dimanche 9 septembre 2012

Marie-Hélène Lafon : une fille du pays Par Juliette Einhorn...



L’écriture lui a permis de grimper dans le train de sa vie. Après avoir évoqué ses lisières si familières du Cantal, la fille de paysan s’interroge aujourd’hui sur ce qui reste de sa terre quand on l’a quittée pour Paris.
Claire n’est d’aucun pays. Ou plutôt, de trois. Il y a la contrée natale, ce « bout de pays élimé » du haut Cantal, la région des origines, nettement délimitée, de la ferme parentale. Il y a Paris, la terre d’élection, gagnée pour étudier les lettres classiques. Et le troisième pays, intrication du premier dans le deuxième, jardinant une géographie intérieure inédite, une lente assimilation de la campagne dans la ville, qui pousse la jeune fille à appréhender la capitale de la seule manière qu’elle ait apprise : par une perception frontale et paysanne, organique et terrienne, sensible et précise, qui donne à la grande ville une ruralité sensuelle. Claire garde la mémoire des odeurs, des étés du foin engrangé en bottes rectangulaires. De ses études, elle fait une lutte comme le travail au champ – ensilage et fenaison.
« Leçon de corps »
©Olivier RollerMarie-Hélène Lafon, ©Olivier RollerEn trois parties (visite enfantine à Paris et découverte du Nouveau Monde. Installation dans le 13e arrondissement, après le bac. Enracinement de l’étudiante devenue professeur de lettres), le livre déroule cette « empoignade feutrée », cette chimie qui bouillonne en Claire pour infuser un pays dans un autre. Son premier été à Paris est pour elle une « leçon de corps » : il lui faut se faire à l’empilement des vies en immeuble, au remugle des amphis, du bus 47 et du métro, tout en conservant au fond d’elle, imprimé, persistant, « ce temps roux des lumières longues » de l’Auvergne. Elle vit avec ce bruissement perpétuel de la vie d’avant, le « parfum magistral et incongru de l’herbe coupée », et rencontre une galerie de personnages : Lucie, « apparition rousse et miraculeuse » ; Jean-René, « grand échalas blond qui sent la menthe froissée » ; Mr Jaffre, professeur de grec ; les héros de l’Iliade, qui « lui mangent dans la main ». Ces êtres contribuent au travail d’ajustement nécessaire à l’apprivoisement de ce pays étranger.
Murmure élégiaque
Il y a chez Marie-Hélène Lafon une petite musique enivrante, celle de l’interstice, des mondes engloutis et de leur rémanence dans la vie nouvelle. Un murmure élégiaque, la mélancolie de « quelque chose (qui s’est) perdu, (a) été quitté qui ne relevait pas du lumineux paradis des enfances ». Dans l’évocation de la vie parisienne s’est incrustée, en Claire, une réminiscence chronique : ce « monde premier, ancien, antédiluvien, et voué, à ce titre, à la mort lente de ce qui a trop vécu ». Les pays, c’est l’ancien et le nouveau, des lieux mêlés, intériorisés, qui n’existent plus l’un sans l’autre, annulant les temps, muant le Cantal passé en un présent éternel. C’est aussi, qui enrichit la langue érudite, un langage : la parlure du père qui fabrique du saint-nectaire (« C’est pas du rôti »), le parler régional qui dit ce monde clos et sauvage (l’« écire », le vent de la neige), des mots sans orthographe fixe. Son « pays » (celui qui vient du même coin qu’elle), enfin, c’est Alain, magasinier à la bibliothèque, qui considère Paris comme un pays d’emprunt. Claire, elle, n’est peut-être d’aucun pays puisqu’elle a quitté le sien sans devenir une simple Parisienne. Elle garde derrière les yeux cette symphonie pastorale : non plus le pays quitté, mais son incantation, son incubation dans les mots. Ce roman d’initiation n’est-il pas une affaire de langue, celle qui nomme ce pays personnel, cette mappemonde intime qui, comme les immeubles, est un empilement, métissage de lieux et d’images ?
Marie-Hélène Lafon présente Album et Les Pays

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