La moitié des Saoudiens vit dans un pays invisible. Un univers cerné de hauts murs, voilé de tissu noir et caché du reste du pays. C'est le monde des femmes. Elles représentent pourtant quasiment la moitié de la population de l'Arabie saoudite, le plus grand pays du Golfe et le plus peuplé, premier producteur mondial de pétrole. Mais la richesse, dans ce jeune pays né en 1932 de l'alliance du sabre tribal, du croissant islamique et du baril d'or noir, n'a pas été synonyme de libération de la femme. Au contraire.
C'est paradoxalement la manne pétrolière qui a permis l'instauration d'une stricte ségrégation hommes-femmes et l'application, tout aussi sévère, des préceptes du wahhabisme. Cette école d'interprétation ultrarigoriste de l'islam sunnite, née au XVIIIe siècle sur le plateau central du Nejd, est devenue une idéologie d'Etat depuis son alliance avec la dynastie régnante des Saoud.
Les pétrodollars ont permis d'ériger les hauts murs derrière lesquels vivent désormais les familles saoudiennes ; de tout construire en double, pour les hommes et pour les femmes ; de dispenser les Saoudiennes de travailler et donc de quitter le giron familial.
Bien plus que dans aucun autre pays musulman, les Saoudiennes sont des mineures légales. L'interdiction de conduire – donc de se déplacer librement, dans un pays où personne ne circule à pied, sauf les travailleurs immigrés, étant donné la chaleur, les distances et l'absence detransports en commun – n'est que la plus spectaculaire des mesures restreignant les libertés des femmes.
Au-delà des interdits, il y a la ségrégation. A l'école, à l'université, dans les piscines, les salles de sport, les banques, les restaurants, les femmes sont tenues à des lieux séparés, des heures différenciées, des guichets à part.
DEUXIÈME VIE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Le seul lieu où jeunes Saoudiennes et Saoudiens peuvent se croiser, à défaut de se rencontrer, est le shopping mall, ce gigantesque centre commercial qui tient lieu tout à la fois d'agora et de place du village. La jeunesse déploie des trésors d'ingéniosité pour entrer en contact avec l'autre sexe. Il est loin le temps où les garçons laissaient tomber dans les escalators un petit morceau de papier avec leur numéro de téléphone griffonné dessus. Désormais, ils activent la fonction Bluetooth de leur téléphone portable afin de capter les numéros de ceux allumés à la ronde. Faute de rencontres, les mariages sont souvent arrangés par les familles.
Aujourd'hui, il n'est même plus besoin de se déplacer. Les jeunes Saoudiennes mènent une deuxième vie sur les réseaux sociaux. Affublées de surnoms et de pseudos, elles surfent à la recherche de l'âme soeur ou d'une oreille confidente. Internet a révolutionné leur quotidien sans changer pour autant leurs conditions de vie matérielles, même si le roi Abdallah encourage les études et le travail des femmes : la première université mixte du pays, réservée à une toute petite minorité, porte son nom.
Sur la Toile, les Saoudiennes peuvent sortir de la maison, s'évader, échanger, voire flirter, sans pour autant quitter leur chambre. Nombre d'entre elles tiennent un blog, donnent leur avis sur Twitter ou boursicotent en ligne. Lors du mini-krach boursier de 2006, les analystes se sont aperçus que les femmes au foyer composaient une part importante des investisseurs privés. C'est cette vie d'intérieur que décrit la jeune photographe britannique Olivia Arthur, qui a supasser de l'autre côté du miroir saoudien, à Djedda, en 2009 et 2010. Elle raconte une vie faite de coquetterie et d'enfermement, de loisirs et d'ennui, de rêves inavoués et d'espoirs inassouvis.
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