-syrienne.
De fait, bien mal lui en prit, voulant soumettre les Kurdes syriens (et turcs du PKK) à ses dernières exigences et se tailler une zone-tampon terrestre et aérienne dans le Nord de la Syrie, Erdogan est, de près ou de loin, en train de « coaliser » malgré eux l’armée régulière syrienne, peut-être des forces pro-iraniennes dans le secteur, mais aussi les Kurdes des YPG, en quête de compromis territorial autonome, vis-à-vis de ces puissances régionales. Après les purges qui se poursuivent en Turquie, l’armée n’est plus ce qu’elle était et, en particulier son armée de l’air a terriblement souffert de la répression dirigée par Erdogan. Comment faire face?
Tous ces intérêts croisés font que la Turquie, toute à ses ambitions islamo-ottomanes (si on peut dire) semble s’enfoncer tête baissée dans un piège qui pourrait être en train de se refermer où on voit mal comment tenir longtemps face à des adversaires multiples : 1) La Syrie d’Assad qui garde, néanmoins une légitimité territoriale indéniable sur son Nord-Est, 2) l’Iran pour des raisons qui  tiennent au traçage d’un « couloir » devant relier Téhéran-Bassorah et le sud irakien chiite au « grand Kurdistan », en passant par les zones frontalières de Tel Afar (au nord de Mossoul) vers Sinjar ou Shingal, le territoire des Yézidis-Kurdes et se poursuivant à travers les zones syriennes reconquises, jusqu’au Qalamoun et à la Méditerranée libanaise. Et 3), les Kurdes qui tentent de faire valoir leur cause après avoir constitué la princiaple force de lutte et de résilience contre l’Etat Islamique. 
Une fois encore, avec l’affaiblissement de l’Occident face à la Russie, ils pourraient aussi être les sacrifiés de l’affaire ou se contenter de satisfecits, après avoir fait « le plus dur du travail ».
c) La survie de Daesh ne dépend que des intérêts antagonistes
Sans trop s’étendre sur le sujet, il est clair, comme on le voit dans le Nord-Est syrien, que Daesh n’est susceptible de conserver des bastions, que parce que les antagonismes demeurent incompressibles, avec l’exemple par excellence du conflit multiséculaire turco–kurdo-perse. Les Kurdes, bien que divisés en principautés, ont, au cours de l’histoire, joué leur survie, d’abord parce qu’ils contrôlaient leurs montagnes, contrairement aux nations qui les combattaient. Ils ont aussi occupé le rôle de « mercenaires » gardiens des frontières, souvent pour l’empire turco-ottoman, au détriment de la Perse ou Iran. 
Ou l’inverse. Actuellement, il est certainement difficile, pour eux, de déterminer avec précision qui sera leur plus farouche oppresseur et adversaire, à l’avenir et, par conséquent les moins pires des « alliés » :
  • en ce qui concerne les Kurdes de Syrie (Rojava) c’est, sans nul doute l’étau réalisé par le couple Erdogan-Daesh, même si le premier est sous le coup du chantage permanent du second (trafics, attentats, recrutement, filières par Ganzientep, etc), qui constitue la principale menace.
  • De l’autre côté, vis-à-vis du Kurdistan irakien de Massoud Barzani, l’entente économique va bon train avec Ankara et les deux entités coopèrent à l’exportation. Il n’y a guère de conflictualité militaire, si ce n’est que la Turquie a tout intérêt à la prolongation des rivalités et mésententes entre les Kurdes d’Irak et ceux de Syrie.
L’Iran multiplie les avances vis-à-vis des Kurdes d’Irak et, vraisemblablement du PYG syrien. La coopération est au beau fixe, autour de Mossoul, malgré la présence à Tel Afar, des milices chiites pro-iraniennes,  les forces du Hachdt al Chaabi, récemment reconnues comme partie intégrante des forces de sécurité irakiennes.
D’un autre côté, les Kurdes d’Iran sont en conflit ouvert ou larvé contre Téhéran : les parties séparées qui se jouent peuvent-elles finir par devenir bénéfiques à chacun des groupes kurdes géographiques isolés et donc politiquement divisés? 
C’est justement ce qu’aucune des puissances régionales (Iran-Turquie-Syrie-Irak) ne souhaite, chacun maintenant ses hommes à lui et ses espions dans les partis kurdes, éloignant d’autant le’horizon d’un « consensus ». Le chemin sera encore long vers l’Indépendance effective et surtout, le rassemblement des diverses familles isolées par le cours de l’histoire.
Daesh, l’envoyé de l’enfer, aura été le révélateur (en négatif) de cette entité naissante et des tiraillements entre les empires régionaux, mais aussi les clans internes en voie de fédération.
