À l’heure où Laurent Ruquier, Nagui et Cyril Hanouna font la pluie et le beau temps à la télévision, il convient de s’interroger sur ce qu’elle revêt intrinsèquement. Et sur ce que véhiculent ses programmes le plus souvent délétères.
La télévision n’est pas neutre. Instrument d’aliénation des masses, elle nivelle les individus-téléspectateurs-consommateurs. D’ailleurs, les Français ne sont pas dupes. Un paradoxe existe à cet égard : plus ils la regardent, plus ils la stigmatisent. Plus ils vitupèrent contre elle, plus ils s’en montrent mécontents. Cette schizophrénie s’explique par le pouvoir d’attraction ensorcelant de la télévision.
Jacques Ellul a pu écrire : « La télévision satisfait, et pourquoi chercher plus loin ? J’ai vu l’objet lui-même. L’en soi. Cette mutation s’effectue par la transformation radicale de voir en vision. On visionne un film. Ce n’est plus l’appréhension de l’objet, de la réalité par ma propre vue, mais d’une image de cette réalité, vue par un autre, codée par un autre, et qui m’est proposée, simple image sans consistance, que ma vue fait prendre pour la réalité elle-même. » La télévision se transforme en une vision de la télé. Nous ne regardons plus la télévision, c’est la télévision qui finit par nous regarder. L’œil agit avant le cerveau. Orwell évoquait déjà les « télécrans » dans 1984. Le totalitarisme pointe son nez.
La télévision engendre des pathologies chez les enfants qui la regardent avec assiduité : chute constante du niveau scolaire, augmentation des homicides et suicides, troubles physiques et psychologiques. En effet, la télévision a remplacé l’éducation et l’école. L’individualisme fait alors des ravages. Les enfants passent une cinquantaine d’heures par semaine à la regarder ou à jouer à des jeux vidéo. Des centaines d’enquêtes prouvent que les enfants qui regardent beaucoup la télévision sont nettement plus agressifs que ceux qui la regardent peu.
Il est indispensable de s’inscrire en faux contre l’idée fortement répandue – notamment par les patrons de chaîne – « qu’il faut offrir aux gens ce qu’ils attendent », comme s’ils pouvaient savoir ce que les gens veulent voir en s’appuyant sur l’Audimat®. Les gens peuvent avoir un désir de s’élever en se divertissant.
Une télévision populaire de qualité pourrait accompagner la mission que doit s’assigner le service public. Ainsi, la télévision doit avoir un code éthique et déontologique qui permette d’apprécier sa juste place dans la société, ainsi que la valeur de ses programmes. Karl Popper et Jean Baudouin ont pu écrire à ce sujet :
« Entre l’hypothèse obsolète d’un monopole étatique de la radio-télévision et le scénario actuel de la privatisation et de la concurrence sauvage, il y a peut-être place pour une solution intermédiaire : la création d’un ordre corporatif délivrant des permis de téléviser et pouvant à tout moment retirer les licences accordées. Ni le tout-État, ni le tout-marché. » Mais pour cela, il faut que les téléspectateurs regardent la télévision en s’imposant des limites afin d’échapper à son emprise. Une nécessaire prise de conscience difficile à imaginer. Et pourtant…
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