vendredi 15 juillet 2016

« Après dix mois de rue, retrouver un toit, c’est une renaissance »


Expulsée de son logement avec son fils de 9 ans, Sandrine Scemama, 36 ans, a été SDF pendant presque un an. Elle raconte son âpre quotidien et ses difficiles démarches pour accéder à un domicile..

J’ai signé mon bail le 22 avril, la gardienne m’a remis les clefs et j’y croyais tellement pas que je les ai photographiées ! Chaque fois que je passe dans le hall, je regarde avec émotion la boîte aux lettres avec mon nom. 


Quand je suis dehors, je me presse de rentrer pourêtre chez moi, dans mon appartement avec mes meubles, ceux que j’ai pu récupérer, mais beaucoup ont été volés ou cassés. Ils me viennent de ma mère, d’origine sicilienne, décédée.


Je devrais être heureuse mais je n’y arrive pas : l’expulsion, c’est un traumatisme que l’on garde au fond de soi, une humiliation. C’était le 16 juin 2015, à 8 h 20, les flics ont attendu que mon fils Matheo, 9 ans, soit parti à l’école… Je les ai vus arriver, de ma fenêtre, à Créteil. J’étais abasourdie, je ne savais pas quoi faire

Un voisin est venu m’aider, il en était tout secoué. J’ai fait une vidéo et, quand je la revois, je suis encore bouleversée. J’avais accumulé des impayés parce que je ne peux pas travailler, je suis handicapée par une grave maladie respiratoire, et mon allocation n’avait pas été renouvelée à temps. Le lendemain de l’expulsion, le tribunal d’instance de Créteil m’accordait l’effacement de mes dettes dans le cadre d’une procédure de surendettement et, à vingt-quatre heures près, j’aurais pu éviter cette épreuve mais les policiers n’ont rien voulu entendre.

« Mon allocation n’avait pas été renouvelée à temps »

Ce jour-là, j’ai pris les affaires de mon fils en premier, la cafetière, les papiers et presque rien pour moi. La porte blindée posée par les policiers s’est refermée et me voilà dans la rue. La descente aux enfers commençait. Comment l’annoncer à Matheo ? Où aller ? La mairie de Créteil, la préfecture me disaient qu’elles ne pouvaient rien faire. J’ai appelé ma petite sœur, qui habite aussi Créteil, pour qu’elle recueille mon fils. Moi, je ne voulais pas être hébergée chez elle, sinon jamais je n’aurais été relogée.

Je dormais dehors, dans les cages d’escaliers. J’avais installé un matelas gonflable acheté 15 euros au dernier étage d’un immeuble, j’avais peur de croiser quelqu’un que je connaissais. Je ne dormais pas vraiment, sursautant au moindre bruit. Je harcelais la mairie, les services sociaux, la préfecture pour qu’ils me trouvent une solution et puis, en surfant sur le Net, j’ai trouvé le Droit au logement [DAL] qui, au mois de juillet, faisait un campement place de la République, à Paris. Et ma sœur m’a dit : « Vas-y, qui ne tente rien n’a rien. »
« JE DORMAIS DEHORS, DANS LES CAGES D’ESCALIERS. JE NE DORMAIS PAS VRAIMENT, SURSAUTANT AU MOINDRE BRUIT » SANDRINE SCEMAMA
J’ai pris le métro avec tout mon dossier, j’y suis allée, il faisait chaud… J’ai été accueillie par d’autres qui connaissaient les mêmes galères et j’ai vu que je n’étais pas la seule. La nuit, je dormais place de la République et revenais par le premier métro chez ma sœur, embrasser mon fils, prendre une douche et laver les seuls vêtements que j’avais pu sauver

Physiquement, ma santé s’est dégradée, je mangeais mal, je dormais peu, j’étais maigre. Les médecins ont diagnostiqué un décollement du poumon gauche début septembre et voulaient m’opérer. J’ai refusé, car j’avais déjà eu cette opération au poumon droit, en 2008, et je savais que c’était long, douloureux. Je ne pouvais pas me permettre de rester allongée sans bouger si longtemps. Quand on est SDF, on ne peut pas faire passer la santé en premier et, ça, les médecins ne l’ont pas compris.

Mais il fallait me battretrouver un logement. J’avais perdu mon petit copain, j’étais malade, épuisée, au fond du trou. La rentrée scolaire de Matheo en CM1 a été catastrophique, il n’avait pas ses affaires. Heureusement, ma sœur et son mari étaient là, ils m’ont recueillie car je ne pouvais plus dormir dehors. En novembre, j’ai été convoquée pour assister au nettoyage de mon ancien logement : les déménageurs ont entassé mes affaires dans des sacs, les plantes vertes avec la friteuse pleine d’huile qui se renverse… Un coup de plus au moral.

L’aide de l’association Droit au logement


Le campement, place de la République, a porté ses fruits. Il y a eu un accord entre le DAL et la préfecture de Région pour que les familles expulsées, dont moi, soient d’abord relogées à l’hôtel avant de l’être définitivement. En décembre, j’ai pu avoir une chambre assez grande, avec kitchenette, dans un hôtel d’Arcueil, mais à deux heures de trajet, en bus, de l’école de Matheo. On se levait à 5 h 30 et on était de retour à la maison à 18 h 30. Pendant l’école, je n’avais pas le temps de revenir à l’hôtel et je restais toute la journée dehors, sans un euro en poche. C’est terrible, c’est long, on a froid.

Parfois, j’allais chez une amie l’après-midi, quand elle était disponible. J’allais m’approvisionner aux Restos du cœur, qui étaient loin aussi. Matheo m’en voulait de lui faire subir cette situation : « Tu promets toujours qu’on va être relogés, tu ne fais rien et ça ne vient jamais… » Il se réfugiait dans ses jeux vidéo, sur sa console. Il multipliait les absences, je n’avais parfois pas le courage de l’accompagner à l’école, ou alors j’avais des soins à faire. Les enseignants ont été très compréhensifs. Un jour plus dur que les autres, j’ai appelé ma sœur, qui a dû sentir à ma voix que ça n’allait pas, elle est venue me chercher et m’a proposé sa maison pour y passer les journées.

Mon fils a fini par prendre conscience de toutes les démarches que j’avais faites et il m’a dit qu’il était fier de moi. Depuis notre emménagement à Limeil-Brévannes [Val-de-Marne], dans un trois-pièces de 67 mètres carrés dans une résidence agréable, un peu loin de tout et sous les bruits d’avions mais je m’en fiche, Matheo joue dehors, on a l’impression d’avoir du temps le soir et il m’a fait promettre de nous faire passer un bel été. Pourquoi pas quelques jours à Marseille ? Il est épuisé, il a besoin de se reposer

Son professeur ne voulait pas qu’il arrête l’année scolaire un peu plus tôt que les autres, mais Matheo lui a dit : « L’année dernière, pendant les vacances, moi, j’étais à la rue. »

Ma priorité, aujourd’hui, c’est de me soigner et de retrouver un boulot à mi-temps, comme avant, serveuse ou caissière, un métier de contacts, que j’aime. Je voudrais aussi créer une association en lien avec le DAL pouraider les expulsés. »


http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/07/15/apres-dix-mois-de-rue-retrouver-un-toit-c-est-une-renaissance

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