Il est probable qu’il n’y ait, sur le plan régional, qu’Israël qui ait intérêt à voir naître ce Kurdistan, à condition de parvenir à convaincre Russes, Américains et pouvoirs occidentaux, de « l’utilité », pour eux, de cette entité dont ils n’ont pas voulu depuis le Traité de Sèvres 1920. Serait-ce, paradoxalement, Daesh qui les en aurait convaincu? 
D’autre part, l’indépendance éventuelle ne résout pas tous les conflits d’influences entre ces puissances régionales tentées de passer à travers le territoire kurde pour y bâtir leurs empires…
d) Trump et Poutine assez forts pour imposer « leur » paix? 
L’autre inconnue majeure c’est la politique que suivra le futur nouveau Président élu des Etats-Unis et inclination à l’entente cordiale avec la Russie de Poutine. Dans l’équation qu’on vient d’ébaucher, on lit déjà une forte tendance des hommes nommés -jusqu’à présent- par Donald Trump à nourrir une vive antipathie vis-à-vis des Ayatollahs d’Iran. 
Qu’il s’agisse de Mickhaël Flynn (Conseiller stratégique à la Défense Nationale) ou de James (« Mad Dog ») Mattis, le Secrétaire à la Défense, ou encore, de Mike Pompeo à la CIA, tout le staff de choc (enclin à la « militarisation » couleur des Marine), les principaux équipiers de Trump sont des adversaires jurés-crachés de l’accord nucléaire signé par Obama au profit des terroristes internationaux d’Iran.
Il y a donc quelque « chance » que, nombre d’entre eux étant par la même occasion pro-Israéliens, -à tout le moins conscients de l’atout stratégique que représente l’alliance américano-israélienne, à l’inverse des dénonciateurs de « lobby Juif » (version Walt-Mersheimer) comme « fardeau » pour la politique arabe des Etats-Unis-, la dernière chose que cette Administration puisse souhaiter serait que grâce à ses supplétifs en tout genre et son ascendance psychologique sur le fragile pouvoir Assad, la frontière de l’Iran puisse désormais se situer… sur le flanc Est du Golan israélien.
Si la bombe iranienne est un gros caillou dans la chaussure des démocraties (enfin, les vraies), l’expansion continuelle du panchiisme iranien dérange plus d’un partenaire au Moyen-Orient. De l’autre côté, les puissances du Golfe, qui risquent d’être les grandes perdantes par procuration de leurs aventures en Syrie, se sont rapprochées d’Israël et le Maréchal El Sissi, l’un des tous premiers à féliciter Trump, pourrait être le nouvel intermédiaire dans une triangulaire entre Washington, Jérusalem et Riyad.
D’autre part, si on doit en juger sur les réactions, faibles à inexistantes, de Moscou aux frappes répétées d’Israël contre son allié Assad et ses bases aériennes dévolues à l’approvisionnement du Hezbollah, à part de nouveaux marchés, Poutine n’a pas grand chose à gagner à ménager des voies d’accès en Syrie au nouvel empire Perse.
Là où Trump et Poutine pourraient trouver des points d’accord, ce pourrait être dans un rôle de relatif « protectorat » d’une autonomie kurde au Nord-Est de la Syrie. Mais il faut marcher sur les pieds et les principes non-négociables d’Erdogan et pour cela, ils ne seront pas trop de deux. On sait que l’entreprise de conseil de Flynn conservait des contacts éprouvés avec des membres du régime Erdogan à Ankara. Mais comme il convient toujours, en diplomatie, mieux vaut avoir plusieurs fers au feu, en vue de négociations ultérieures. Au plus fort de son embarras prévisible dans le nord-syrien, Erdogan pourrait avoir grand besoin d’une porte de sortie pour retirer ses forces sans trop d’humiliation face aux Kurdes qu’il entend dominer à jamais…
D’autre part, face à l’Iran et à son influence croissante dans la région, la Turquie, les pays arabes se rapprochant d’Israël et l’Etat Hébreu pourraient se retrouver, de fait, en posture d’alliance « objective », si elle n’est pas d’affinités ni de gaité de coeur. C’est un peu le sens de ces projets de pipeline gazier entre Jérusalem et Ankara, probablement bénéfique, également à Gazprom et à d’autres partenaires économiques potentiels, si les rivalités politiques restent fortement aiguisées (Grèce, Chypre, Egypte)…
La résolution du conflit syrien est encore bien loin de se dessiner à l’horizon d’un coucher de soleil sur les ruines d’Alep. Il peut aussi commencer à refluer par vagues, faute de combattants, après la débâcle des « rebelles » et djihadistes en tous genres. Il attend l’avènement de Donald Trump pour ponctuer plusieurs poches de résistance : à Mossoul, à Raqqa, mais aussi à Palmyre (où on observe un regain daeshiste) et dans les deux régions Nord-Est et Sud-Ouest que nous venons de décrire comme zones d’embrasement probable à l’issue de la phase actuelle (reconquête de la deuxième ville du pays).

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