vendredi 22 juillet 2016

La tentation de la Pravda......


Jeune étudiant en journalisme, la toute première chose que l’on m’avait enseigné était la règle des 5 W : what (quoi), who (qui), where (où), when (quand) et why (pourquoi). Un b.a.-ba, une règle de base immuable, incontournable dans ce métier. Mais c’était au siècle dernier.
Ce mardi après-midi, j’apprends avec effroi qu’en plus de l’attentat à la hache perpétré par un jeune migrant dans un train en Allemagne, une famille a été poignardée dans un village vacances à Lagrand, dans les Hautes-Alpes. Une mère de 46 ans et ses trois enfants de 8 à 14 ans, la plus jeune étant alors en état d’urgence absolue. Quelle horreur, cela ne s’arrêtera donc jamais ! Nauséeux, je me précipite sur les chaînes et les sites d’infos en ligne, histoire d’en savoir plus. Qui est à l’origine de ce nouvel acte barbare ? S’agit-il encore d’un attentat islamiste ? Bref, des questions qu’on se pose presque tous à ce moment-là. Plutôt compréhensible, vu le contexte.
A la télé, les chaînes d’info relaient l’agression en boucle. Idem sur les sites de la presse quotidienne régionale (Le Dauphiné libéréOuest-FranceNice-Matin), nationale (Le Parisien), les hebdos (Le Point) ou encore les médias en ligne (Hufftington Post) qui, tous, dévoilent les premiers éléments de l’enquête. J’apprends ainsi, via le Parisien, que l’agresseur présumé est un Marocain de 37 ans se nommant Mohamed Boufarkouch et qu’il aurait des antécédents judiciaires.
Selon certains médias, l’acte aurait pu être motivé par le fait que la famille se baladait en tenue légère. Je note au passage que la presse fait preuve, pour l’occasion, d’une pudeur à géométrie variable. Certains sites se contentent d’un synthétique Mohamed B. pour évoquer l’agresseur. D’autres enfin ne daignent lâcher que la nationalité du bourreau. C’est déjà ça.
Et puis, il y a le site de l’Obs qui, lui, se montre encore plus pudique et préfère carrément jeter un voile – c’est le cas de le dire – sur l’identité et la nationalité du barbare. Même pruderie du côté de Libé qui fait encore plus fort, ou plutôt plus court, en se contentant d’une brève. L’une des infos les plus relayées par les médias en ce mardi 19 juillet 2016 ne fait l’objet que de 9 lignes et demie à 13h13 !
Dans l’après-midi, le procureur de Gap, Raphaël Balland, déclare publiquement ignorer le caractère terroriste ou non des faits : « Pour le moment, il n’y a pas de réponse ferme à apporter. » 
Du coup, Libé dégaine une seconde brève sur son site, deux heures après la première. Six lignes, pas une de plus. C’est vrai quoi, un gars qui poignarde grièvement une maman et ses petites filles dans un village vacances en France, ce n’est rien de plus qu’un banal fait divers… Limite rubrique chiens écrasés. Dans la brève, toujours aucune info sur l’identité de l’agresseur au couteau. Aucun intérêt. Il faut dire, à la décharge de la version Web de Libé, qu’en six lignes, on ne peut pas mettre grand-chose. Juste de quoi souligner « que le suspect n’a pas reproché aux quatre femmes leurs tenues ». On n’en saura pas plus. Rideau, circulez y a rien à voir !
Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Je compulse le site Francetvinfo, lequel — malgré de nombreuses mises à jours en vingt-quatre heures et un titre très prometteur (« Ce que l’on sait de l’agression… ») – ne mentionne à aucun moment l’identité ou l’origine du cinglé. Mieux encore, dans un premier temps, le mardi, l’article mentionne très très très, mais vraiment très pudiquement « un homme originaire de région parisienne ». Lire en fait un homme habitant en région parisienne. Ce qui ne manque pas de titiller les lecteurs du site, certains se plaignant même de voir leurs commentaires effacés. Sur Yahoo, qui relaie l’article de Francetvinfo, c’est l’hallali. Une bonne centaine de commentaires qui, dans leur grande majorité, dénoncent l’omission de la « pravda des bobos »dixit l’un des lecteurs. « Où donc ai-je mis mon Padamalgam 10 000 ? » ironise Luna. « Pourquoi ne donnez-vous pas le prénom de cet homme, il ne faut pas avoir peur de dire les choses ? », réagit sobrement Pat. « Je ne sais pas, mais j’ai l’impression en lisant les articles concernant ces faits, qu’il y a une restriction d’information », ajoute Ninj. Mine de rien, l’ObsLibé etFrancetvinfo ont dans cette journée de mardi révolutionné le journalisme en instituant, à la place des 5 W, la règle des 4 W. Ou des 4W et demi, c’est selon…
