dimanche 2 octobre 2011

“Les Hommes libres”, une scène commentée par Ismaël Ferroukhi..


“Les Hommes libres”, une scène commentée par Ismaël Ferroukhi..


La résistance maghrébine sous l'Occupation, au cœur de la mosquée de Paris. Le réalisateur Ismaël Ferroukhi nous explique comment il a construit ce film au sujet méconnu, interprété par Tahar Rahim et Michael Lonsdale. En salle depuis le 28 septembre.

En nous faisant entrer à la mosquée de Paris sous l'Occupation, Ismaël Ferroukhi ouvre une page d'histoire inédite au cinéma. Il se remet ici dans les pas du héros de son film,Younes, interprété par Tahar Rahim, pour raconter l'envers du décor de la grande scène d'exposition des Hommes libres.

1942. Paris est occupé par les Allemands. Younes, un jeune émigré algérien qui vit du marché noir est arrêté par la police française et obligé, pour rester libre, d'espionner à la mosquée de Paris, où Si Kaddour Benghabrit est soupçonné de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants.

Les Hommes libres, de Ismaël Ferroukhi.

« Cette séquence des Hommes libres a une importance particulière. Le personnage principal, Younes (Tahar Rahim), arrive à la Grande mosquée de Paris avec une mission qui lui a été donnée sous la contrainte par la police allemande : chercher ce qu'il pourrait se passer là de secret, d'interdit. Younes découvre alors la Mosquée avec des yeux nouveaux, comme s'il n'y était jamais venu. On entre avec lui, on est projeté à l'intérieur de manière presque abrupte, parce que Younes lui-même se sent maladroit dans cette mission qu'il doit accomplir mais qui lui donne la place d'un traître.

Un plan en caméra subjective montre, à travers les yeux de Younes, l'intérieur de la mosquée de Paris, qui n'est pas la vraie ici. Je voulais bien sûr y tourner, toutes les démarches pour cela ont été faites, mais l'autorisation était sans cesse repoussée par la direction de la Grande mosquée, qui nous a finalement fait savoir par une lettre d'avocat qu'il n'était pas possible de réaliser un film dans ce lieu religieux. Je n'ai jamais compris pourquoi les choses s'étaient passées comme ça, je pense que c'est probablement lié au sujet du film, à sa dimension politique, mais cela reste une difficulté inexplicable pour moi.

“Je voulais que l'ambiguïté de Benghabrit soit
d'emblée présente, qu'on s'interroge sur
son rôle, comme le fait Younes en l'observant.”

Nous avons reconstitué l'intérieur de la mosquée de Paris au Maroc, dans un palais auquel nous avons ajouté des éléments de décoration, comme la petite barrière qu'on voit dans ce plan subjectif, copiée sur celle de Paris. J'ai montré le film à des Parisiens du Ve arrondissement, des gens qui connaissent bien la Mosquée : ils n'ont pas remarqué que ce n'était pas la vraie. Et ça m'a fait plaisir !

Une fois dans la cour, Younes voit tout de suite Si Kaddour Benghabrit (Michael Lonsdale), le directeur de la Mosquée [fondateur de l’Institut musulman de la mosquée de Paris, ndlr] , en compagnie de gradés allemands. Je voulais que l'ambiguïté de Benghabrit soit d'emblée présente, qu'on s'interroge sur son rôle, comme le fait Younes en l'observant.

“J'avais envie de la sensibilité si particulière de
Michael Lonsdale, de sa force spirituelle.”

On voit ensuite Benghabrit serrant la main du major Von Ratibor (Christopher Buchholz) devant un photographe qui saisit ce geste : cette photo existe, elle a été utilisée en tous sens, souvent par des gens qui voulaient nuire à Benghabrit et le montrer en pleine compromission. J'ai voulu faire entrer dans mon film l'instant de cette photographie, pour le réinscrire dans le contexte de l'époque et rendre justice à l'action de Benghabrit. Quand j'ai proposé à Michael Lonsdale de jouer ce personnage historique, il m'a dit : « C'est un Arabe qu'il vous faut, pas moi ! » Mais, outre le fait que Benghabrit parlait un français parfait, ce qui ouvrait le choix de l'acteur, j'avais envie de la sensibilité si particulière de Michael Lonsdale, de sa force spirituelle : avec lui, on est tout de suite dans un rapport à l'humain, par-delà les religions, et c'était exactement mon ambition avec ce film.

En entrant dans la Mosquée, on a quitté les rues de Paris, froides et grises, et on est arrivé dans un monde où résonne une belle musique, où il semble faire encore bon vivre, même en 1942. En même temps, cet espace reste un lieu de secrets où le danger est possible pour Younes. Il a aperçoit une femme à une fenêtre, puis c'est lui qui est observé par un homme de la Mosquée. Presque au même moment, d'autres jeux de regards se trament entre le jeune chanteur, Salim, et le major allemand, des regards où passe peut-être quelque chose de secret aussi, mais qui serait alors plutôt du côté de la sensualité, du plaisir. On voit même l'Allemand passer ses doigts sur ses lèvres, comme s'il goûtait la saveur de la musique ou l'image du chanteur Salim lui-même. Les deux atmosphères se mêlent, celle de la fête et celle du combat qui se prépare.

Tout se met en place dans cette scène, mais beaucoup de choses restent encore cachées : on ne sait pas encore qui est la femme, on ignore que Salim est juif, on ne voit qu'une partie de la réalité, comme Younes. A la fin de cet extrait, il suit la femme qui est descendue dans la cour et il découvre une deuxième cour, derrière la première, et des couloirs dissimulés dans l'ombre. Il était caché au milieu de la foule, il se retrouve seul dans un espace où il ne peut plus se dissimuler. Il commence son avancée au-delà des apparences, vers la vérité des personnages qu'il a rencontrés dans cette scène, vers les choix qu'il va devoir faire pour entrer dans l'aventure des hommes libres. »


Frédéric Strauss

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