
Extrait
Assassin, criminel, nazi !
Tout ceci écrit en hébreu, je dois avaler le document compromettant. Vite, je me cramponne au robinet, priant pour qu'il ne s'aperçoive de rien.
Quand je relève la tête, l'image que je vois dans le miroir n'est pas celle de ce vieillard attentionné, courtois, cultivé. Non ! Telle une mise en abîme, la silhouette d'un jeune homme de 20 ans, enrôlé dans les jeunesses hitlériennes est là, debout devant moi. Il n'a que 20 ans, et pourtant, son uniforme, aux nombreuses médailles, sa physionomie, ses cheveux blonds, gominés et plaqués en arrière, ses yeux couleur d'acier ; tout, en lui, rappelle le SS. Son aspect sombre et autoritaire me fait peur, dès le premier regard.
Ce vieillard usé, assis sur son fauteuil roulant, était celui-là même qui, autrefois, avait le pouvoir suprême de donner des ordres comme celui de dépecer d'autres que la soeur de mamie, de dénoncer les juifs, de faire apposer leur nom sur les listes pour ce départ, cet aller simple.
Il avait cette capacité de tuer de sang-froid, d'envoyer des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants dans des camps de concentration, sous la douche ?
Mon cerveau, à cet instant, fonctionne à vive allure. Des pas militaires raisonnent dans ma tête. Au rythme de cette cadence infernale, les battements de mon coeur rejoignent ceux de mon esprit.
Puis, le miroir me renvoie à ma propre image, non, plus précisément, à moi-même.
Je m'interroge :
Et moi, aujourd'hui, quelle est ma mission face à ce tortionnaire ? Fera-t-il de moi aussi un autre bourreau ?
Mais moi, suis-je Dieu pour tuer à mon tour ou bien suis-je l'ange de la mort envoyé par Dieu ? Pourquoi ce monstre qu'il avait été allait-il m'octroyer le droit de tuer, à mon tour ?
J'étais tétanisée. Mon esprit était paralysé face à cet impotent, ce petit vieux si prévenant, si courtois à mon égard depuis mon arrivée.
Il est là aujourd'hui, après toutes ces années, face à moi, incapable de se diriger, avec sa chaise roulante. A cet instant, en effet, il me sollicite pour l'aider. Cela me trouble. Très vite, mon esprit bouillonne à nouveau.
Je n'ai pas le droit d'occulter son passé, ce pan de l'histoire reste à jamais gravé dans ma mémoire, tampon indélébile pour tous mes descendants.
Sucher qui m'a tant appris, ainsi, avec ce souvenir mortifère des effets de cette guerre, j'entends encore le son de sa voix. Il parlait le yiddish et disait souvent ceci, comme pour répondre à mon interrogation du moment : un stampel indélébile.
Lui qui avait alors quasiment l'âge de ce vieillard, devant moi aujourd'hui ?
Ce héros qui avait obtenu la légion d'honneur pour toutes ses belles actions passées, lui qui avait pris soin de tout me raconter pour que je raconte à mon tour ; plus que ce vieillard de l'autre côté du miroir, Sucher méritait ces médailles.
Je veux et je peux tenter de comprendre mais jamais je n'oublierai. Je ne suis ici que pour cela, pour que plus jamais ces atrocités ne se reproduisent.
Oui, Da Silva était un jeune homme et restait néanmoins un homme. Oui, cet homme était dans l'engrenage d'un système. Oui, c'est le système qu'il faut condamner à jamais. Et pourtant, il disposait du libre arbitre. Il aurait pu dire non ! Mais il a préféré jouer le jeu et devenir un bourreau nazi.
Auteurs: RACHEL CHAOUAT-ISABELLE KRIEF
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