J’ai bien envie à mon tour de balancer un petit commentaire, sous la forme d’une citation de Finkielkraut : « Sacrifier la vérité afin de ne pas nourrir la bête, cela revient à nourrir la bête en lui faisant cadeau de la vérité. » Mais c’est l’heure de la promenade du chien et j’ai mes priorités. En me baladant, je repense à ce qu’une amie (de gauche), qui pigeait pour le site de Francetvinfo en janvier 2015, m’avait confié à l’époque. En conférence de rédaction, l’ensemble des journalistes était horrifié par le fait que les attentats de Charlie et les minutes de silence non respectées dans les écoles puissent faire le jeu du FN. Il ne fallait surtout pas jeter de l’huile sur le feu…
Mes pensées vagabondent. Je regrette que nombre de mes amis journalistes confondent le Bien avec le Vrai ou soumettent le second au premier. Je regrette qu’ils soient parfois enclins à diluer, à minimiser ou à occulter le Réel au nom de leur Idéal. Le métier de journaliste consiste en premier lieu, me semble-t-il, à exposer les faits. Qu’ils nous plaisent ou non. Mais j’ai toujours été un grand naïf.
Je rentre chez moi et regarde, par curiosité, le traitement de cette tragédie dans les journaux de 20 heures des différentes chaînes. Ophélie Meunier sur M6 place l’info en deuxième position tandis que TF1 l’aborde en milieu de journal. Quant au journal de France 2 ? Rien, nadanothing, que dalle. Aucun sujet. Place à « Secrets d’histoire » avec Stéphane Bern. Il y aurait un article entier – voire plus si affinités – à écrire sur ce qu’est devenue aujourd’hui France 2 : une sorte de temple de la bien-pensance et du politiquement correct. L’ORTF, mais à l’envers.
Mercredi après-midi. Je tente de joindre la direction de la rédaction de Libération pour évoquer leur traitement, disons « minimaliste », de l’affaire. Sans succès. il faut dire que contacter Libé dans le but d’écrire un papier pour Causeur, c’est un peu comme se balader sur la Canebière avec le maillot du PSG sur les épaules. Le succès n’est pas garanti. La rédaction est trop occupée, me répond-on, car elle va sortir un scoop ce jeudi. L’identité et la nationalité de l’agresseur des Hautes-Alpes peut-être ? Je suis mauvaise langue. Le lendemain, le quotidien fera des révélations sur le dispositif de sécurité sur la Promenade des Anglais à l’occasion du 14-Juillet.
Mercredi soir. Je m’informe des derniers déroulements de l’enquête. Libé se lâche et écrit à 19h34 un article d’une vingtaine de lignes, son record sur le sujet. Le journal tient à souligner que « ni la piste d’une agression en raison de tenues vestimentaires, ni celle d’un acte terroriste, qui n’étaient déjà pas très crédible(s) quelques heures après l’agression, ne se confirment donc ». Très fort Libé qui après une enquête de terrain très minutieuse, était donc le premier média à pressentir, seulement quelques heures après les faits, qu’il ne pouvait pas s’agir d’un acte terroriste. Alors que le procureur lui-même déclarait ne pas avoir de « réponse ferme à apporter » sur le sujet.
On apprend ainsi désormais que le suspect aurait reproché au mari (et père) des victimes de s’être gratté au niveau de l’entrejambe devant sa femme. Ce qui aurait provoqué son coup de folie. J’appuie machinalement plusieurs fois sur ma touche F5 – ce qui ne sert strictement à rien à chaque fois -, car je remarque que l’article de Libé omet une info relatée sur les autres sites (dont Francetvinfo, c’est dire) et divulguée par le procureur de Gap. Au cours de sa garde à vue, l’homme « s’est emporté, refusant qu’on lui prenne ses empreintes. Il a alors crié à trois reprises : Allah Akbar ». Un détail sans grande importance.

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